Le 29 août 2020, quelques centaines de manifestants radicalisés opposés aux mesures anti-Covid tentent de pénétrer dans le Reichstag à Berlin, cinq mois avant l'assaut du Capitole à Washington. © GETTY IMAGES

Europe: la menace croissante de l’ultradroite

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La crise sanitaire, propice au repli sur soi, aux thèses complotistes et à la contestation de l’Etat, favorise les groupuscules à la droite de l’extrême droite. Jusqu’à verser dans la violence?

Le contexte

En France, la contestation du mariage pour tous, les attentats islamistes et la révolte des gilets jaunes ont dopé depuis quelques années l’audience de l’ultradroite. La critique de la politique migratoire d’Angela Merkel a eu le même effet en Allemagne. Depuis presque un an, la crise sanitaire et son cortège de mesures contraignantes et de confinements propices au repli ont encore contribué à la diffusion des idées radicales à la droite d’une extrême droite, le Rassemblement national et l’Alternative pour l’Allemagne, qui n’a pas coupé tous les ponts avec ses concurrents plus extrêmes. Ce terreau fait craindre aux autorités et aux services concernés des recours à la violence.

Avant le Capitole à Washington le 6 janvier sous la poussée des partisans excités de Donald Trump, un autre parlement emblématique avait subi les assauts d’une foule menaçante. Le samedi 29 août 2020, le Reichstag était pris pour cible par quelques centaines de jusqu’au-boutistes présents à une manifestation qui avait rassemblé près 40.000 personnes contre les mesures sanitaires anti-Covid à Berlin. Ils allaient être empêchés de pénétrer dans le bâtiment. Mais la tentative, par sa symbolique antidémocratique, provoqua un choc dans la classe politique et parmi la majorité de la population.

A Berlin, les contestataires étaient un mixte de militants opposés aux mesures sanitaires, de complotistes, d’activistes d’extrême droite et de néonazis, les motivations pouvant se conjuguer. Le précédent américain, les tensions croissantes autour des confinements et des couvre-feu, comme les Pays-Bas et le Danemark en ont fourni des exemples, ainsi que la durée inattendue de la crise sanitaire, font de plus en plus craindre à certains une irruption de violences incontrôlées. D’autant plus que, ces dernières années, la focalisation des services de renseignement européens sur le terrorisme islamiste les a distraits de la surveillance d’autres menaces et que le repli sur sa communauté, qu’encouragent les mesures de protection sanitaire, serait exploité par des groupes radicaux dans les méandres discrets des réseaux sociaux.

La loi n’est pas forcément adaptée à la lutte contre ces groupes quand ils sont simplement dans la radicalisation ou dans l’agit-prop.

Reichsburger et Querdenker

En Allemagne, les Reichsbürger, ces citoyens qui nient la légitimité de la République fédérale née en 1949 et qui se sont illustrés devant le Reichstag à l’été 2020, seraient passés de 16 500 en 2018 à 19 000 l’an dernier et réuniraient des militants de plus en plus radicalisés, selon les services de renseignement intérieur du BVG. Les Querdenker, « ceux qui pensent autrement », les ont rejoints dans la contestation de l’Etat fédéral à l’occasion de la crise sanitaire dont ils contestent certaines dispositions jugées liberticides. Depuis le début de la pandémie, ils sont particulièrement actifs en Allemagne, souvent en symbiose avec les idées des dirigeants de la formation d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (lire l’encadré en début d’article). A ces deux groupes, s’ajoutent les militants néonazis de plus ancienne implantation. Ils se montrent de plus en plus actifs comme le prouve l’assassinat, le 2 juin 2019, du préfet de Kassel dans le Land de Hesse, Walter Lübke (CDU). Le premier d’un dirigeant politique par l’extrême droite depuis la Seconde Guerre mondiale. Ancien membre du parti néonazi NPD, Stephan Ernst, son assassin, a été condamné le 28 janvier 2021 à la réclusion à perpétuité.

En France, un groupe composé notamment d’anciens militaires et policiers, Action des forces opérationnelles (AFO), a été démantelé et treize de ses membres ont été arrêtés en juin et juillet 2018. Il projetait des actes terroristes, notamment l’empoisonnement de nourriture halal. La révolte des gilets jaunes, à l’automne 2018 et au printemps 2019, a révélé une tentative d‘instrumentalisation par l’ultradroite. Elle s’est notamment manifestée par le saccage de l’Arc de Triomphe dans la capitale le 1er décembre 2018, auquel ont participé des membres des Zouaves de Paris, nouvelle dénomination du Bastion social, anciennement Gud pour Groupe union défense, une association étudiante violente active dans les années 1970.

Une lutte compliquée

Le mouvement Génération identitaire s’est fait remarquer, lui, sur le front du combat antimigrants en montant des opérations, à visière découverte et à banderole hissée, dans les Alpes à la frontière avec l’Italie, le 21 avril 2018, et plus récemment, le 19 janvier dernier, dans les Pyrénées, à quelques encablures de l’Espagne. Ceux qui ont participé à la première, poursuivis pour « confusion avec l’exercice d’une fonction publique », ont été relaxés le 16 décembre 2020 par la cour d’appel de Grenoble. Après la seconde, le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin a exprimé son intention de dissoudre le groupe. Une mesure dont beaucoup doutent de l’efficacité, l’histoire ayant montré que les groupuscules dissous renaissent rapidement de leurs cendres sous d’autres noms. « Les autorités apparaissent impuissantes face à ce phénomène, observe Jean-Michel Décugis, coauteur de La Poudrière, une plongée dans l’ultradroite française contemporaine. La loi n’est pas forcément adaptée à la lutte contre ces groupes quand ils sont simplement dans la radicalisation ou dans l’agit-prop comme Génération identitaire. »

La partie légale des activités de cette ultradroite ne cesse pourtant d’inquiéter les services de renseignement et le pouvoir politique. La parole décomplexée, radicale et haineuse qui est diffusée par ce biais dans la population est considérée comme un terreau fertile pour des passages à l’acte de groupuscules organisés ou de radicalisés solitaires. En Allemagne aussi, l’arme de la dissolution, appliquée au groupe de Reichsbürger, Peuples et tribus allemands unis, en mars 2020, semble un brin dérisoire vu les défis que pose l’extrême droite radicale. Le ministre-président de Bavière, Markus Söder (CDU), n’a pas hésité dans une interview au quotidien Die Welt le 10 janvier dernier, à agiter la menace d’une « Corona-RAF » en référence à la Fraction armée rouge d’extrême gauche qui versa le sang d’innocents pour des raisons idéologiques dans les années 1970-1980. Entre la « Corona-RAF » redoutée par certains et la Corona-dictature dénoncée par d’autres, les démocraties européennes risquent de perdre de leur crédit au terme de cette crise sanitaire.

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