François De Smet

Secourir l’Ukraine et accepter d’en payer le prix (carte blanche)

François De Smet président de DéFI 

Aider l’Ukraine ? Bien sûr ! En subir les conséquences économiques ? L’enthousiasme devient alors moins palpable, estime François De Smet, président de DéFI. Pour qui le soutien occidental doit être immédiat, sur tous les fronts.

« Mourir pour Dantzig ? » se demandait, en y répondant « non », le 4 mai 1939 l’éditorialiste (et futur collaborationniste) Marcel Déat paru en une du journal socialiste L’OEuvre, inspirant ce qui deviendra un célèbre slogan pacifiste d’avant-guerre. Après avoir renoncé à défendre les Sudètes une année plus tôt, les Européens restaient divisés sur l’opportunité d’arrêter ou non Hitler dans son expansion. En 1939, les démocraties européennes ne pouvaient plus éviter la confrontation avec une menace qu’ils avaient espéré canaliser en lui donnant satisfaction, oubliant que le nationalisme, au contraire, se renforce des concessions offertes par les démocrates. Pourtant, quelques semaines avant l’invasion de la Pologne, nombreux encore étaient ceux qui estimaient que, pas davantage que l’annexion de l’Autriche ou des Sudètes, Dantzig ne valait une guerre.

Le dilemme que nous connaissons aujourd’hui est très comparable. Tous, ou presque, nous sommes indignés de l’attaque de la Russie autocrate de Vladimir Poutine contre une démocratie libre, sortie du giron de la défunte URSS depuis déjà trente ans. Tous, nous rivalisons d’enthousiasme et de célérité à manifester, à colorer nos bâtiments de jaune et de bleu, et à condamner « fermement » cette invasion d’un État souverain par un autre, inédite en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Tous ou presque souhaitons soutenir les Ukrainiens… sans que cela ne nous coûte trop.

Envoi d’armes, de matériel et de munitions, oui, mais pas trop vite – la Belgique, par exemple, a mis un temps bien trop long, infini, vivaldien, avant de se bouger. Sanctions économiques contre la Russie, oui, mais pas trop, de peur du retour de manivelle. Et envoi d’hommes pour combattre sur place, certainement pas. La ligne entre le soutien et le déshonneur est ténue. Résistera-t-elle si les images d’une future occupation se font insupportables ?

La vérité est qu’après des décennies de relatif confort géopolitique, où l’Europe de l’Ouest regarde le monde comme par procuration depuis son canapé, nous sommes aujourd’hui rattrapés par la dure réalité. Et celle-ci indique qu’il y aura bel et bien un prix à payer pour la sauvegarde de nos valeurs, aujourd’hui – le soutien à une démocratie attaquée – mais aussi pour la sauvegarde de notre propre sécurité, demain.

Cette attaque a le mérite de revitaliser le bien-fondé de l’Alliance militaire que constitue l’OTAN, encore qualifiée « en mort cérébrale » il y a quelques années à peine. Il faut à cet égard cesser de renverser les perspectives, comme l’invitent à le faire l’extrême-gauche et l’extrême-droite qui suggèrent que c’est l’OTAN la puissance agressive, comme l’osait encore Jean-Luc Mélenchon il y a à peine quelques semaines; rien ne peut empêcher une nation souveraine de faire ses propres choix d’alliance. Si les pays de l’Est frappent massivement à la porte de l’OTAN, c’est précisément parce qu’ils sont voisins d’un grand pays imprévisible, non démocratique, possédant la deuxième armée du monde, possédant l’arme nucléaire, et ayant régulièrement envahi ses voisins lorsqu’il en a eu l’occasion. Songeons que si les États baltes, la Pologne, la Roumanie, n’étaient pas membres de l’OTAN, nous serions aussi, plus que probablement, en train de trembler pour eux.

A contrario, en attaquant l’Ukraine, Vladimir Poutine vient de confirmer qu’être membre de l’OTAN était une assurance de non-invasion. Si la Russie souhaite ne plus être voisine d’une alliance militaire défensive, qu’elle s’interroge sur les raisons pour lesquelles, depuis des décennies, elle effraie ses voisins. Qu’elle se démocratise et développe son soft power. Qu’elle daigne ne plus se poser comme ancien Empire blessé mais comme pays démocratique, ce qu’elle a vocation à être comme tous les pays du monde.

