Courcelles, commune désargentée

Victimes de la crise, les communes actionnaires de Dexia ne recevront aucun dividende cette année. Pour Courcelles, le manque à gagner se chiffre à 800 000 euros. Un nouveau coup dur pour cette localité pauvre du Hainaut, aux finances déjà étriquées. Reportage.

Rue Jean Jaurès. L’adresse de la maison communale ne ment pas. Elle symbolise tout autant les luttes farouches pour l’émancipation de la classe ouvrière que les décennies de majorité absolue socialiste à Courcelles. Bâti en 1907, l’hôtel de ville en impose, avec son beffroi et ses vitraux. L’édifice, vestige d’une époque où rien ne semblait devoir ralentir la marche du progrès, contraste avec la physionomie générale de la commune, à l’habitat éclaté et dépourvue de centre historique. Un peu à la façon des villes du Far West au moment de la ruée vers le pétrole, Courcelles s’est développée de façon subite lors du boom industriel du bassin carolo, à la fin du xixe siècle. Puis les charbonnages ont fermé, et les gens sont restés.

Ce lundi 30 mars, la salle du conseil communal est encore baignée par une lumière printanière lorsque les débats débutent, vers 19 heures. Après vingt minutes, la discussion débouche sur l’état des routes. Aurelio Cigna, conseiller indépendant élu sur la liste MR, ouvre le tir :  » Où en est-on avec la rue d’Italie, où j’habite ?  »  » Nulle part « , répond sans sourciller l’échevin des Travaux, Christian Hansenne (PS), une armoire à glace à la voix éraillée.  » Eh bien, c’est honteux !  » grince Aurelio Cigna. Robert Tangre, représentant de l’UCPW, une formation locale fondée sur les cendres du parti communiste, prend le relais :  » Je regrette, mais celui qui entre dans Courcelles par la rue du Nord, il se demande où il est tombé. Il arrive en plein Moyen Age ! « 

Autre sujet récurrent : les jumelages. L’an passé, les festivités pour le cinquantenaire du rapprochement entre Courcelles et Guéméné, en Bretagne, avaient coûté près de 15 000 euros. Une dépense superflue, selon plusieurs mandataires. Cette année, pour le 10e anniversaire du jumelage avec la commune italienne d’Artogne, la majorité PS-MR n’a inscrit que 2 000 euros au budget.  » Avec 2 000 euros, on ne peut pas aller très loin, intervient le bourgmestre Axel S£ur. Se pose donc la question de savoir si on veut célébrer cet anniversaire ou pas. « 

Dur, dur, la vie politique à Courcelles. A tous les coups, les débats butent sur l’étroitesse des finances communales. L’opposition vitupère contre l’absence de vraie politique culturelle ou le délabrement des infrastructures. La réponse varie peu : les caisses sont vides. Titulaire du maïorat depuis les élections d’octobre 2006, le socialiste Axel S£ur dresse un constat abrupt :  » Le réseau routier est foutu. Les écoles sont dans un état lamentable. La toiture du hall omnisports devrait être remplacée. « 

La crise financière rend la situation un cran plus problématique encore. Courcelles figure parmi les 10 communes wallonnes qui détiennent le plus d’actions Dexia. Autant dire qu’elle subit de plein fouet l’affaiblissement de la banque franco-belge. Environ 800 000 euros de dividendes tombaient chaque année dans les caisses courcelloises. Pour l’exercice 2008, ils s’élèveront à… 0 euro. Conséquence : la commune devra raboter ses dépenses de 3 %.  » On arrivait tout doucement à remonter la pente, et hop, la crise nous tombe dessus « , râle la conseillère communale Caroline Taquin, l’étoile montante du MR dans l’arrondissement de Charleroi.

