Les attentats de Paris auraient-ils pu être évités ?
La question s’était posée en janvier, après les attaques qui avaient notamment frappé la rédaction de Charlie Hebdo. Elle resurgit aujourd’hui, après les attentats de vendredi à Paris… attentats dont la France aurait été partiellement prévenue. Les services de renseignement n’auraient-ils pas dû prévenir ces attaques ? Oui, ils ont échoué, répond un spécialiste du combat contre Daech. Mais ils ne sont pas complètement à blâmer.
Les services de renseignement irakiens auraient averti la France de l’imminence d’attaques par le groupe État islamique, un jour à peine avant les attentats mortels de vendredi soir, a révélé l’agence Associated Press. Selon AP, qui cite quelque six gradés irakiens anonymes, Abu Bakr al-Baghdadi, leader de Daech, venait ainsi d’ordonner une attaque sur les pays de la coalition anti-EI, ainsi que sur l’Iran et la Russie.
Les Irakiens ne disposaient toutefois pas de détails précis sur ces attaques, et notamment sur le lieu visé. Ils auraient néanmoins averti spécifiquement la France et auraient livré avant ce vendredi, aux autorités hexagonales, des détails que celles-ci doivent encore rendre publiques. Et ajouté que les auteurs des attentats de Paris avaient été entraînés à Raqqa en Syrie, « capitale » de l’État islamique, précisément pour cette opération et avec l’intention avérée d’être envoyés en France. Cette même Raqqa que la France bombarde intensément ces derniers jours…
Attentats de Paris : des erreurs dans le renseignement, encore…
Les attaques de vendredi dernier font douloureusement resurgir, dans toutes les mémoires, les attentats de janvier, qui ont notamment frappé la rédaction de Charlie Hebdo. Ainsi que la même interrogation : ces tragédies auraient-elles pu être évitées ? En janvier, le Premier ministre français avait reconnu des failles dans la stratégie de renseignement du pays. Cette fois encore, les regards se portent vers les services de renseignement français. D’autant que des erreurs manifestes ont été commises.
L’Agence France-Presse cite, à ce propos, le cas de Samy Amimour : « Ce Français de 28 ans, soupçonné de vouloir partir au Yémen, est inculpé en octobre 2012 pour ‘association de malfaiteurs terroristes’, placé sous contrôle judiciaire. Ce qui ne l’empêche pas de rejoindre, un an plus tard, la ‘terre de jihad’ syrienne. » Avec, à la clé, l’émission d’un mandat d’arrêt international. « Malgré cela, il parvient à rentrer en France incognito pour participer, vendredi soir à Paris, aux attentats. », ajoute l’AFP.
« On a un souci de contrôle aux frontières Schengen, et un gros », a assuré à l’AFP Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité à la DGSE (services de renseignement extérieurs). « Son arrivée aurait dû provoquer la levée d’un drapeau rouge. Mais ces gars maîtrisent bien les techniques d’entrée et de sortie de Schengen, pour les avoir beaucoup pratiquées. S’il a pris soin de ne pas rentrer par une frontière française, personne ne l’a vu. S’il rentre par la Belgique, par exemple par un vol low-cost à Charleroi… Allez-y à Charleroi, vous verrez les contrôles ! »
Or, le « cas Samy Amimour » n’est pas le seul. Tous ces éléments mis bout à bout auraient dû « convaincre les enquêteurs, en France ou en Belgique, à passer à l’action contre cette cellule avant qu’elle n’ensanglante Paris », estime l’AFP, qui interroge un ancien spécialiste du contre-terrorisme à la DGSE, sous couvert d’anonymat : « Il y a trois hypothèses. Soit personne n’a rien vu, et c’est un gros souci ; soit on a vu des trucs et on ne les a pas compris, ce qui est aussi un problème ; soit on a vu des trucs et, malgré tout, l’équipe a pu passer à l’action. »
Attentats de Paris : « Il ne faut pas sous-estimer les difficultés de la récolte de renseignements en Europe aujourd’hui »
Problème : les terroristes, par définition, peuvent attaquer n’importe où, n’importe quand. Environ 80% des attaques terroristes sont menées dans des endroits où leurs auteurs n’ont aucun périmètre de sécurité à pénétrer et ne font face à aucun garde armé, chiffre Brian Michael Jenkins, senior adviser au sein du think tank américain Rand Corp. et auteur du livre How the Current Conflicts Are Shaping the Future of Syria and Iraq, sur le site de Slate. Cette impossibilité de répondre efficacement à des actes terroristes par une présence armée sur place – dont la principale utilité est peut-être de réduire le temps de réponse à une attaque – fait dès lors peser tout le poids de la réponse sur les services de renseignements.
