Franklin Dehousse

L’éthique se déglingue dans les institutions européennes

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

Cela donne le vertige de contempler le comportement, de plus en plus contestable, de nombre de dirigeants européens. Ces dirigeants, qui n’arrêtent pas de clamer à quel point la défense de l’Etat de droit et des valeurs européennes constitue leur combat quotidien, dégradent l’image des institutions européennes et préparent la prochaine vague populiste en Europe.

Récemment, le professeur en droit européen Alberto Alemanno interroge la Commission européenne sur les messages vidéo de la présidente von der Leyen en faveur du parti Union démocratique croate (HDZ), affilié au Parti populaire européen, à l’occasion des élections en Croatie, messages enregistrés à la Commission, avec son matériel et ses signes officiels.

On lui répond – sans rire – que ces messages ne relèvent pas de la fonction de présidente de la Commission, mais de son appartenance politique. Ainsi, c’est « personnel » (sic). Une réponse surréelle, qui ne justifie aucun des points précédents, et repose de plus sur une distinction impossible à mettre en oeuvre. Si on comprend bien, malgré leur obligation d’indépendance, les commissaires peuvent intervenir sans problème dans toutes les élections nationales en utilisant les moyens matériels de la Commission. Et Ursula von der Leyen, qui se présentait comme politiquement neutre quand elle a formé la Commission, se déclare maintenant tout le contraire.

Cela donne le vertige de contempler le comportement, de plus en plus contestable, de nombre de dirigeants europu0026#xE9;ens.

Dans d’autres institutions, le Parlement européen se déclare, lui, le défenseur de la transparence. En même temps, il vote – au secret – pour maintenir le secret – à nouveau! – de ses propres frais couverts par le contribuable (lequel ignore ainsi la position de son parlementaire sur sa propre rémunération). Auparavant, Federica Mogherini, ex-commissaire aux Relations extérieures, devient recteur du collège d’Europe, soutenue par Herman Van Rompuy, ex-président du Conseil européen (généralement mieux inspiré), président ici du conseil d’administration. Le fait qu’elle ne remplit pas les conditions requises ne perturbe pas non plus la Commission, qui finance. En dépit de ses faibles titres, l’ex-protégée de Matteo Renzi continue ainsi à caracoler dans les hautes fonctions.

Quant à Charles Michel, président du Conseil européen devant abandonner, selon le traité, ses mandats nationaux, on apprend qu’il reste dans l’asbl gérant les finances du MR. Il en est même le vice-président. Comme ancien président de parti/Premier ministre, cela veut dire qu’il la dirige en fait. Or, elle a couvert des frais de la campagne présidentielle de son poulain Georges-Louis Bouchez, au détriment des autres candidats (Denis Ducarme et Christine Defraigne), qui, légitimement, déposent une plainte. Gérer à la fois le budget de l’Europe et celui du MR devient une acrobatie. Les faits éclairent en tout cas d’un jour nouveau la nomination, par le même Bouchez, du frère de Charles Michel, Mathieu Michel, comme secrétaire d’Etat, en dépit de ses faibles acquis, lui aussi.

Cela donne le vertige de contempler le comportement, de plus en plus contestable, de nombre de dirigeants européens. Ils agissent comme si les institutions européennes constituaient une nouvelle noblesse, exempte des règles appliquées au commun des mortels. De surcroît, ils semblent se croire habités par une infaillibilité spirituelle, qui confère le caractère de pensée profonde à toute ânerie censée justifier leurs actes.

De façon comique – et tragique -, en même temps, ces dirigeants n’arrêtent plus d’inonder les médias de discours larmoyants, déclarations martiales et tweets répétant à quel point la défense de l’Etat de droit et des valeurs européennes constitue leur combat quotidien. Cela ne fait qu’accentuer le cynisme du public, qui voit chaque jour la distance de plus en plus brutale entre les déclarations et les actes. Chaque épisode de ce genre, beaucoup plus que mille discours, dégrade l’image des institutions européennes et prépare la prochaine vague populiste en Europe. Trump, nous voici.

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