EUROPE

Un an après l’euphorique sommet de Lisbonne, les Quinze sont, aujourd’hui, confrontés à la mise en oeuvre concrète d’un vrai modèle socio-économique. Voici les enjeux

« Dans dix ans, l’Europe aura l’économie la plus compétitive du monde, et l’Union connaîtra le plein-emploi », assuraient fièrement, il y a tout juste un an, à Lisbonne, les chefs d’Etat et de gouvernement des Quinze. Dans le même élan, ils décidaient de se retrouver tous les ans, au printemps, pour débattre les questions économiques et sociales. Ce week-end, à Stockholm, lors de cette première réunion d’évaluation, ces mêmes chefs d’Etat et de gouvernement constateront sans doute que ce bel enthousiasme est quelque peu retombé. Non pas que les Européens n’y croient plus. Simplement – pourrait-on dire -, ils sont entrés dans le vif du sujet en abordant la délicate application concrète des mesures décidées dans la capitale portugaise. Des mesures destinées, ni plus ni moins, à révolutionner la bonne vieille Europe, même si ses dirigeants se sont empressés de rappeler dans toutes les langues combien ils tenaient au fameux modèle social européen, un modèle aux multiples visages mais dans lequel on retrouve plusieurs constantes: une protection sociale organisée par l’Etat et un dialogue (plus ou moins efficace) entre partenaires patronaux et syndicaux.

Timidement d’abord, puis plus clairement, les Quinze ont osé briser un tabou vieux de plusieurs années: à Lisbonne, ils ont accepté l’idée qu’ils pouvaient s’inspirer du modèle américain, si souvent décrié. Les conclusions du sommet égrenaient donc une série de mesures, qui vont de l’accès pour à Internet pour tous à la libéralisation complète des secteurs des transports, des communications, de l’énergie, en passant par la modernisation des systèmes de protection sociale, le renforcement de la formation et la lutte contre l’exclusion sociale. Avec la volonté d’arriver, en 2010, à un taux d’emploi de 70%, alors qu’il atteint aujourd’hui à peine 60%.

La méthode choisie est simple mais originale: les chefs d’Etat et de gouvernement partagent leur expérience, se fixent des objectifs très détaillés avec des délais précis, mais n’imposent aucune sanction pour un pays qui ne respecterait pas ce calendrier.

Ces 23 et 24 mars, à Stockholm, les Quinze et la Commission ne pourront que constater leurs retards: les services postaux ne sont pas près d’être libéralisés, plusieurs pays s’y opposant. L’ouverture du marché du gaz piétine, même si la Commission propose de libéraliser totalement le secteur en 2005; la réglementation des marchés publics en est à ses balbutiements, et le brevet européen est resté dans les limbes. Quant à la stratégie de formation tout au long de la vie, elle peine à démarrer réellement.

Ces retards ne risquent toutefois pas de traumatiser les Quinze puisque l’an 2000 s’est révélé un très bon cru pour l’Union européenne: sans trop se démener – pour ainsi dire -, les Européens ont créé quelque 2,5 millions d’emplois. De plus, l’objectif de 3% de croissance a été atteint et, selon la Banque centrale européenne, ce taux pourrait se maintenir cette année, voire l’an prochain, tandis que l’inflation est jugulée et que l’assainissement des finances publiques se poursuit.

Mais, pour la Commission, les Européens auraient tort de se reposer sur leurs lauriers. « Il est temps de passer à l’action. Nous ne pouvons pas nous réfugier derrière les bonnes perspectives économiques actuelles et prétendre que la croissance suffit. Si nous n’agissons pas maintenant, les efforts que nous avons consentis pour améliorer la compétitivité de l’Europe perdront de leur crédibilité », avertit le président de la Commission Romano Prodi. Celle-ci propose donc de relancer quelques grandes mesures oubliées depuis le sommet de Lisbonne, mais aussi d’ouvrir de nouvelles discussions plus spécifiques et peut-être plus difficiles, même si les Quinze ne feront probablement qu’aborder ces points à Stockholm.

En matière d’emploi, par exemple, la Commission estime qu’il manque déjà 800 000 travailleurs qualifiés dans les nouvelles technologies, et que ce nombre pourrait facilement doubler d’ici à quelques années si les Etats membres ne s’attellent pas très vite à la mise en place de programmes de formation.

