Il était une fois le Petit Nicolas

L’écolier en culottes courtes souffle ses… 50 bougies. Pour célébrer cet anniversaire, durant tout l’été, Le Vif/L’Express vous propose chaque semaine une histoire complète du duo Sempé-Goscinny. Mais comment cette saga, née en Belgique, a-t-elle réussi à ne pas prendre une ride ? Récit.

Quel âge pourrait-on donner au Petit Nicolas ? 8 ans ? 9 ? 10 ? Non, le petit écolier au pull rouge vient tout juste de fêter ses 50 ans. Et sans une ride ! La toute première histoire signée Sempé (voir également notre entretien en page 8) et Goscinny est parue le 29 mars 1959 dans les colonnes de Sud-Ouest Dimanche. Depuis un demi-siècle, le petit héros et sa  » bande de chouettes copains  » – Alceste, Agnan, Eudes, Clotaire… – imprègnent l’inconscient collectif. Les trois tomes d’inédits publiés depuis 2004 sont sur le point de franchir la barre du million d’exemplaires. Et une adaptation cinématographique audacieuse sortira le 30 septembre (voir page 79). Pourtant, quelle énigme ! Comment un petit garçon qui compte en anciens francs, porte la cravate et n’a pas la télévision parvient-il à séduire la génération YouTube ?

A l’origine, Nicolas est une création graphique du seul Sempé, en 1956, dans les colonnes de Moustique.  » Un jour, je leur ai proposé le dessin d’un petit garçon en culottes courtes qui se roulait dans la boue, se souvient le dessinateur. Le rédacteur en chef m’a dit :  » Trouvez-lui un nom d’ici demain !  » En me rendant en bus au rendez-vous, je tombe sur une publicité pour les vins Nicolas. J’ai trouvé que cela lui allait pas mal…  » Chaque semaine, Sempé vient remettre ses dessins pour Le Moustique à la World Presse, sur les Champs-Elysées.  » Par un doux après-midi du printemps 1955, on me présente un jeune homme qui débarquait des Etats-Unis. C’était René Goscinny. Nous étions tous les deux extrêmement timides. Pour moi, cet homme était un explorateur – il avait vécu à New York ! Nous sommes allés manger des oursins dans une brasserie. Dès le premier soir, nous étions amis. « 

C’est Henri Amouroux qui sera le  » parrain  » de l’alchimie entre les deux compères. En ce début du printemps 1959, l’historien de l’Occupation cherche une histoire un peu originale pour le numéro de Pâques de Sud-Ouest Dimanche, dont il est rédacteur en chef.  » Pourquoi ne pas utiliser le Petit Nicolas ?  » lance Goscinny. Quelques jours plus tard, il débarque chez Sempé avec un texte dactylographié. Ce dernier raconte :  » Il y avait Nicolas, mais aussi toute une bande de copains aux noms étranges – Eudes, Rufus, Maixent – et un surveillant général surnommé le Bouillon. Tout était en place, c’était merveilleux.  » Tout, c’est-à-dire Alceste,  » un gros qui mange tout le temps  » ; Agnan,  » le chouchou de la maîtresse  » ; Clotaire,  » le dernier de la classe  » ; Geoffroy,  » son papa est très riche « , etc. Et puis une série d’adjectifs – avec Nicolas, tout est  » chouette  » ou  » terrible  » – de gimmicks –  » on a bien rigolé « ,  » elle est gentille mémé  » – et le parfum délicieux d’une enfance idyllique entre des copains fidèles et des adultes au comportement toujours incompréhensible. Le Petit Nicolas a trouvé sa formule.

Son univers emprunte autant à la cour de récréation du collège français de Buenos Aires, où Goscinny était un élève modèle, qu’à l’école de Bordeaux, où Sempé se distinguait plutôt comme chahuteur. Question subsidiaire : où vit le Petit Nicolas ? Paris, Bordeaux, banlieue parisienne ? C’est en vain que l’on cherche le moindre indice.  » Mais partout et nulle part ! On ne voulait surtout pas situer ces aventures géographiquement. J’ai toujours été comme ça dans mes dessins « , insiste Sempé. Quant au cadre chronologique, certains événements – l’arrivée de la télévision dans la famille de Nicolas, les exploits de Kopa ou de Robic, les anciens francs… – laissent à penser que l’on se trouve quelque part dans les fifties.

Le premier volume est un flop

 » Chaque semaine, je recevais les feuillets de René, tapés à la machine, sans la moindre rature, poursuit Sempé. Une fois, seulement, je m’étais permis une suggestion et je l’ai regretté. Il faisait dire à l’un des enfants :  » Nos mamans sont chouettes.  » J’avais objecté qu’un enfant aurait plutôt dit :  » Nos mères sont chouettes.  » René, qui était ultrasensible, l’a mal pris. Je n’ai plus jamais fait la moindre remarque. J’étais émerveillé par ses textes. Je me souviens en particulier d’un passage où il racontait comment la salle de classe du Petit Nicolas était soudainement devenue sombre et qu’il avait donc fallu allumer la lumière. De la vraie littérature… « 

