Entre les murs d’Entre les murs

Fiction inspirée du réel, la palme d’or de Cannes 2008 plonge dans un univers en fait méconnu : l’école. Visite au collège Françoise-Dolto, à Paris, dont élèves et professeurs ont servi de sujet et d’acteurs au film de Laurent Cantet.

Ils pensent que l’argenterie désigne les habitants d’Argentine, mais lisent La République de Platon. Ils aiment MTV Base et leur PS 3, Zizou autant que l’équipe de foot du Mali. Ils disent  » foutre  » à toutes les phrases, mais s’offusquent de se faire traiter de pétasses. Ils ont les yeux brillants – de haine ou de larmes – un sens de la repartie bluffant, le ricanement facile, l’attention volatile. Ils posent sur les adultes un £il circonspect, pas complètement irrespectueux, mais vraiment pas admiratifà

Ils se nomment Cherif, Souleymane, Louise, Khoumba, Esmeralda, Arthur, Lucie, sont élèves en classe de quatrième au collège Françoise-Dolto à Paris, l’un des 29 établissements classés zone d’éducation prioritaire (ZEP: écoles qui reçoivent des aides supplémentaires en raison de leur public défavorisé) de la capitale française. Entre les murs, palme d’or au dernier Festival de Cannes, raconte leur univers, met en scène leurs profs, effeuille les jours d’une de leurs années scolaires. Et permet au spectateur de s’infiltrer là où personne, à moins d’être soi-même élève ou enseignant, ne pénètre jamais : dans le huis clos d’une salle de classe.

 » Tout est plausible, tout est déjà arrivé, en un peu moins concentré, peut-être « , confirme Jean-Michel Simonet, sous-directeur du collège Françoise-Dolto, qui a gravi quelques échelons dans le film, puisqu’il y endosse le rôle du directeur. Entre les murs n’est pas un documentaire, mais un patchwork de scènes réelles cousu autour d’un solide fil narratif. Il n’y manque rien : ni la progression dramatique, ni les héros qui, tour à tour, agacent ou épatent, ni le dénouement qui impose le silence à une audience riant aux éclats quelques minutes avant. Cette justesse, le réalisateur Laurent Cantet l’a obtenue grâce à la méthode qu’il applique dans la plupart de ses films : un subtil dosage d’improvisation et de préparation.

 » Laurent Cantet savait exactement ce qu’il voulait pour chaque scène, mais il a su garder notre spontanéité « , poursuit le sous-directeur. En avril 2006, le réalisateur et sa productrice, qui vit dans le quartier de Belleville, sollicitent un entretien avec le directeur du collège. En une heure, ils exposent leur projet : adapter le livre Entre les murs, de François Bégaudeau, en faisant jouer les élèves et les profs du collège. L’idée séduit. Dès la rentrée de septembre, des ateliers théâtre débutent. Ils sont ouverts à tous les élèves de quatrième. Près de la moitié d’entre eux, soit une cinquantaine, décident d’y participer. Une dizaine d’enseignants se lancent aussi dans l’aventure. Tous les mercredis après-midi, les élèves s’essaient à des exercices d’improvisation, guidés par Laurent Cantet et encadrés par Vincent Caire, un enseignant également comédien (il joue le rôle, difficile, du prof qui craque devant ses collègues). Cantet oriente, écoute, prend des notes. La plupart des dialogues du film ont d’abord été prononcés lors de ces ateliers.  » Il voulait capter au plus près les mots des enfants, saisir leur fraîcheur « , se souvient Frédéric Faujas, professeur de mathématiques et  » acteur « .

En juillet 2007, le tournage débute, non dans les locaux du collège Françoise-Dolto, en réfection, mais à quelques rues de là, au lycée professionnel Erea. Les élèves ne connaissent pas le scénario, mais s’appuient sur un canevas et sur certains dialogues donnés par le réalisateur. Trois caméras réparties dans la salle de classe saisissent les mots, les regards, les situations. Les scènes sont tournées plusieurs fois, certaines d’entre elles nécessitant des dizaines de répétitions. En tout, Laurent Cantet a enregistré cent septante heures de rush ! Le reste est connu : la sélection in extremis à Cannes, l’enthousiasme de Sean Penn, président du jury, et enfin, la palme d’or, inespérée.  » Les six minutes de standing ovation, après la projection, resteront pour toujours dans nos mémoires, raconte Frédéric Faujas, encore ému. Cette expérience a apaisé les élèves, elle leur a permis d’entretenir un autre lien avec les adultes, d’avoir un autre rapport à l’institution scolaire. Certains d’entre eux n’avaient jamais rien réussi dans leur vieà « 

Car, au moment du générique de fin, reste aussi à l’esprit la photographie d’une certaine école. Entre les murs ouvre la porte sur une France multiethnique, sur des enfants au vocabulaire limité, pour qui apprendre n’est pas une évidence. Beaucoup sont perturbateurs et obligent les enseignants à trouver des solutions pour capter leur intérêt, quitte à tenter des expériences inhabituelles, à l’image du personnage principal, joué par François Bégaudeau, l’auteur du livre, également coscénariste.

Au collège Françoise-Dolto, situé dans le xxe arrondissement de Paris, il arrive aussi, comme dans le film, que la violence des élèves conduise à des affrontements physiques avec les enseignants. 50 % des collégiens viennent d’un milieu défavorisé. Beaucoup appartiennent à ces tristement célèbres 15 % d’écoliers qui entrent en sixième (l’équivalent de la 6e primaire dans le système français) sans maîtriser la lecture ni l’écriture.  » L’échec scolaire ne se résume pas à un problème d’apprentissage, précise Frédéric Faujas. Certains enfants vivent dans des hôtels de misère, doivent veiller sur neuf frères et s£urs, sont battusà C’est Zola en plein Paris. « 

A l’issue d’une projection organisée, à la mairie de Paris, pour les chefs d’établissement, une directrice, un brin revancharde, a lancé :  » Le public va découvrir le monde cruel des élèves et comprendre à quel point les profs sont démunis.  » Voilà, sans doute, pourquoi Entre les murs va marquer les esprits : il montre, mieux que tous les grands discours, une réalité complexe où n’existent pas de réponses simples. Celle de la société de demain.

Laurence Debril

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