Stéphane Guillon. © HATIM KAGHAT POUR LE VIF/L'EXPRESS

Stéphane Guillon: « Le ‘tous pourris’ est redoutable et c’est là que le Front national est fort »

Le Vif

Humoriste et chroniqueur osant dénoncer sans langue de bois les travers des politiques et de la société française, Stéphane Guillon veut lutter pour sa liberté de parole. Une manière de rester certifié conforme à lui-même avant tout.

Après quatre ans sans être monté seul en scène, vous avez intitulé votre nouveau spectacle Certifié conforme. Vous seriez-vous assagi ?

Je ne suis toujours pas politiquement correct. Certifié conforme a un double sens. Premièrement, ceux qui m’aiment vont m’y retrouver car je suis certifié conforme à moi-même : impertinent, etc. Et deuxièmement, pour éviter des ennuis, j’ai voulu y être certifié conforme à un milliard de trucs : la Ligue des droits de l’homme, les Frondeurs, les ex de l’UMP, la sécu, le Grand Orient de France… Mais, finalement, en écrivant ce spectacle, avec l’humour que je pratique, être certifié conforme par tout le monde était une utopie. Bref, pour répondre à votre question : non je ne me suis pas assagi mais, en réalité, je ne suis pas méchant pour autant.

Ce n’est pas l’avis de certains de vos contradicteurs comme Dominique Strauss-Kahn ou Nicolas Sarkozy.

Je trouve cela très bête et réducteur. Cela ferme le débat. Un humoriste est quelqu’un qui met un miroir grossissant sur les travers de la société, qui sont malheureusement nombreux. Les gens ont tendance à confondre la mauvaise nouvelle et son porteur. J’ai appris avec l’expérience à être moins frontal et à prendre des chemins de traverse, mais je ne me suis pas adouci. Selon moi, lorsque je commence une phrase, le spectateur doit pouvoir la finir lui-même. Par exemple, on ne peut plus être frontal sur le thème des religions. Cependant, je dis que je ne dis rien sur Mahomet mais, en fait, je dis tout. Je n’ai pas peur des conséquences, mais nous avons eu peur à un moment donné. Il y a un avant et un après Charlie Hebdo.

Avez-vous reçu des menaces ?

Non et je n’ai jamais eu peur physiquement. Sauf quand j’ai écrit le sketch sur les religions pour ce nouveau spectacle. Il y a 600 personnes tous les soirs dans la salle. La sécurité a été renforcée. J’ai une responsabilité. Je produis, je ne peux pas ne pas assurer la sécurité du public.

Votre licenciement brutal de France Inter et le tapage médiatique que cela a engendré ont-ils été bénéfiques pour votre carrière finalement ?

Globalement oui, mais je préférerais toujours être à France Inter. C’est une belle maison. Ces coups d’éclat étaient nécessaires. La direction de la radio nous y avait d’ailleurs poussés et, avec François Morel, l’autre chroniqueur, avec lequel j’alternais, on a répondu présent. En tout cas, je pense que ces événements sont mes faits d’armes qui ont forgé mon image. Quand il a fallu me battre pour protéger ma liberté de ton, je l’ai fait. Elle n’est jamais acquise, même si on est dans une démocratie. Cela reste fragile. Le fait que des grands groupes détiennent des salles de spectacles, des médias doit nous rendre vigilants et ne pas être inféodés. Rapidement, quand vous dénoncez, vous vous apercevez que les gens adorent rire mais pas quand cela vient déranger leurs propres intérêts. Je pense que Fillon adorait lire Le Canard enchaîné mais là, qu’il n’y prend plus de plaisir.

Quand vous démarrez en 2003, vous remettez au goût du jour l’humour noir et cynique. Avez-vous l’impression d’être une source d’inspiration ou un modèle ?

Les gens ont tendance à confondre la mauvaise nouvelle et son porteur  »

Je n’ai pas l’impression d’être un modèle car je ne me compare pas. En plus, je suis quelqu’un de très solitaire. Je vis dans ma tour d’ivoire avec mes sangliers en Corse. Je ne suis pas mondain et cela me joue parfois des tours. On ne fait pas du one-man-show par hasard. Cela vient d’une difficulté à travailler avec d’autres. Mais j’ai beaucoup aimé faire du théâtre. Quant à l’écriture, elle reste un exercice très solitaire pour moi. Le théâtre est une récréation car je n’ai pas la responsabilité du texte, seulement du jeu. En one-man, on peut vous attaquer sur tout.

Considérez-vous que les humoristes sont aujourd’hui les nouveaux leaders d’opinion qui disent ce que les journalistes n’osent plus dire ?

Il y a tout de même des journalistes qui dénoncent, comme ceux de Mediapart. Mais, c’est vrai, certains nous ont reproché de mélanger la politique et le rire. Je pense que notre succès est dû à ça. Par contre, je détestais le terme  » éditorialiste  » qui nous a parfois été accolé. Cela veut dire quoi ? Que la politique est réservée à un pré carré de journalistes ou philosophes et que nous, on ne pourrait pas y aller ? Je n’ai rien inventé. Les chansonniers, c’était déjà cela. Les gens aiment aller voir les gens qui font rire avec la politique. Ils ont besoin de rire de ce climat anxiogène.

Avez-vous l’impression d’avoir une responsabilité, sociétale, dans vos chroniques et vos spectacles ?

Les humoristes ont une responsabilité comme tout personnage public. On l’acquiert avec l’âge. C’est une certaine sagesse. Je me méfie de mes réactions à chaud. J’évite à tout prix le  » tous pourris  » qui serait tentant. En province, on rencontre des élus locaux et des gens de terrain honnêtes pour qui c’est une profession de foi. Ils souffrent beaucoup de l’histoire de Penelope Fillon. Les attachés parlementaires rient de ça mais pour eux, que la chose politique soit dépréciée, cela n’est pas évident.