Ces services sont-ils dès lors à blâmer pour le drame parisien ? « Bien sûr, ils ont échoué dans le sens le plus large », estime Brian Michael Jenkins. « Après l’attentat déjoué du Thalys Amsterdam-Paris au mois d’août, les autorités françaises avaient conscience que des terroristes planifiaient de nouvelles attaques dans des lieux très fréquentés, mais elles ont échoué à les prévenir. Il est inquiétant que des services de renseignement ne dévoilent pas une opération aussi élaborée, puisque cette attaque coordonnée impliquait au moins huit terroristes directement et sans doute beaucoup plus de personnes indirectement, et que des armes avaient été achetées et sept engins explosifs fabriqués.
Au-delà du constat d’échec, cependant, « il ne faut pas sous-estimer les difficultés de la récolte de renseignements en Europe aujourd’hui », prévient le spécialiste américain. « Les services français sont noyés par les nombreux individus partis rejoindre les armées djihadistes en Syrie (et dont certains sont revenus), par ceux que l’on suspecte de se préparer à un tel départ, et par d’autres encore potentiellement impliqués, directement ou indirectement, dans la conception d’une opération terroriste. » Le nombre de suspects atteint « aisément plusieurs milliers », et « tenir chacun d’entre eux à l’oeil s’avère impossible. Des choix doivent être faits. Certains complots seront déjoués. D’autres échapperont à toute détection, c’est inévitable. »
Une vision partagée par un responsable de l’antiterrorisme en France, interrogé par l’AFP. Submergés par le nombre de jihadistes rentrant de Syrie et d’Irak, auxquels ils doivent ajouter les anciens des filières afghanes ou irakiennes, qui parfois reprennent du service, les services spécialisés sont contraints d’établir des listes de noms, par ordre décroissant de dangerosité présumée : « Cela m’empêche de dormir la nuit. Avoir les bons noms à la bonne place. Nous sommes très loin d’une science exacte. »
Attentats : la question du futur concerne aussi les migrants… et les pays qui les accueillent
Recueillir des renseignements sur le groupe État islamique est évidemment une tâche ardue, au vu de la complexité à pénétrer dans le territoire contrôlé par Daech. Les agences irakiennes se basent généralement sur des informateurs infiltrés au sein de l’EI en Irak et en Syrie, mais ces sources ne sont pas infaillibles. Séparer le bon grain de l’ivraie s’avère plus compliqué que jamais. Ainsi, rappelle Associated Press, des rapports officiels irakiens assuraient, l’an dernier, qu’al-Baghdadi était blessé. Une affirmation qui s’avérera contredite par la suite.
Brian Michael Jenkins voit toutefois un autre obstacle encore dans la récolte d’informations sur d’éventuels plans d’attaque de Daech : l’afflux de millions de réfugiés en Europe. Mais pas seulement parce que l’EI ou d’autres groupes djihadistes ont pu infiltrer le flux de migrants : « Les autorités sont aujourd’hui confrontées à de vastes et nouvelles diasporas dans lesquelles elles ne disposent d’aucune source de renseignements. Beaucoup de ces réfugiés sont de jeunes hommes, avec peu voire aucune éducation, et qui ont quitté un environnement violent. Trouver un travail ne leur sera pas aisé. » Et des événements comme les attentats de Paris ne faciliteront pas leur intégration dans la société, prévient le spécialiste US : « Frustrés et en colère, certains réfugiés pourraient se tourner vers une activité criminelle. D’autres pourraient être sensibilisés à des idéologies violentes. »
Le problème, d’ailleurs, ne réside pas uniquement dans les rangs des réfugiés, nuance Brian Michael Jenkins : il craint également le creusement d’une fracture au sein de la société même. « Un nombre croissant de personnes, en France, sont convaincues qu’une large part de la population musulmane du pays s’est retournée contre la société française, et que de nouvelles politiques sont nécessaires. » Ces personnes ressentent l’arrivée de migrants comme une menace : la présence, au coeur même du pays, « de communautés aliénées, en autarcie, où les idéologies violentes en provenance du Moyen-Orient trouvent écho et partisans », écrit le spécialiste américain. Et effectivement, la droite populiste et les partisans de la fermeté en Europe sur l’accueil des réfugiés ont durci le ton lundi après les attentats de Paris, conséquence à leurs yeux de l’afflux de milliers de réfugiés en provenance du Moyen-Orient.
Enfin, conclut l’Américain, avec l’intensification des attaques sur Raqqa par la France, « la compagne de la coalition contre Daech pourrait monter d’un cran, passant d’une opération de ‘lent étouffement’ à une décision de ‘destruction rapide’. Cela aurait pour conséquence de disperser les forces de l’EI dans la région… et peut-être de convaincre certains des soutiens de Daech dans le monde que la bataille finale a effectivement débuté. » Avec toutes les menaces de futures attaques auxquelles une telle prise de conscience pourrait mener.
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