Charlotte, mon amour

Léopold Ier fut très épris de la princesse Charlotte de Galles, décédée en couches à l’âge de 21 ans. Au départ d’une correspondance éclatée entre Paris, Bruxelles et Londres, un journaliste flamand a reconstitué le puzzle du premier mariage du premier roi des Belges.

Sur la scène du gotha, cette Charlotte-là fut bien plus célèbre, en son temps, que le jeune officier qui finit par l’épouser. Née en janvier 1796, la princesse de Galles est la fille unique du futur George IV d’Angleterre et d’une princesse originaire d’Allemagne. Au sein du couple, le dégoût est vite maximal.  » Harris, je ne me sens pas bien, apportez-moi un verre de brandy  » est le propos le plus aimable que George prononce lorsqu’il rencontre sa promise pour la première fois. Leur nuit de noces, il la passera sur la descente de lit, complè-tement beurré. Un miracle qu’un bébé ait été conçu. Le reste de la cour ne vaut guère mieux : les tantes de Charlotte sont de vieilles harpies qui passent leur temps à broder ; ses oncles, des écervelés portés sur le scotch et les jupons. Charlotte a 16 ans quand elle décrit le quotidien d’une tablée familiale à sa tendre amie Mercer :  » Tous les hommes ont été ivres et stupides. Le duc d’York est tombé de sa chaise à la renverse. Quand il a essayé de se relever, il a tiré sur la nappe et tout a glissé…  » On voit le topo. Tenue pour moins que rien, à très grande distance du trône, la petite n’a qu’une envie : fuir par le mariage.  » Non pas qu’elle soit réellement amoureuse. Elle veut juste échapper à sa situation « , affirme Reinout Goddyn, spécialiste des monarchies sur VTM, et compilateur des Lettres d’amour de la princesse Charlotte de Galles au prince de Saxe-Cobourg, qui viennent de paraître aux Editions de l’Arbre.

Au xixe siècle, dans l’annexion des territoires, les alliances ont autant de poids que les guerres : l’Angleterre rêvant d’une tête de pont fiable sur le continent européen, George a conçu le plan d’unir sa fille pas chérie au prince Guillaume d’Orange. Le freluquet a 20 ans. C’est un Néerlandais exilé à Londres depuis l’invasion de Napoléon aux Pays-Bas. C’est peu dire que Charlotte ne le trouve pas à son goût. Après avoir accepté sa proposition, elle se ravise :  » La Grenouille « , comme elle l’appelle, n’a pas le moindre argument pour lui garantir le bonheur. Fiançailles rompues. De quoi donner de l’espoir à un autre prétendant, un élégant général de 23 ans au service du tsar de Russie : né en décembre 1790, huitième rejeton (sur neuf) d’une famille ducale d’une principauté insignifiante, il se nomme Léopold de Saxe-Cobourg-Saalfeld. Conscient qu’il n’a aucune chance d’épouser Charlotte si son paternel refuse, il écrit à Georges une longue lettre  » qui tient de la supplication servile « , selon Goddyn. Ses efforts se révèlent payants… mais pas auprès de Mercer, ni de Charlotte, qui a d’ailleurs  » quelqu’un d’autre « , le prince Frédéric-Guillaume de Prusse, 19 ans. Mais le bel officier allemand ne semble pas très emballé. Et Charlotte commence à considérer que le parti de Saxe pourrait bien constituer le meilleur choix. Allez hop, va pour ce Léo. En 1816, elle lui écrit (en français) que la voie est libre. Bien qu’officiellement fiancés, les jeunes gens ont peu l’occasion de se voir. Charlotte correspond avec Mercer : elle lui dépeint, sur du papier si fin que l’encre le transperce, un Léopold toujours malade, qui se plaint constamment d’ entendre » une cascade d’eau dans le crâne  » – 34 de ces courriers prénuptiaux ont été conservés dans les archives du palais royal de Bruxelles. Finalement, le mariage est arrangé, la dotation votée et la liste des membres de la nouvelle cour arrêtée. Parmi dames d’honneurs, ordonnances, pharmaciens, pâtissier et jardinier figure le nom de l’accoucheur : Sir Dr. Richard Croft. Une grave erreur de casting…

La nation entière est plongée dans le chagrin

 » A cette époque, une grossesse sur deux entraîne le décès de la mère « , rappelle Goddyn. Et ce Croft a une façon bien à lui de préparer sa patiente enceinte : des mois avant le terme, il impose saignées et laxatifs. Le 4 novembre 1817, en dépit de contractions peu efficaces qui durent depuis vingt-quatre heures, il refuse de demander conseil à ses pairs.  » Il prétend que Charlotte pourrait s’effrayer de voir d’autres spécialistes à ses côtés.  » Deux jours et deux nuits se passent avant que paraisse un bébé mort qu’on tentera vainement de ranimer, avec du sel, de l’alcool et de la moutarde. Charlotte est également mal en point : hémorragies, nervosité, difficultés à respirer. Son accoucheur lui a administré du laudanum, des opiacés et de la liqueur. Quand le Dr Stockman, un militaire expérimenté, arrive à son chevet, elle est à l’agonie…

L’annonce du décès de Charlotte plongera la nation entière dans le chagrin. Le Times rapporte que  » même les plus pauvres portaient une étoffe noire au bras « . Napoléon, qui apprend la nouvelle à Sainte-Hélène, accuse un gynéco  » trop intimidé pour traiter une princesse comme une autre femme et recourir à des moyens techniques « . Le suicide de l’incapable toubib fait entrer cet accouchement dans l’Histoire, sous le nom de tripleobstetric tragedy. Qui n’est pas loin de faire une quatrième victime, puisque Léopold souhaite aussi ne pas survivre à son épouse, avant que le temps, comme toujours, efface le chagrin… l

Valérie Colin

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