Jean-Pierre Coffe . © Belga

Quand Jean-Pierre Coffe passait à table

Le Vif

De ses succès à ses drames secrets ou à sa vie amoureuse, en mai 2015, l’ancien animateur se livrait dans une autobiographie cinglante.

Archive de mai 2015.

Assis dans son bureau bibliothèque donnant sur le jardin, Jean-Pierre Coffe tire sur un gros cigare du Costa Rica en buvant son thermos de thé. Dans les enceintes, du Django Reinhardt et sur la table, une boîte rouge dont il sort deux cahiers d’écolier noircis d’une écriture serrée. « Voilà mon récit. Je ne sais pas si j’ai bien fait de l’écrire… » C’est sûr, les lecteurs du Plaisir à petits prix (son recueil de recettes vendu à 800 000 exemplaires en 2010) risquent d’en ressortir l’appétit coupé. Dans son quarante-sixième livre, Coffe ne fait pas à manger : il passe à table. Pendant deux ans, il a accouché, dans la douleur, d’Une vie de Coffe – le titre est de son ami Jean Teulé. Une vie nettement moins gaie que sa garde-robe exubérante, assortie à ses célèbres loupes à montures colorées. En 390 pages, au fil d’une plume sobre et sombre, tout y passe. Et souvent le pire : le corps de son petit garçon dans le bidet d’une salle de bains, où sa première femme avait avorté en cachette ; un accident de voiture au retour d’un dîner très arrosé chez Paul Bocuse, qui se solde par une hanche brisée et la mort des deux occupants du véhicule d’en face ; l’agonie de Dominique, sa fille, emportée par un cancer à l’âge de 37 ans, qu’il a revue quelques mois avant son décès, après vingt ans sans nouvelles ; les deux faillites de ses restaurants ; un AVC qui lui vaudra de longs mois de rééducation et de sérieuses envies de suicide. Sur ses penchants, même épanchement : ses plaisirs sexuels avec les femmes, ses virées dans les boîtes à garçons, sa première nuit – à grand renfort de détails – avec un homme… On soupçonne volontiers dans cet exercice de confession la tentation du coup médiatique. A moins qu’il ne s’agisse d’une sincère séance d’exorcisme.

« J’ai toujours pensé que c’était mal élevé vis-à-vis de mon public de trop se dévoiler. A 77 ans, je suis en phase terminale, je n’ai plus rien à cacher. Derrière le gugusse, il y a un homme. » Un homme hanté par ses démons, qui combla le gouffre de ses drames intimes par un trop-plein professionnel : l’animateur de télévision et de radio a fait oublier le représentant, qu’il fut, pour une marque de papier à cigarette, le publicitaire au service des JO de Grenoble en 1968, le restaurateur, le comédien et le meneur de revues pour l’Alcazar. « Je n’ai pas fait carrière, c’est la vie qui a toujours choisi pour moi. Si mon père n’avait pas été tué à la guerre quand j’avais 2 ans, j’aurais été coiffeur à Lunéville. J’ai eu de la chance, d’une certaine façon… » Cette chance, ses « anges protecteurs » la lui ont toujours servie sur un plateau : Henri Gault, le pote critique gastronomique (la moitié de Gault&Millau) le pousse à ouvrir son bistrot parisien, La Ciboulette. « C’était un taudis d’une laideur inouïe, où il se passait pourtant quelque chose de magique, raconte Coffe. Mon ami Jean Poiret est venu y dîner dès le premier soir avec une partie de la troupe de La Cage aux folles et tout le show-biz suivit, Toscan du Plantier, Girardot, Polanski, Signoret… » Jean-Claude Carrière, son ami écrivain, lui donne le goût des livres anciens et lui apprend à soigner ses pannes d’écriture : « Dessine des bâtons sur une feuille, l’inspiration va venir. » Jean Carmet, « le collègue de goulot », avec qui il multiplie les virées éthyliques, le convainc d’accepter la proposition de Michel Denisot de participer à l’aventure Canal + dès ses débuts, en 1984. S’en suivra cette trajectoire fulgurante d’histrion médiatique, aussi doué pour les effusions de bonne humeur que pour les colères théâtrales. « Je suis devenu un personnage contre moi-même. Je n’ai jamais cherché à être celui qui vocifère « Ça, c’est de la merde ! » à tout bout de champ ! » Le fameux gimmick lui colle pourtant à la peau. Il ne l’a d’ailleurs prononcé qu’une fois, en 1992, dans la Grande Famille, en lançant à travers le plateau non pas du jambon polyphosphaté mais une saucisse Herta. L’épisode lui vaut immédiatement un gros succès au Zapping et… sa marionnette aux Guignols de l’info !

Son goût pour le coup de gueule semble intact. Au risque d’égratigner quelques ego au fil des pages. Les pourfendeurs de son engagement pour l’enseigne de grande distribution Leader Price ? « J’ai fait améliorer de nombreux produits en enlevant des colorants et des arômes artificiels, et ça continue. Qui veut m’accompagner dans les usines ? Personne ! » Philippe Bouvard ? « J’ai travaillé treize ans avec lui aux Grosses Têtes, mais c’est le cas même du type égoïste qui vieillit mal. » Nicolas Sarkozy ? « Il m’a demandé de le tutoyer et de l’appeler Nicolas sur le plateau de Vivement Dimanche, j’ai refusé. Quinze jours plus tard, j’avais un contrôle fiscal. » Question politique, un homme trouve grâce aux yeux de cet ancien giscardien. « J’aime François Hollande, je le trouve vrai, bien dans la fonction et j’apprécie son humour. » A l’occasion de sa remise de Légion d’honneur, le 11 mars dernier, à l’Elysée, le président de la République française a eu ce mot : « Vous avez été pupille de la nation, vous êtes maintenant le papy de la nation. » Et la papille, assurément.

Une vie de Coffe, par Jean-Pierre Coffe, Stock, 390 p.

Par François-Régis Gaudry

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