Deux prédicateurs contre  » l’Etat trop gras « 

Les revoilà : Alain Destexhe, le francophone, et Rudy Aernoudt, le Flamand, tapent sur le clou. Selon eux, les pouvoirs publics jettent l’argent par les fenêtres. Sans distinction de régime linguistique.

« Si vous le souhaitez, nous venons faire un briefing devant toute la rédaction…  » Ces deux culottés savent s’y prendre avec les médias – ils y ont leurs entrées.  » Destexhe et Aernoudt  » sont aujourd’hui un label d’irrévérence. D’inlassables prédicateurs qui irritent ou qu’on s’arrache dans les cercles huppés. Un duo d’emmerdeurs patentés osant défier le système politique qui les a fait grandir. Au risque d’apparaître ingrats ou poujadistes… Alain Destexhe est sénateur libéral depuis plus de dix ans. Animal trop solitaire pour devenir ministre. Auteur d’un pamphlet chiffré, en 2005, sur le retard wallon. Ancien chef de cabinet de plusieurs ministres libéraux, le haut fonctionnaire Rudy Aernoudt, lui, a été licencié l’an dernier par le gouvernement flamand, dont il dénonçait l’incurie. La langue bien pendue dans un milieu où on la boucle.

On jurerait qu’ils avaient déjà écrit ensemble. Faux. Le livre qu’ils publient est leur première  » £uvre  » commune. Le résumé d’un message asséné jusque-là en solo des deux côtés de la frontière linguistique : Comment l’Etat gaspille votre argent (1). Bizarre de sortir ça la semaine où l’Etat belge, réhabilité par voie de presse, se porte au chevet des banques et prouve son utilité ? Pas de quoi embarrasser Aernoudt et Destexhe, sûrs de leur fait. A l’artillerie lourde, ils se livrent à un véritable réquisitoire contre  » l’Etat trop gras « . Leur raisonnement est simple, voire simpliste. Un : le poids du secteur public serait démesuré.  » Il faut leur dire, aux gens, qu’ils travaillent six mois par an pour l’Etat !  » s’emporte Rudy Aernoudt, qui connaît la maison. Traduit par des chiffres de la Commission européenne, cela signifie que 48,9 % de la richesse annuelle produite en Belgique (le produit intérieur brut, ou PIB) est dépensée directement par les pouvoirs publics. Rien de neuf sous la grisaille, même si ce chiffre est nettement moins élevé chez certains de nos voisins. Deux : trop de secteur public cannibalise l’initiative privée. A titre d’illustration, les deux auteurs citent les 150 000 jobs disponibles sur le marché flamand.  » Les étudiants n’en veulent pas. Ils préfèrent la stabilité et les pensions promises par l’Etat.  » Trois : l’argent public serait de plus en plus gaspillé. Aernoudt et Destexhe utilisent une statistique (crédible ?) du Forum économique mondial, cette organisation non gouvernementale – d’inspiration libérale – qui organise les sommets de Davos, en Suisse. Entre 2004 et 2006, notre  » indice de gaspillage  » se serait gravement dégradé. La Belgique passant du 26e au 50e rang mondial.

Les solutions préconisées par nos deux iconoclastes ne surprendront guère. Après leur voyage au c£ur d’un Etat jugé dispendieux, ils proposent un dégraissage aussi systématique que généralisé. Diminution des dépenses publiques de 1 % (du PIB) par an et réduction du nombre de fonctionnaires de 820 000 à 600 000. Tant en Wallonie et à Bruxelles qu’en Flandre.  » Dans le nord du pays, on ne voit pas autant les gaspillages parce que l’argent coule à flots…  » Davantage que la médecine suggérée, c’est la notice d’accompagnement qui pourrait choquer. Terminée, la langue de bois du politiquement correct. Destexhe et Aernoudt mélangent fraudes, gaspillages et corruption. Est  » corrompu « , à leurs yeux, quiconque nomme un ami politique ou utilise sa position dans l’Etat (ou celle d’un proche ; suivez leur regard) pour faire fleurir des affaires privées. Pourquoi un tel durcissement de ton ?  » Parce que les scandales des dernières années n’ont rien changé aux pratiques « , concluent les deux hommes, glaçants.

(1) Comment l’Etat gaspille votre argent , Le Vif Editions, septembre 2008.

Ph.E.

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