Manifestation houleuse de gilets jaunes fin 2018 près de l'Elysée, à Paris: Emmanuel Macron est une cible de l'ultradroite. © BELGA IMAGE

« Le nombre de militants est très sous-évalué »

Jean-Michel Décugis, journaliste au Parisien et coauteur de La Poudrière (1), redoute l’effet boomerang des confinements qui ont accru la radicalisation des partisans de l’ultradroite.

Quel état des lieux dressez-vous des groupes de l’ultradroite en France?

L’ultradroite en France est une nébuleuse éclatée entre différents courants, les ultranationalistes, les révisionnistes, les catholiques intégristes, les néofascistes, les populistes… Ces groupuscules n’ont pas grand-chose en commun, se combattent parfois physiquement et ont souvent à leur tête des chefs qui se détestent entre eux. Ils peuvent cependant se retrouver dans la rue autour d’un combat commun. Cela a été le cas en 2013 avec les manifestations contre le mariage pour tous, en 2015 après les attentats auxquels l’ultradroite a répondu par une recrudescence d’actes antimusulmans, et en 2018-2019 à la faveur des protestations des gilets jaunes. Selon les experts et les chercheurs, le nombre des militants de ces groupes ne progresse pas. Nous pensons, de notre côté, qu’il est très sous-évalué. Notamment parce que les sites de la fachosphère sont suivis par des centaines de milliers de personnes. Et puis, cinq projets d’attentat ont été déjoués depuis 2017 par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Ce n’est pas rien.

Au bout de six mois de présidence, Emmanuel Macron avait reçu plus de menaces de mort que François Hollande pendant tout son mandat.

Qu’est-ce qui a changé ces dernières années dans cette nébuleuse?

C’est d’abord la fachosphère, cette résonance dont dispose l’ultradroite sur les réseaux sociaux. Et c’est aussi la menace des survivalistes dont une frange se radicalise. Ils ont la quarantaine ou la cinquantaine. Ils ne correspondent pas au profil traditionnel du facho, le skin tatoué et crane rasé. Ils ressemblent à monsieur Tout-le-monde et sont prêts à prendre les armes pour défendre leur famille, leur patrie face au « péril islamiste ». Ils sont méfiants et utilisent des techniques de communication très discrètes. Cette mouvance est encore très méconnue des services de renseignement. Les membres du groupe Action des forces opérationnelles (AFO), arrêtés en juin et juillet 2018, ont réussi pendant des mois à passer à travers les mailles des services de renseignement avant d’être repérés. Plus récemment, le forcené qui a tué trois gendarmes dans la nuit du 22 au 23 décembre 2020 à Saint-Just, dans le Puy-de-Dôme, était radicalisé à l’ultradroite et surarmé. Il était pourtant totalement inconnu des services de renseignement. Pour ceux-ci, c’est une vraie inquiétude: un « loup solitaire » qui, sur le modèle d’Anders Behring Breivik en Norvège (NDLR: 77 morts à Oslo et sur l’île d’Utoya le 22 juillet 2011) et de Brenton Tarrant en Nouvelle-Zélande (NDLR: 51 morts à Christchurch le 15 mars 2019), passe à l’acte et commet une tuerie de masse.

La Poudrière, par Jean-Michel Décugis, Pauline Guéna et Marc Leplongeon, Grasset, 240 p.
La Poudrière, par Jean-Michel Décugis, Pauline Guéna et Marc Leplongeon, Grasset, 240 p.

Une des conséquences de cet activisme est-elle une banalisation de la haine?

Les idées de l’ultradroite sont portées dans les débats. Elles pèsent sur la résilience des Français, de plus en plus mise à mal. Aujourd’hui, des intellectuels et des politiques véhiculent les idées du « grand remplacement » ou de « l’ensauvagement » de la société, qui sont des thèmes de l’ultradroite. Le terrorisme, on sait le combattre. Les services de renseignement peuvent a priori éviter des attentats. Il est plus difficile en revanche de lutter contre la radicalisation rampante dans le débat public. Elle est très dangereuse parce qu’elle représente un terreau propice au passage à l’acte de personnes fragilisées. Pour avoir surveillé les réseaux sociaux, nous sommes convaincus que le confinement aura encore accentué cette radicalisation. Les gens se sont repliés plus encore sur eux-mêmes en cultivant leur paranoïa et leur défiance envers l’Etat. L’effet boomerang de la crise sanitaire risque d’être terrible, avec des personnes qui seront des bombes à retardement.

L’assaut du Capitole le 6 janvier dernier aux Etats-Unis peut-il inspirer l’ultradroite en France?

Il est clair que l’ultradroite française est trumpiste. Le coup de force du Capitole a provoqué une effervescence terrible sur les réseaux sociaux. Toute la fachosphère s’est reconnue dans cette action. Du reste, la France n’est pas passée très loin de ce scénario. En novembre 2018, des gilets jaunes ont failli entrer dans l’Elysée. Et en mars de l’année suivante, certains se sont introduits, au moyen d’un tractopelle, à l’intérieur du ministère de Benjamin Grivaux, alors porte- parole du gouvernement. Il y a déjà eu des alertes sérieuses. Au bout de six mois de présidence, Emmanuel Macron avait reçu plus de menaces de mort que François Hollande pendant tout son mandat. C’est un signe. Le couple Emmanuel et Brigitte Macron est une cible. Parmi les cinq groupuscules de l’ultradroite démantelés en France pour des projets d’attentat, deux au moins voulaient s’en prendre au président.

(1) La Poudrière, par Jean-Michel Décugis, Pauline Guéna et Marc Leplongeon, Grasset, 240 p.

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