« La ville est le plaisir de l’autre »

L’atout des citadins, c’est … la liberté ! Vibrant playdoyer urbain par le sociologue René Schoonbrodt

Fondateur et ancien président de l’Atelier d’action et de recherche urbaines (ARAU), René Schoonbrodt se bat pour la ville depuis trente ans (1). Il ne se lasse pas – lui qui est né dans une ferme – de méditer l’adage allemand: « L’air de la ville rend libre. » Associé à toutes les « luttes urbaines » de Bruxelles, il a rénové une grande bâtisse, non loin de l’église du Béguinage, poussant la coquetterie jusqu’à demander au paysagiste anversois Jacques Wirtz de lui dessiner un jardin. Propos d’un infatigable piéton.

La liberté. « La ville reste la liberté à partir de laquelle on peut avoir, par des solidarités qui se construisent, plus de justice sociale. Internet n’est pas le substitut de la ville. On surveille vos goûts, qui vous fréquentez… En revanche, on peut encore parler discrètement au fond d’un vieux café. D’autre part, du point de vue de la communication essentielle, celle qui fait l’homme, c’est le contact charnel qui compte. Je ne dis pas que la rue trop présente ou la publicité trop violente ne finissent pas par fatiguer ou agresser. C’est pourquoi le logement de qualité est le pendant de la ville de qualité: c’est le lieu où l’on peut fermer la porte à l’autre. Ma grande crainte, c’est la trop forte sélection que l’on a par rapport aux autres. Chacun dans son petit lotissement, sa petite maison, son petit terrain. De votre propre société, vous ne voyez rien puisque vous êtes enfermé dans la bulle de votre maison, de votre voiture, de votre bureau. Vous n’êtes plus dans des lieux où l’aléatoire est possible. »

La pauvreté. « Il est normal que la pauvreté s’installe en ville quand elle a la liberté de le faire. Pourquoi les pauvres ont-ils besoin de la ville ? Parce que la ville est un équipement collectif fantastique ! Dans les Marolles, il y avait des tas de taudis, mais les « taudisards » étaient tout près de l’hôpital Saint-Pierre. « La rue, c’est le salon du pauvre », disait le curé des Marolles Jacques Vanderbiest. Elle doit avoir la qualité d’un salon pour ceux qui n’en ont pas.

L’autre. « La ville est le plaisir de l’autre. Si on n’aime pas la ville, on n’aime pas les autres. Je ne suis pas naïf, ce n’est pas simple… Mais vivre dans l’homogénéité donne l’imbécilité au sens latin du terme: la faiblesse mentale. Une femme de tradition musulmane, éduquée de façon traditionnelle, doit pouvoir rencontrer une femme de tradition occidentale et qui n’est pas une putain, même si elle n’a pas le voile. Inversement, on doit pouvoir, nous, découvrir que les femmes qui portent le tchador ne sont pas toutes des femmes étroites, fermées, avec qui il est impossible de parler. »

Lotissements. « Je suis contre les lotissements ridicules qui saccagent tout ce pays. Mais la liberté de vivre en ville n’est pas facilement réalisable. Il y a des kilomètres carrés de bâtiments vides qui appartiennent soit aux pouvoirs publics, soit aux promoteurs, qui ne les mettent pas sur le marché. Je me bats aussi contre les faux concepts: un lotissement, ce n’est pas la campagne. On va pour le bon air ? Tout le monde sait bien que les nuages de pollution voyagent avec le vent et se déplacent aussi au-dessus de la périphérie. On détruit tout sur son passage, on pollue avec deux bagnoles, on coupe l’espace en petits morceaux par des autoroutes de communication ! Et maintenant, il faudrait un RER, un TGV ? Moi, je crois qu’on va en périphérie pour fuir l’hétérogénéité de la ville. »

La Wallonie. « Elle a une urbanisation de consommateurs, pas de producteurs. Il n’y a pas de villes en Wallonie. Il faut se rendre compte qu’une ville de 200 000 habitants, dans la concurrence internationale, ce n’est rien. Ce qui vit bien, c’est ce qui se trouve à côté de Bruxelles, à cause de l’université. L’urbanisation wallonne est trop faible par rapport aux exigences d’une société dynamique, qui doit être une sorte de bouillon de culture, où l’innovation est intéressante, où le contrôle social disparaît. La Wallonie est un pays de contrôle social. Pourquoi, à l’instar des élections européennes, n’y a-t-il pas un seul arrondissement électoral wallon pour que les parlementaires se sentent solidaires de Saint-Vith à Commines ?

(1) La Ville, même petite, René Schoonbrodt et Luc Maréchal, Labor, 2000. Castells/Labor

Entretien: Marie-Cécile Royen

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