La prise de Lyon est particulièrement emblématique de cette "vague verte". Elle concerne la troisième ville la plus peuplée de l'Hexagone. © belga

France: les Verts, centre de gravité de la gauche

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Par son succès aux municipales, Europe Ecologie – Les Verts s’impose comme le principal acteur de la reconstruction de la gauche. Mais de là à forger une union pour la présidentielle de 2022…

La configuration politique est telle en France que les deux forces les plus en vue pour briguer la présidence sont aussi les moins bien implantées localement. Les élections municipales du dimanche 28 juin ont été un échec pour La République en marche, qui n’a réussi à s’imposer ni à Lyon ni à Paris. Elles n’ont pas été une réussite pour le Rassemblement national qui, hors la conquête de Perpignan, première ville de plus de 100 000 habitants dans l’escarcelle de l’extrême droite, n’a pas étendu de façon significative son enracinement. En regard du sur-place du « nouveau monde », les vieilles formations des Républicains et du Parti socialiste ont donc tiré leur épingle du jeu, en particulier la seconde déclarée moribonde et qui a réussi à conserver Paris, Lille et Nantes.

Cette séquence électorale, dont le président Emmanuel Macron n’attendait rien, aurait pu ne constituer qu’une parenthèse dans son mandat si elle n’avait pas consacré l’avancée des idées environnementalistes et l’implantation croissante d’Europe Ecologie – Les Verts (EELV) dans le paysage politique. Le parti, déjà crédité d’un score honorable aux élections européennes de mai 2019 (13,5 %), a conforté sa position à Grenoble, conquise en 2014, et a raflé Lyon, Strasbourg, Bordeaux, Poitiers, Tours, Annecy, Besançon, soit sept villes de plus de 100 000 habitants.

Des alliances uniquement à gauche

La prise de Lyon est particulièrement emblématique de cette « vague verte ». Elle concerne la troisième ville la plus peuplée de l’Hexagone. Elle s’opère tant au niveau de la municipalité, avec Grégory Doucet, un ancien dirigeant de Handicap International, qu’à celui de la structure faîtière de la métropole, avec Bruno Bernard, qui a réussi dans le monde des affaires. Et elle fait échec à l’ancien maire et ex-ministre de l’Intérieur de Macron, Gérard Collomb et à sa tactique d’alliance avec la droite et Les Républicains. Une stratégie répétée un peu partout en France qui questionne le « ni gauche ni droite » des origines de La République en marche.

En effet, autant le parti d’Emmanuel Macron a choisi la droite comme partenaire lors de ces municipales alors qu’il disait se situer au-dessus du clivage bipartisan, autant Europe Ecologie – Les Verts a privilégié les alliances de gauche alors que l’écologie politique en France a (presque) toujours été ancrée à gauche. « Elle a été créée en 1984 par un rassemblement de petits partis, explique Daniel Boy, directeur de recherche émérite au Centre de recherches politiques de Sciences Po Paris. Dirigée par Antoine Waechter, elle n’était officiellement ni de droite ni de gauche. Mais je faisais déjà des enquêtes à l’époque auprès des militants. Derrière le discours officiel, elle penchait beaucoup plus à gauche qu’à droite. Le phénomène s’est accentué au fil du temps. Et à partir du milieu des années 1990, les adhérents verts ont clairement voté pour des alliances avec le Parti socialiste. Elles étaient aussi stratégiques : le sentiment prévalait qu’accéder au pouvoir ne serait pas possible sans l’appui de la gauche. » Pour Daniel Boy, cet ancrage à gauche était justifié aussi d’une point de vue idéologique : « Les environnementalistes sont convaincus d’avoir besoin de l’Etat pour faire bouger le monde dans le sens vertueux qu’il souhaite. Cette dimension oppose la droite et la gauche. »

u0022Les environnementalistes sont convaincus d’avoir besoin de l’Etat pour faire bouger le monde dans le sens vertueux qu’il souhaite.u0022 – Daniel Boy

Pas étonnant dès lors qu’à l’occasion de ces municipales, Europe Ecologie – Les Verts se soit associé à des formations de gauche quand son prétendant était en bonne position pour l’emporter et qu’il ait soutenu un candidat socialiste quand celui-ci était favori, comme à Paris mais à l’exception notable de Lille où Martine Aubry, figure historique du PS, n’a devancé Stéphane Baly d’EELV que de 227 voix… Pourtant, un élément fondamental a changé sur l’échiquier politique de gauche.