La série est assez rapidement reprise en album. Là encore, le hasard a sa part. L’épouse d’Alex Grall, patron des éditions Denoël, a pour habitude de passer ses vacances du côté de Bordeaux. Chaque dimanche, elle s’amuse des aventures de ce Petit Nicolas dans Sud-Ouest.  » Tu devrais éditer cela « , glisse-t-elle à son époux. Le premier volume, tout simplement intituléLe Petit Nicolas, sort en 1960. C’est un flop.  » Nous n’avons dû notre salut qu’à une inconnue, sourit Sempé. Il s’agissait d’une libraire. En ce temps-là, il existait une coutume charmante : si vous commandiez douze exemplaires d’un ouvrage, on vous en offrait un treizième gratuit. On appelait cela le « treize douzième ». Eh bien, cette libraire venait chaque semaine chez Denoël et repartait avec ses treize Petit Nicolas. C’est elle qui a sauvé la série. « 

Un autre événement va faire connaître la  » bande de chouettes copains  » du duo Sempé-Goscinny. A la parution du deuxième volume, Les Récrés du Petit Nicolas, en 1961, les deux complices sont invités à Lectures pour tous, la très sérieuse émission littéraire de l’ORTF. Ce jour-là, les deux créateurs livrent quelques clefs fondamentales du Petit Nicolas. Goscinny, à propos du point de vue narratif :  » C’est Nicolas qui raconte l’histoire, comme la raconterait un enfant, c’est-à-dire sans faire de mots d’enfant.  » Voilà qui explique sans doute pourquoi la série a toujours évité le redoutable écueil du  » gnangnan « . Et Sempé :  » C’est un livre pour les parents quand ils ont des enfants, et pour les enfants quand ils ont des parents.  » Ce qui finit par faire pas mal de monde…

D’ailleurs, en 1964, la série décolle. Plus rien ne l’arrêtera. Depuis sa création, toutes éditions confondues, il s’en est écoulé 9 millions d’exemplaires en France. Ajoutons à cela des traductions dans 37 langues et 220 contrats à l’étranger – Le Petit Nicolas est un best-seller en Allemagne, en Pologne, en Grèce – et une entrée dans les manuels scolaires de sixième et de cinquième.

Enfin, sur un plan plus personnel, le Petit Nicolas ne sera pas tout à fait étranger à la naissance d’une idylle entre Goscinny et une charmante jeune femme, rencontrée lors d’une croisière et prénommée Gilberte, qui ignorait tout de lui.  » Il m’a donné Le Petit Nicolas et les copains pour que je voie à peu près ce qu’il faisait… J’ai lu, et je me suis dit : cet homme est un génie !  » Un génie qui deviendra bientôt son époux.

Pourtant, malgré le succès, alors que Goscinny avait déjà établi le sommaire d’un sixième tome, qui devait s’appeler Le Petit Nicolas et ses voisins, la série s’interrompt en 1965. Sempé raconte :  » J’ai dit à René : « Il faut que nous arrêtions avant d’être prisonniers de nos personnages. Si jamais on trouve une idée qui permette de renouveler totalement la série, alors nous nous y remettrons. »  » Cela faillit arriver.  » J’avais eu une idée, poursuit Sempé : les écoles devenant mixtes, pourquoi ne pas imaginer Nicolas dans un tel cadre ? Lors d’un déjeuner, j’en ai fait part à René. Il était emballé. Je sais qu’il aurait traité le sujet à sa manière, de façon très pudique. Un mois après, il disparaissait…  » Après la mort de Goscinny, en 1977, le succès, pourtant, ne se dément pas. La reprise des albums Denoël en Folio va même démultiplier les ventes : depuis 1960, il s’est vendu 155 000 exemplaires du premier tome, Le Petit Nicolas, en grand format, mais 3,1 millions en poche !

640 000 fans ont fait de l’albumle best-seller de l’année 2004

Le Petit Nicolas aurait pu ainsi continuer indéfiniment sa petite vie.  » Mais il y a six ans, se souvient Sempé, Anne, la fille de René, m’a appelé pour me dire qu’elle avait retrouvé des dizaines d’histoires publiées dans la presse, mais inédites en album. Elle est venue me les montrer, je les ai lues et je suis retombé sous le charme.  »  » Nous sommes alors partis à la recherche des dessins de Sempé et nous avons décidé de publier le tout « , raconte Aymar du Chatenet, mari d’Anne Goscinny et éditeur de ces inédits. Le couple crée sa maison d’édition, Imav, et fait le pari fou de réunir 80 histoires inédites dans un épais volume de 640 pages. Au départ, prudents, les époux pensent en imprimer 15 000 exemplaires. Sentant un certain enthousiasme du côté des libraires, ils en commandent finalement 50 000. Le livre sort le lundi 4 octobre 2004.  » Le vendredi matin, l’acheteuse jeunesse de la Fnac m’appelle et me dit :  » On n’en a pas assez, on ne tiendra jamais le week-end ! «  »  » Alors on a réimprimé en urgence « , raconte Aymar du Chatenet. En quelques mois, 640 000 fans du Petit Nicolas vont faire de ce livre le best-seller toutes catégories de l’année. Une nouvelle vie commence pour le petit écolier.

Deux nouveaux tomes sortent, en 2006 et en 2009, Sempé reprenant même ses pinceaux pour illustrer certaines histoires dont les dessins étaient perdus. Et le succès, à chaque fois, est au rendez-vous. Alors, quel est son secret ? Cri du c£ur de Sempé :  » Mais Le Petit Nicolas était déjà démodé au moment même où nous le faisions, à l’époque ! Voilà pourquoi il est intemporel… « 

l J. D.

Jérôme Dupuis

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