 » Dix minutes de joie « 

Longtemps archi-dominants à Courcelles, les socialistes voient leur suprématie s’effriter à chaque scrutin communal : 55 % des voix en 1982, 52 % en 1988, 48 % en 1994, 42 % en 2000. Le départ d’André Trigot, bourgmestre pendant presque vingt ans et fidèle soutien de Jean-Claude Van Cauwenberghe, a par ailleurs déclenché une âpre guerre de succession au sein du PS local. Comme les gros bras ont fini par se neutraliser, c’est l’inattendu Axel S£ur, en rupture avec la vieille garde, qui s’est imposé comme tête de liste. Si le parti socialiste a de nouveau perdu des plumes aux élections d’octobre 2006, ne recueillant que 37 % des suffrages, le score personnel d’Axel S£ur en a surpris plus d’un. Avec 1 443 voix de préférence, ce proche du ministre Christian Dupont a obtenu le maïorat de justesse. Au grand dam de Christian Hansenne, successeur désigné d’André Trigot, battu pour 17 voix. Le soir des élections, l’ambiance était électrique à la maison du peuple de Courcelles. S£ur écopant même d’un crachat…

 » Lorsque je me suis assis dans le fauteuil de bourgmestre, j’ai ressenti dix minutes de joie. Juste après, ma réaction, c’était plutôt : si j’avais su, je ne serais pas venu « , relate Axel S£ur (43 ans). Trop d’urgences à régler ? En deux ans et demi de mandat, il n’a toujours pas trouvé le temps d’aménager son bureau. Seule une plante verte pas très en forme, poussée dans un coin, égaie la pièce.  » Lorsque j’ai découvert la réalité des finances communales, je m’attendais à tout sauf à ça. La majorité précédente (PS-CDH) avait annoncé 250 000 euros de bonis pour l’exercice 2006. On a terminé avec 300 000 euros de déficit. Grâce à une gestion rigoureuse, on a pu arrêter la descente aux enfers. Sans cela, Courcelles allait tout droit vers la faillite.  »  » Je ne veux pas trop critiquer mes prédécesseurs, mais je me dis parfois qu’ils m’ont laissé une petite merde, ajoute l’échevine des Finances Annick Pollart (PS). Avant 2006, les budgets étaient préparés avec des chiffres qui ne tenaient pas la route. « 

L’analyse est contestée à l’intérieur même du PS courcellois.  » Je ne crois pas du tout que la situation soit si catastrophique que ça « , lance d’emblée Pol Quériat (63 ans). Aujourd’hui simple conseiller communal, cet ancien prof de français-histoire se félicite d’avoir occupé  » pratiquement tous les postes  » à Courcelles. Et notamment l’échevinat des Finances, de 2001 à 2006.  » Les jeunes n’ont pas la même conception que nous, regrette-t-il. On nous reproche d’avoir vidé la caisse. Bien sûr qu’il n’y a plus d’argent en réserve ! Mais cet argent-là, il n’a pas été gaspillé, il a été investi. On a construit de nouvelles écoles. On a restauré l’hôtel de ville. « 

Deux audits successifs ont révélé certaines irrégularités dans la gestion de Courcelles. Un séisme ? Pas vraiment. Christian Hansenne, Roland Lemoine et Michel Krantz – tous les trois membres de l’ancien collège, si décrié par l’actuel bourgmestre – s’accrochent à leur poste d’échevin. Lorsqu’il a été question de les pousser à la démission, les ouvriers communaux ont décrété un arrêt de travail de vingt minutes pour soutenir  » leurs  » échevins. Ambiance… En réalité, Axel S£ur est totalement isolé. Aucun des jeunes militants qu’il a essayé d’emmener dans son sillage n’a été élu en 2006, à une exception près. Au conseil communal, il subit les railleries de certains  » camarades « . Ce fut encore le cas le 30 mars, lorsque Michel Daminet, issu de son propre parti, l’a rabroué sèchement :  » Monsieur le bourgmestre, on entend à moitié rien de ce que vous dites. Elevez la voix, s’il vous plaît ! « 

