Le dialogue n’aura pas lieu

Un débat entre Leïla Shahid, déléguée de la Palestine à Bruxelles, et Tamar Samash, ambassadrice d’Israël ? Toutes deux ont rejeté l’idée. Au final, interviewées séparément, l’une et l’autre se répondent, se complètent, et parfois même se rejoignent.

Deux femmes. Deux  » modérées « , pour autant que ce mot signifie encore quelque chose au Proche-Orient. L’une est palestinienne, l’autre israélienne. Chacune porte à Bruxelles la voix de son peuple : deux peuples cousins, deux peuples voisins, entre qui la haine s’est installée. Déléguée générale de l’Autorité palestinienne auprès de l’Union européenne, Leïla Shahid (59 ans) a derrière elle quarante ans de militantisme. Issue du Fatah, l’organisation de Yasser Arafat, elle s’est toujours opposée aux islamistes du Hamas. L’ambassadrice d’Israël en Belgique, Tamar Samash (57 ans), a pour sa part été porte-parole de l’ex-Premier ministre travailliste Shimon Peres, récompensé par le prix Nobel de la paix en 1994.

Toutes deux font partie de ces rares femmes qui, en Israël et en Palestine, comptent encore d’authentiques amis dans le camp d’en face.  » Oui, c’est possible, disent-elles à l’unisson. On évite juste de parler politiqueà  »  » L’histoire de nos peuples s’entremêlent, ajoute Tamar Samash. Une partie de ma famille vivait à Tibériade à la fin du xviiie siècle, alors que le grand-père de Leïla Shahid habitait déjà à Jérusalem il y a cent ans. « 

Nous aurions voulu réunir Tamar Samash et Leïla Shahid. Leur donner l’occasion de débattre de vive voix. L’ambassadrice d’Israël a coupé court à cette possibilité :  » Transposer ici le conflit n’est pas souhaitable. Autant, hors micro, Mme Shahid est posée, autant ses paroles deviennent véhémentes en présence de la presse.  » Même refus de la part de la déléguée palestinienne :  » Ce serait un dialogue de sourds. Les esprits sont trop échauffés. En d’autres circonstances, j’aurais bien voulu, mais pas maintenant. Mme Samash est obligée de défendre la position de son gouvernement. « 

Installée dans une ancienne maison du quartier Schuman, Leïla Shahid ouvre elle-même lorsque nous sonnons à la porte.  » Entrez, il fait trop froid pour rester dehors.  » Trois portraits ornent les murs de son bureau : ceux d’Arafat, du président palestinien Mahmoud Abbas et du poète Mahmoud Darwich. Mais on la sent à cran. Dès qu’on l’interrompt pour lui demander une précision, elle s’énerve :  » Attendez ! Je n’ai pas fini de répondre à votre question. Ce qui se passe en ce moment est déjà assez pénible pour moi, je n’ai pas besoin de stress supplémentaire. « 

Le contraste avec l’ambassade d’Israël, installée sur les hauteurs d’Uccle, est saisissant. Au bout de la rue, barrée par des plots en béton, une camionnette de la police stationne en permanence. Des agents des services de sécurité israéliens en civil sillonnent le quartier. Lorsque nous nous présentons devant la porte blindée de l’ambassade, aux allures de forteresse, une voix jaillit de l’interphone :  » Names, please !  » Une fois franchis les contrôles de sécurité, l’ambassadrice se révèle accueillante. Le matin même, elle a été interviewée par la radio israélienne, qui voulait connaître les répercussions en Belgique des événements de Gaza.  » Je leur ai répondu que c’était, disonsà compliqué. Moi, à Bruxelles, je marche entourée de gardes du corps. Pas Leïla Shahid. Là se trouve toute la différence entre nous.  »

La rencontre n’aura donc pas eu lieu. Pourtant, entre Leïla Shahid et Tamar Samash, l’échange a déjà commencé.

François Brabant et Olivier Rogeau

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