Ensuite, il s’agira de mettre en place une réelle politique de mobilité pour les travailleurs européens, impliquant dès lors une meilleure reconnaissance des diplômes d’un Etat à l’autre, de même qu’une certaine coordination des systèmes de protection sociale pour supprimer les obstacles administratifs à la mobilité intraeuropéenne.

Enfin, la Commission se lance dans un débat difficile en avançant l’idée qu’une certaine ouverture des frontières à l’immigration légale pourrait soutenir l’économie de l’Union européenne. « A partir de 2007, notre population active pourrait ne plus suffire à satisfaire l’ensemble de nos besoins économiques. Il faut définir une politique d’immigration à l’échelle européenne », estime ainsi Romano Prodi.

L’Allemagne a déjà lancé un appel aux informaticiens formés en Inde ou dans d’autres pays extraeuropéens, mais tous les Etats membres ne sont pas prêts à s’engager dans cette voie. Actuellement, chaque pays reste maître de sa politique d’immigration.

Le problème est d’autant plus brûlant qu’il se combine avec le déclin démographique constaté dans toute l’Union et avec le vieillissement des populations. Non seulement il y aura moins d’actifs pour assurer le paiement des pensions mais, en outre, le poids financier des retraites pèsera de plus en plus lourd dans les budgets nationaux. Tous les Etats membres sont logés à la même enseigne.

Si le sujet sera bien abordé à Stockholm, personne ne s’attend pour autant à des décisions concrètes. A la fin juin, les Quinze reviendront dans la capitale suédoise. Et la Belgique espère alors obtenir de ses partenaires européens un mandat pour pouvoir, quand elle présidera l’Union, au second semestre 2001, lancer le débat sur l’avenir des pensions. Tous les Etats membres ne sont cependant pas très chauds à l’idée de voir l’Union se saisir de ce dossier, même très prudemment. La Grande-Bretagne et le Danemark, notamment, estiment qu’il s’agit là d’une compétence strictement nationale.

Consciente des faiblesses prévisibles de « son » sommet de Stockholm, la Suède, qui préside actuellement l’Union européenne, veut aller plus loin que le simple prolongement de Lisbonne. Ainsi a-t-elle mis les biotechnologies au menu du week-end. Des biotechnologies qui ont des répercussions sur l’industrie pharmaceutique, sur l’agroalimentaire, sur la recherche de nouveaux combustibles moins polluants, etc.

Dans ce domaine également, l’Europe est à la traîne par rapport aux Etats-Unis: les dépenses de recherche sont moins élevées dans l’Union. Selon une étude de la Commission, l’Europe ne compte que 50 000 personnes travaillant dans ce secteur, contre 160 000 en Amérique, alors que le nombre d’entreprises est à peu près comparable. Mais l’apport de capital à risque, destiné à lancer ou à soutenir des entreprises de pointe, atteint à peine un tiers des investissements que peuvent recueillir les mêmes sociétés aux Etats-Unis. La Commission espère donc susciter chez les Quinze une certaine motivation pour, par exemple, accélérer la création d’un brevet communautaire et pour renforcer la protection juridique des inventions biotechnologiques.

L’inscription des biotechnologies l’ordre du jour de Stockholm n’est sans doute pas un pur hasard.

L’an dernier, à Lisbonne, les Quinze n’avaient comme modèle que la « Net-économie » américaine, capable selon certains de créer des millions d’emplois. Mais, aujourd’hui, cette « nouvelle économie » se porte nettement moins bien outre-Atlantique. L’ambiance a changé dans les start-up américaines, et aucun Européen n’oserait plus affirmer qu’elles sont la panacée pour tous les problèmes d’emploi.

Comment pourra-t-on juger le sommet de Stockholm? Certains Etats membres, comme la France, faisaient déjà grise mine avant même la tenue de la réunion. Ils estiment que le volet social manque cruellement dans les propositions de la Commission.

L’agenda social, adopté par les Quinze, à Nice, en décembre dernier, prévoit bien une série de mesures pour lutter contre l’exclusion sociale, contre l’inégalité entre les hommes et les femmes, contre la discrimination sous toutes ses formes. Mais ces mesures sont plus timides que celles que l’on trouve dans les chapitres économiques et financiers présentés par la Commission européenne.

Mais le sommet de Stockholm pourrait aussi rester dans l’Histoire comme celui de la vache folle et de la fièvre aphteuse: certaines délégations envisagent, en effet, d’aborder au plus haut niveau de pouvoir la question du financement de la crise agricole par l’Europe, même si, officiellement, ce dossier n’est pas à l’ordre du jour.

Bénédicte Villers

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