Supplétif du PS, c’est fini

Le tournant remonte aux élections européennes de 2019, selon Daniel Boy. « Non seulement les écologistes y ont réussi, avec 13,5 % des voix, un assez bon score. Mais parallèlement, les autres formations de gauche et le Parti socialiste en particulier n’ont obtenu qu’un résultat dérisoire, 6,19 % pour le PS et le mouvement Place publique de Raphaël Glucksmann et 6,31 % pour La France insoumise. C’est une grande nouveauté dans le système politique français. Jusqu’à présent, les écologistes étaient toujours un peu à la remorque du Parti socialiste. Des alliances se nouaient au moment des élections législatives. Les socialistes « offraient » un certain nombre de circonscriptions aux écologistes en ne présentant pas de candidats. Mais au fond, ils n’ont jamais vraiment pris au sérieux l’enjeu environnemental. Ils l’ont toujours sous-traité aux Verts. Mais à partir du moment où le PS est dans un état de déshérence assez extraordinaire depuis 2017, les écologistes deviennent le centre de gravité de la gauche. Le rapport de force est modifié. C’est cela qu’ont exprimé les résultats des élections municipales du 28 juin. Pour la première fois, des listes de rassemblement de la gauche étaient dominées dans des villes de plus de 30 000 habitants par Europe Ecologie – Les Verts », souligne l’expert de Sciences Po.

La réticence de Mélenchon à s’unir avec le PS

En créant La République en marche après avoir trahi son engagement avec la gauche de François Hollande, sortie anéantie de sa présidence, Emmanuel Macron a réussi à atomiser le Parti socialiste. En se positionnant quasi exclusivement à droite une fois arrivé au pouvoir, il a séduit les électeurs conservateurs et affaibli substantiellement Les Républicains. Il était encore dans ce paradigme-là lors de la préparation des élections municipales. Leurs résultats surprises, malgré une abstention qui relativise la poussée verte, vont-ils le contraindre à s’inquiéter d’une candidature de gauche à la présidentielle de 2022 ?

u0022Il est très difficile d’imaginer une candidature unique de la gauche à la présidentielle, ce qui serait la seule manière d’être présent au second tour.u0022 – Daniel Boy

Daniel Boy nuance la menace. « La prochaine étape, ce ne sont pas la présidentielle et les législatives, ce sont les départementales et les régionales en 2021, analyse le spécialiste de l’écologie en France et en Europe. Les départementales reposent sur un scrutin majoritaire à deux tours, qui ne favorise pas EELV. Les Verts pourront néanmoins nouer des alliances avec la gauche pour faire bonne figure. Les régionales, en revanche, se déroulent à peu près comme les municipales. En vertu de leur score du dimanche 28 juin, les Verts seront en position de gagner certaines régions. Cela pourrait placer les écologistes en position de force et les aider à bien préparer la suite, la présidentielle et les législatives. Mais la gauche, ce n’est pas que le Parti socialiste, insiste le spécialiste. La France insoumise y occupe aussi une place importante. Et on sait bien que son patron, Jean-Luc Mélenchon, a beaucoup de réticences à faire l’union de la gauche. LFI a de bonnes relations avec EELV mais est beaucoup plus méfiante à l’idée de nouer des alliances incluant le PS. Dès lors, cela rend très difficile d’imaginer une candidature unique de la gauche à la présidentielle, ce qui serait la seule manière d’être présent au second tour », conclut Daniel Boy. A croire que cet Emmanuel Macron a décidément toutes les chances.

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