Gérald Papy

L’édito de Gérald Papy: les héros sont à Kiev, pas à Bruxelles

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

« Il faut prendre garde, enfin, que l’emballement inconditionnel envers les dirigeants et les résistants ukrainiens ne prépare pas les désillusions de demain et n’aveugle pas les Européens au point d’humilier le peuple russe pour les crimes de son commandant en chef et de sa clique », écrit Gérald Papy, rédacteur en chef adjoint du Vif.

Parmi ceux qui ont connu la guerre froide, le rideau de fer et la menace d’une confrontation nucléaire, peu imaginaient revivre les mêmes tourments quarante ans plus tard. A la chute du bloc soviétique, beaucoup ont cru, si pas à « la fin de l’histoire » théorisée par Francis Fukuyama, au moins au triomphe de la démocratie libérale et à une ère de progrès et de bien-être.

Vladimir Poutine nous rappelle crûment que la nouvelle confrontation mondiale engagée par la Russie et la Chine avec l’Occident vieillissant peut quitter les champs économique, technologique et idéologique et renouer avec les théâtres de guerre semblables à ceux des années 1970 ou 1980. Le contentieux que nous pensions pouvoir être résolu par une négociation sur des garanties de protection de populations russophones d’un pays voisin de la Russie s’est non seulement transformé en désastre pour l’Ukraine mais aussi en problème existentiel pour l’Europe. Et, même inscrite dans une doctrine qui, au contraire de celle des Occidentaux, ne la considère pas comme une arme de non-emploi, la menace nucléaire brandie par Vladimir Poutine ravive des peurs légitimes.

Les actes et les paroles du maître du Kremlin justifiaient donc les sanctions sans précédent prises par l’Europe et ses alliés occidentaux. Il est difficile de savoir à ce stade si elles auront les effets escomptés sur le pouvoir russe: écourter son opération militaire en Ukraine, voire le fragiliser à l’intérieur de ses frontières. De même, sont incertains les effets concrets des livraisons d’armement promises par l’Union européenne. Pour l’heure, elles semblent plutôt avoir pour conséquence de précipiter les opérations de l’armée de Moscou sur Kiev et Kharkiv, les deux principales villes ukrainiennes.

La réplique concertée et massive des Vingt-Sept, la solidarité affichée à l’égard des réfugiés, les implications pour la politique de défense européenne sont autant de résultats qui n’étaient pas acquis au début de la crise. Ils sont heureux.

Vladimir Poutine, d’une certaine manière, a ressuscité l’Otan, rapproché les Européens, réveillé les Allemands et unifié les Ukrainiens. Le bilan est étonnant. Il ruine certains des objectifs de guerre du président russe.

Mais que sont nos satisfactions stratégiques face au chaos de la guerre et aux souffrances d’un peuple? Il y avait quelque chose de tragique et de pathétique, le mardi 1er mars, dans la standing ovation des dirigeants et députés européens depuis les travées du parlement à Bruxelles face à un président ukrainien Volodymyr Zelensky seul, éprouvé, apeuré derrière son bureau à Kiev. La personnification du courage n’est pas à Bruxelles, elle est à Kiev, à Kharkiv, à Marioupol. Les Européens n’échapperont pas au droit d’inventaire des drames qui s’y déroulent.

Il faut prendre garde, enfin, que l’emballement inconditionnel envers les dirigeants et les résistants ukrainiens ne prépare pas les désillusions de demain et n’aveugle pas les Européens au point d’humilier le peuple russe pour les crimes de son commandant en chef et de sa clique. Dans les milieux de la culture et du sport, dans la rue et sur les réseaux sociaux, même parmi les oligarques, des Russes s’élèvent contre cette guerre. Eux aussi ont besoin de notre soutien. De leur destin dépend aussi la sécurité de l’Europe.

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