L’oeil et la plume

Maître du réalisme magique et poétique, l’Anversois Guy Vaes est une toute grande pointure de nos lettres, à l’écriture dense, visionnaire et rigoureuse

Né en 1927 à Anvers, dans une famille vouée au culte de la littérature, Guy Vaes, après avoir fait connaissance avec le traumatisme de l’école qui « ne lui sera pas d’un grand secours », prend lui-même sa véritable éducation en main en fréquentant bouquineries et librairies durant toute la Seconde Guerre. Verne, Stevenson et quelques autres seront ses premiers maîtres. Passionné de bande dessinée que, en excellent dessinateur, il pratique lui-même, il découvre aussi le jazz et, bien entendu, écrit (notamment une pièce qui se termine par l’explosion de la salle et la mort de tous les spectateurs). Les aspects ambigus du fantastique, de l’étrange surtout, l’attirent et contribueront à former une thématique qui devra beaucoup à ses promenades crépusculaires dans son Anvers natal et dans la rumeur d’un fleuve qui traverse ses quatre romans.

Radicalement allergique au travail tel que la société l’entend, il se décide finalement, cédant aux injonctions de sa mère, à gagner son pain. Il opte pour le journalisme qui – dit-il – lui permet de se lever tard. Entre-temps, il a effectué des séjours (peu stimulants) à Paris, écrit des nouvelles et des poèmes, cultivé son amour pour les maîtres singuliers (les seuls vrais, selon lui) de la littérature, et pour les Anglo-Saxons en particulier.

En 1956, il publie chez Plon son premier roman, Octobre long dimanche, qui suscite l’enthousiasme des plus grands. A son propos, on évoquera Robbe-Grillet (en moins sec) et Camus (en plus souterrain). Réédité par Jacques Antoine, ce roman restera un des grands classiques du réalisme magique et poétique qui, avec des nuances diverses, imprègne toute son oeuvre. En 1959, il fait deux rencontres capitales: son épouse, Lydie, et Londres, qui le hantait depuis longtemps et qui, aujourd’hui encore, à ses yeux, « supplante la Jérusalem céleste ». Il lui consacre peu après un essai magistral ( Londres ou le labyrinthe brisé). Et, plus tard, en 1978, l’album Les Cimetières de Londres témoignera de sa passion conjuguée pour ces lieux reposants et pour la photographie qu’il pratique d’un regard chirurgical et prompt à piéger l’étrangeté, qu’elle soit mélancolique, déraisonnable, facétieuse ou purement picturale. Ce talent lui vaudra d’ailleurs une rétrospective au musée provincial de la Photographie d’Anvers. Images, encore: à partir des années 1970, il assume, entre autres, la rubrique cinématographique d’un hebdomadaire bruxellois.

Ses nombreux séjours à l’étranger et sa fascination pour les villes lui inspirent divers textes et, chemin faisant, affleurent dans ses romans: Edimbourg, Singapour, Lyme Regis (Angleterre), Madrid ou New York qui occupe une place fort importante dans Les Apparences… On lui doit aussi La Flèche de Zénon, un essai publié pour la première fois en 1966: un des premiers ouvrages consacrés aux rapports entre le temps et la fiction, si éloigné des modes qu’il a lui-même échappé à l’usure du temps et reste un texte de base sur le sujet.

Quant à l’oeuvre du romancier – sans doute la plus connue du public -, elle se signale davantage par sa densité, par ses enchantements (au double sens du terme) et par la poétique de sa vision et de son écriture que par son abondance. Du reste, outre Octobre long dimanche, les titres ne sont pas sans évoquer les malices d’un maître de l’illusion si l’on veut bien admettre que l’illusion, – celle que l’on joue et celle par laquelle on est joué – soit la seule réalité qui conditionne le sens ou le mal de vivre. Après L’Envers (Jacques Antoine, prix Rossel 1983), L’Usurpateur (Labor, 1994), c’est Les Apparences (éd. Luce Wilquin, 2001) qui témoigne du parfait accord entre l’extrême rigueur de la vision et l’évasive fluidité de son objet.

Les romans ne doivent, toutefois, pas faire oublier que Guy Vaes est aussi l’auteur de plusieurs recueils de poèmes. Et de nouvelles, dont le texte inédit publié dans ces colonnes confirme la portée existentielle.

Aujourd’hui membre de l’Académie de langue et de littérature françaises et considéré comme un de nos poètes et romanciers majeurs, Guy Vaes n’en continue pas moins à professer que l’écrivain, pour qui « rien n’est jamais définitivement acquis, se retrouve toujours à la case départ ».

Ghislain Cotton

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