Lors de son premier succès électoral en 2015, Justin Trudeau marquait une rupture avec les conservateurs. Aujourd'hui, malgré son look jeune, la tâche est plus difficile. © BELGA IMAGE

Justin Trudeau ne séduit plus au Canada

Ludovic Hirtzmann Journaliste correspondant au Canada

A dix jours des élections législatives, le Premier ministre est dépassé dans les sondages par son rival conservateur, Erin O’Toole. Le leader libéral peine à être pris au sérieux et à incarner le renouveau. Mais rien n’est joué, tant l’électorat canadien est historiquement versatile.

La campagne électorale pour les législatives canadiennes du 20 septembre a véritablement commencé chez le barbier. A l’aube de la fête nationale, le 1er juillet, Justin Trudeau a rasé sa barbe grisonnante et coupé ses cheveux longs, ainsi portés depuis le début de la crise sanitaire. Avec l’été, les mauvais jours de la pandémie devaient faire partie du passé. Et Justin Trudeau, le Premier ministre flamboyant, était de retour. Tous les chefs de parti ont alors compris le symbole et pris le chemin d’une campagne électorale qui n’était pas officiellement déclarée.

Le chef de l’exécutif, à la tête d’un gouvernement minoritaire, a peaufiné sa stratégie. Après la découverte de tombes de milliers de bambins amérindiens assassinés dans les pensionnats catholiques au XIXe et XXe siècles, le Premier ministre libéral a nommé une gouverneure générale autochtone. Il a multiplié les déplacements dans le pays. Il a courtisé toutes les communautés en promettant des milliards de dollars aux autochtones, aux Québécois, aux seniors, aux chefs d’entreprise ou aux jeunes.

Pourquoi en pleine pandémie?

Justin Trudeau a officiellement annoncé les élections législatives le 15 août, pour le 20 septembre. Les foudres de l’opposition se sont alors abattues sur lui. « Il ne faut pas mettre en péril tous nos efforts pour des jeux et des gains politiques », a tonné le chef conservateur Erin O’Toole. Son homologue du Bloc québécois (souverainiste), Yves-François Blanchet, a dénoncé une décision « irresponsable ». Le patron des néodémocrates (NPD), Jagmeet Singh, l’a qualifiée d' »égoïste ». Tous ont eu le même credo: pourquoi déclencher des élections, alors que la pandémie est toujours là et que l’actuel législature court jusqu’à 2023? Réponse du fils de Pierre Eliott Trudeau: « Tous les Canadiens doivent choisir comment nous terminerons notre lutte contre la Covid-19 et comment nous rebâtirons en mieux. »

Depuis l’arrivée au pouvoir de Trudeau, le Canada est le seul pays du G7 à avoir augmenté ses émissions de gaz à effet de serre.

Les élections portent essentiellement sur cinq enjeux: la sortie de la pandémie, la santé, la maîtrise des coûts du logement, l’environnement et la question des autochtones. Mais le véritable objectif pour Justin Trudeau est l’obtention d’une majorité à la Chambre des communes. Les libéraux comptent actuellement 155 députés, contre 119 pour les conservateurs, 24 pour les néo-démocrates et 32 pour les bloquistes. La majorité est à 170 sièges. Si les conservateurs n’ont cessé de gagner des points dans les sondages – 34% pour le Parti conservateur, contre 32% pour le Parti libéral et 18% pour le NPD selon les dernières études -, la répartition des sièges favorise toujours les libéraux. Le prochain gouvernement pourrait donc être à nouveau libéral et minoritaire.

Limite des compétences fédérales

Car les nuages s’amoncellent au-dessus de Justin Trudeau. Au début de l’été, le Canada ne comptait que peu de cas de coronavirus. Mais la pandémie est repartie. Si les Canadiens ne sont guère préoccupés par la politique internationale, la crise afghane, mal gérée par Ottawa, a marqué les esprits. Le Canada a payé un lourd tribut en Afghanistan, entre 2001 et 2014, où le souvenir de 165 soldats tués est encore vif. Enfin, six ans après son premier mandat, Justin Trudeau ne séduit plus. Sa réélection en 2019 avait eu lieu de justesse et la pandémie avait sauvé par la suite son gouvernement minoritaire. Avec « seulement 26 000 morts » pour trente-neuf millions d’habitants, le chef libéral a mis en avant sa gestion. Jusqu’à ce que ses adversaires lui rappellent que la santé est une compétence des provinces et que la gestion fédérale, si elle n’est pas négligeable, n’est pas déterminante.

Le bilan de Justin Trudeau n’est pas négatif, mais les mesures phares prises par le Premier ministre, notamment en faveur des classes moyennes, datent de 2016 et 2017. L’opinion se souvient davantage des scandales financiers qui ont éclaboussé le chef de l’Etat, de ses voyages luxueux aux frais du contribuable, et de ses revers. Le père de trois jeunes enfants voulait un grand retour du Canada sur la scène internationale. C’est un échec retentissant. Ottawa s’est brouillée avec la Russie, la Chine, l’Arabie saoudite, l’Inde. Il a échoué à obtenir un siège non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Le pays n’a plus de stratégie internationale.

Subventions des énergies fossiles

Justin Trudeau paie aussi son entêtement à subventionner les énergies fossiles en dépit d’engagements internationaux. « Depuis son arrivée au pouvoir, le Canada est le seul pays du G7 à avoir augmenté ses émissions de gaz à effet de serre et […] le troisième plus grand pollueur atmosphérique par habitant de l’OCDE », a rappelé le NPD. Le Premier ministre avait pourtant promis lors de sa première campagne électorale en 2015 l’élimination « graduelle des subventions aux combustibles fossiles ». Spécialiste des questions énergétiques à HEC Montréal, le professeur Pierre-Olivier Pineau confie: « Les subventions n’ont pas cessé. C’est un échec complet. » Le think tank Institut international du développement durable les évalue à « au moins 4,8 milliards de dollars par an ». Pire que les 3,3 milliards de dollars d’aides aux combustibles fossiles en 2014, lors la dernière année complète sous un mandat conservateur. Le Canada est le quatrième producteur de pétrole au monde. Des millions d’électeurs travaillent dans le secteur énergétique.

Justin Trudeau a été populaire et élu en 2015 parce qu’il marquait une vraie rupture avec l’image et la politique de son prédécesseur, le conservateur Stephen Harper. Le futur Premier ministre se baignait alors tout habillé dans sa piscine avec sa famille, montrait son tatouage sur l’épaule, dansait parmi les communautés ethniques. Un communicant hors pair. Les mêmes recettes qui l’ont popularisé il y a six ans le desservent aujourd’hui.

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