Stoïque, Axel S£ur n’a pas bronché. Contre vents et marées, il poursuit la remise sur rails des finances courcelloises.  » Ma priorité, c’est de recréer une base saine. Tant que ce n’est pas le cas, on ne peut pas envisager l’avenir sereinement « , soutient-il. De loin, les ténors du PS hennuyer suivent son action avec un mélange de compassion et de scepticisme. Confrontée à des difficultés similaires, la commune voisine de Farciennes – elle aussi dirigée par un bourgmestre socialiste de la jeune génération, Hugues Bayet – semble progresser plus vite.  » On vit avec sa commune comme avec sa femme, confie Axel S£ur, pensif. La relation finit par devenir ambiguë. Parfois, le ras-le-bol guette. Mais l’enjeu est beau. Mon seul regret, c’est de devoir reporter la plupart des projets. Je voudrais développer un échevinat de la Santé qui tienne la route, ou encore créer une maison des entreprises, pour rendre la commune plus attractive. Comme tout le reste, ce sera pour plus tard… « 

 » Ce n’est pas aisé de faire de l’opposition à Courcelles, commente Christophe Clersy, conseiller communal Ecolo. Quand vous cognez, vous avez l’impression de frapper dans un coussin mou. Vous reprochez au bourgmestre l’absence de nouveaux projets, et il vous répond presque qu’il est d’accord avec vous. Je loue sa volonté de ne pas tromper les gens, mais il y a là une forme de résignation qui me gêne. « 

 » De la camelote « 

Les errements supposés de la majorité précédente et les conséquences de la crise financière n’expliquent pas, à eux seuls, la galère actuelle.  » Avec la dotation qu’elle reçoit de la Région wallonne, Courcelles n’a pas assez de sous pour faire face à ses besoins, dénonce Christophe Clersy. En France, même dans les localités pauvres, les rues sont balayées et les écoles, bien entretenues. Tout simplement parce qu’il y a plus d’argent alloué aux municipalités.  » Le ministre wallon des Affaires intérieures, Philippe Courard (PS), a revu le système de financement des communes, au bénéfice des entités urbaines à population pauvre. Cependant, l’impact de la mesure sera quasi réduit à néant par la conjoncture. Courcelles, où les salaires du personnel représentent 70 % des charges communales, va payer cher l’inflation galopante de l’année dernière, et les indexations qui ont suivi.

Bordée de cafés dont les noms évoquent la marche napoléonienne de la Madeleine ( » Le Nelson « ,  » Le Postillon « ,  » Au Napoléon « ), la place des Trieux devrait constituer le centre névralgique de Courcelles. En pratique, elle ressemble à un immense parking informe. L’ancienne école communale, un bâtiment remarquable datant de 1899, est laissée dans un état de semi-abandon. Maigre consolation : le rez-de-chaussée reprend vie de temps en temps, en servant de buvette lors de matchs de balle pelote. La dernière manne des fonds européens alloués au Hainaut aurait peut-être pu financer une rénovation de la place. Mais la commune n’a déposé aucun projet…

Seule amélioration perceptible par la population : Courcelles est de plus en plus propre. Mais là non plus, le contexte économique n’aide pas. Un sac-poubelle coûte 1 euro ; jeter ses crasses dans la nature est gratuit. Pour une partie des habitants, le calcul est vite fait. Pour la commune, en revanche, l’ardoise est salée. Le coût du ramassage et de la mise en décharge des dépôts clandestins frôle le million d’euros par an.  » Un éternel recommencement « , soupire Véronique Gontier, éco-conseillère. Pas de quoi décourager ce petit bout de femme énergique.  » Le budget nettoyage s’élevait à 50 000 euros, explique-t-elle. Nous l’avons réduit à 35 000 en apprenant aux techniciennes de surface à économiser l’eau et à mieux doser les produits. « 

La politique de rigueur budgétaire décrétée par la majorité PS-MR aboutit parfois à des scènes ubuesques. Les employés communaux n’ont pas oublié cet enseignant errant dans les couloirs de l’hôtel de ville, un râteau en main : pour son école, il avait acheté les râteaux les moins chers du marché, appliquant à la lettre les consignes de l’échevine.  » Ce râteau, j’ai tout de suite vu que c’était de la camelote, raconte Annick Pollart. Je veux raboter dans toutes les dépenses, je ne le cache pas. Mais pas n’importe comment…  » L’idée de doter de robinets automatiques les toilettes de la plaine de Trazegnies a également donné lieu à d’interminables passes d’armes : Courcelles pouvait-elle s’offrir un tel luxe ? Le  » non  » l’a emporté.

François Brabant

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