Bio Express

6 décembre 1963 Naissance à Neuilly-sur-Seine, en banlieue parisienne.

1990 Premier one-man-show intitulé C’est dur pour tout le monde.

2003 Rencontre avec Stéphane Bern pour une collaboration à l’émission Le Fou du roi sur France Inter.

2008 Il se voit confier la chronique L’Humeur de… à 7h55 sur France Inter. En parallèle, il travaille avec Thierry Ardisson dans Salut les Terriens !

Eté 2010 Licencié de France Inter après plusieurs polémiques sur ses chroniques.

Depuis septembre 2015 De retour aux côtés de Thierry Ardisson sur C8 pour une chronique hebdomadaire.

2016 Il tourne avec son nouveau seul-en-scène Certifié conforme, nommé pour le Globe de cristal 2017 du meilleur one-man-show.

Aimez-vous la politique ?

J’aime la politique et je ne suis pas le seul. J’aime la politique car il y a à la fois un côté spectacle et humain. Cela m’intéresse mais je ne comprends pas certaines choses. Ce qu’a fait Manuel Valls, en se présentant aux primaires de la gauche pour les présidentielles, est incohérent. A cause d’une ambition personnelle démesurée, il s’est lui-même mis, en fait, sur la touche pour cinq ou dix ans. Il ne devait pas se présenter à la primaire : il devait rester à l’écart, et fidèle au président Hollande, prendre le parti en juin et se présenter en 2022 en rappelant qu’il avait été fidèle. Embarqué dans cette primaire pathétique, il a donné l’image d’un mec pas très loyal, voire d’un traître. Il s’est fait mettre une déculottée par Benoît Hamon qui revient de très, très loin. C’est fascinant. Par ambition personnelle, il n’a plus de recul sur ce qu’il faut faire.

En tant qu’homme de gauche, la candidature de Benoît Hamon ne semble pas vous inspirer.

« Manuel Valls a donné l’image d’un traître, et Benoît Hamon lui a mis une déculottée. »© LIONEL GUERICOLAS/PHOTO NEWS

Prenez un figurant et collez-lui un rôle principal au cinéma, cela marchera peut-être ! Il ne m’inspire pas beaucoup. Il ne me séduit pas beaucoup. Je trouve que ça en dit long sur l’état du Parti socialiste. Aujourd’hui, c’est le grand truc de se présenter comme un candidat antisystème, ce qui peut paraître logique quand on voit l’état du système.

Qu’est-ce qui vous inquiète le plus ?

La destruction inéluctable de la planète. La pollution est partout. Récemment, avec l’équipe, on a traversé le Jura et on avait un pic de pollution. C’est effrayant et ce n’est pas Trump qui va faire changer cela. La Chine, c’est terrifiant. Tout ce qu’on construit depuis trente ans est immonde, voué au pourrissement : l’habitat est responsable de 95 % des problèmes de notre société. Quand on traversait autrefois un vieux village, la maison de monsieur Tout-le-Monde était belle. Aujourd’hui, elle est moche et c’est une forme de décadence. A part quelques exceptions de logements sociaux avec des petits pavillons où la délinquance a disparu, tout est aberrant. Personnellement, j’ai la chance quand ça ne va pas d’aller au bord de la mer. Certains jeunes ne savent pas que cela existe. Ils ne pensent pas qu’on peut vivre près d’une forêt. Ils vivent dans des banlieues avec un Kiabi, un Kiloutou dans une cage à lapin au 12e étage avec du chômage et pas d’avenir. La question de l’habitat est centrale car elle entraîne un déterminisme social.

Pensez-vous que l’école peut être un moyen d’en sortir ?

L’école, j’ai eu beaucoup de mal. J’aurais adoré qu’on m’apprenne le théâtre, la musique alors qu’on m’emmerdait avec des équations. J’ai fait des formations avec des gens en entreprise qui étaient incapables de parler en public. C’est un métier de bien savoir placer sa voix, d’être sûr de soi, de donner l’envie. L’oralité est hyperimportante, comme apprendre des langues étrangères, savoir jouer d’un instrument, écrire sans faute, la base en somme. Et ensuite, on verra si certains veulent faire des mathématiques. J’ai attendu la seconde (NDLR : la 5e en Belgique) et Don Juan pour aimer la littérature. Il y a un fossé énorme qui s’est creusé entre mes enfants et les petits sauvageons qui mettent des coups de cutter. Il va falloir des années pour que ces deux mondes se rejoignent s’il n’y a plus de respect. Je ne veux pas noircir le tableau, mais c’est pour ça que l’affaire Fillon est grave. On a un devoir d’exemplarité. Comment voulez-vous qu’en dessous, on soit honnête ? Ça envoie des signes. Le  » tous pourris  » est redoutable et c’est là que le Front national est fort. Ils ont été très discrets cette fois car Marine Le Pen a la même casserole. Ils se tiennent tous. L’avantage du FN est qu’il peut dire qu’il n’a pas exercé le pouvoir.

Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir ?

De l’espoir… Ce qui me donne de l’espoir, ce sont certains jeunes qui continuent à y croire, à faire des études. Ils sont très malins mais je suis dans un milieu très privilégié. Cette jeunesse a envie de prendre une place. C’est cela qui est beau dans la jeunesse.

Certifié conforme de Stéphane Guillon : le 28 mars au Cirque royal, à Bruxelles, et le 29 mars, au Forum de Liège. www.odlive.be

Propos recueillis par Vanessa Lhuillier.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire