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« Malgré les scandales, Facebook remplit un rôle social qui n’est pas près d’être remplacé »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

La panne sans précédent qui a touché Facebook et ses plateformes force à la réflexion sur nos addictions aux réseaux sociaux. Comment la société réagirait-elle si l’interruption avait duré plus longtemps? Décryptage en quatre questions avec Laura Calabrese, directrice du centre de recherches ReSIC (Sciences de l’information et de la communication, ULB).

La panne qui a touché Facebook lundi dernier a duré 7h, et on parle d’un incident mondial. Qu’est-ce que cela évoque sur notre société actuelle?

Cela illustre la globalisation des pratiques de communication, mais surtout le monopole de Facebook sur la communication numérique. L’entreprise, qui détient également Whatsapp et Instagram, a été accusée en 2020 de monopole par la Federal Trade Commission, l’organisme américain qui régule la concurrence. Face à ces accusations, Facebook a répliqué qu’il n’y avait aucune preuve de monopole. Cette panne montre à quel point le Web, dans sa configuration actuelle, est dépendant d’une poignée d’entreprises et apporte une preuve tangible de la mainmise de Facebook en particulier.

Pourrait-on dire que les réseaux sociaux sont devenus presque indispensables pour le fonctionnement du monde?

Pour le fonctionnement du monde non, mais ils se sont immiscés dans plusieurs dimensions de la vie privée et publique. Pour une bonne partie de la population, la communication interpersonnelle est aujourd’hui impensable en dehors des réseaux. Les professions de l’information et de la communication sont également très dépendantes des réseaux : on peut penser à l’usage que les journalistes font de Twitter ou les communicants d’Instagram et Tik Tok. Par ailleurs, plusieurs de ces plateformes gèrent une bonne partie de la publicité en ligne, justement car la vie sociale s’y est déplacée et les gens y passent beaucoup de temps. Une panne comme celle-ci a un impact considérable sur le commerce en ligne.

Si la panne avait duré plusieurs jours, quelles seraient les conséquences sociales/psychologiques pour la population?

Si on avait été en plein confinement, les conséquences auraient été intolérables car ces plateformes acheminent une bonne partie de la communication interpersonnelle ; en cas d’isolement social elles remplacent carrément le contact. Mais si la vie sociale n’est pas restreinte, tout dépend des tranches d’âge et de la situation familiale et personnelle. Quoi qu’il en soit, à l’heure actuelle, la communication s’est plateformisée et déplacée vers le smartphone, donc une panne comme celle-ci a des conséquences pour tout le monde.

Est-ce que le modèle de Facebook a encore des belles années devant lui, ou va-t-il tout doucement devenir obsolète?

Vu la capacité des plateformes à se réinventer, on peut penser que Facebook a beaucoup d’années devant lui. L’innovation fait partie de l’ADN des entreprises du web, et tout est fait pour s’adapter aux nouveaux publics qui arrivent ou à l’évolution des publics actuels.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’entreprise a survécu à plusieurs scandales, dont celui de Cambridge Analytica, qui a eu un impact durable dans la représentation que nous avons des plateformes. On a constaté que les usagers s’accommodent plus ou moins bien des exigences de Facebook par rapport aux données privées, car ils voient un rapport prix/bénéfice positif (ce qu’on appelle la privacy paradox : on renonce à ses données privées pour bénéficier des services de la plateforme).

Tout cela montre que malgré les scandales et la prise de conscience des usagers, la plateforme remplit un rôle social important (sans parler de la dimension commerciale avec la vente de publicité) qui n’est pas près d’être remplacé. Le danger pour Facebook est la concurrence, c’est pourquoi il a comme stratégie l’acquisition de nouvelles plateformes. La seule chose qui pourrait vraiment porter préjudice à l’entreprise est la multiplication d’accidents techniques, mais il faudrait que les usagers trouvent une autre plateforme vers laquelle se tourner, ce qui n’est pas le cas actuellement.

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