En attendant, les Européens n’ont guère le choix. Ils doivent aider les Ukrainiens de toutes les manières possibles. Car seule une réaction ferme et unie pourra arrêter un Vladimir Poutine qui, depuis des années, avance ses pions en testant la résilience et l’absence de réaction de l’Occident.

Oui, il faut des sanctions économiques fortes et spectaculaires. Il ne faut plus tergiverser sur l’exclusion du système SWIFT ou sur la préservation de certains produits de luxe. La contre-offensive doit être totale pour être prise au sérieux.

Secourir l'Ukraine et accepter d'en payer le prix (carte blanche)

Oui, cela nous expose à des rétorsions sur les produits dont nous sommes dépendants, à commencer par le gaz russe, qui constitue une part importante des importations européennes. Même si la Belgique est bien moins exposée que d’autres (6%), rien ne garantit que cette exposition n’augmentera pas dans les années à venir avec l’augmentation de notre dépendance au gaz consécutive de la fermeture programmée de nos centrales nucléaires. Et de toute façon, la dépendance au gaz qui concerne l’Allemagne et d’autres pays européens nous concerne aussi: les démocratie européennes doivent donc devenir d’urgence indépendantes sur le plan énergétique, ce qui ne peut passer que par la poursuite d’un investissement massif dans les énergies renouvelables… et du maintien d’une énergie nucléaire, au minimum en transition, mais aussi à plus long terme si les nouvelles générations de centrales tiennent leurs promesses. L’indépendance énergétique de l’Union européenne, par la mutualisation et la solidarité de nos ressources renouvelables et nucléaires, doit devenir le chantier de la décennie.

Oui, il nous faut retrouver une crédibilité sur le plan militaire. Nous ne sommes plus habitués à envisager la guerre. Nous ne voulons pas payer le prix consistant à envoyer nos fils ou nos filles au front. La construction européenne et le parapluie atlantique nous en ont préservés depuis 70 ans. C’est en soi une chance dont nous ne mesurons que peu l’ampleur. Mais cette relative tranquillité a un prix: la dépendance trop grande vis-à-vis de nos alliés américains – la présidence Trump nous a montrés que le vent pouvait rapidement tourner. Les Européens doivent reprendre en main leur défense et ériger un pilier de défense européenne au sein de l’OTAN, qui allie prévention et dissuasion.

Oui, il nous faut répondre positivement au souhait de la démocratie ukrainienne de rejoindre l’OTAN. Même s’il est facile de réécrire l’Histoire, sans doute aurions-nous dû les y faire entrer bien plus tôt, ou à tout le moins, dans les dernières semaines, menacer de les intégrer en cas d’attaque de Moscou. Cela aurait, sans doute, permis de préserver l’Ukraine comme sont préservés aujourd’hui les Etats baltes. Il n’est pas trop tard pour brandir, encore aujourd’hui, cette menace si la Russie ne cesse pas ses attaques.

Oui, si le conflit s’aggrave et s’enlise, il faut plaider, sous l’égide des Nations-unies si possible, pour une force d’intervention qui sécurise des couloirs humanitaires et permettre le secours porté aux civils.

Oui, il faut sans faiblir que l’Union européenne accueille tous les demandeurs d’asile qui fuient les combats en Ukraine (les Ukrainiens mais aussi les nombreux ressortissants étrangers, notamment africains, présents sur place).

Cela nous amènera sans conteste à payer un prix qui va bouleverser notre vision du monde. Cette époque nous force décidément à sortir de notre zone de confort. Mais le doute n’est plus permis: nous avons en face de nous une dictature puissante qui ne s’arrêtera que face à la détermination qui lui sera opposée. La date du 24 février 2022 va rester dans l’Histoire comme le jour où l’Europe, de manière irrémédiable, est sommée d’abandonner son rôle de spectatrice du monde dans lequel elle est calfeutrée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

François De Smet, président de DéFI

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