Giscard et Macron, une même ambition de conforter le projet européen. © belgaimage

Valéry Giscard d’Estaing, un modèle pour Emmanuel Macron

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Ils partageaient la même ambition européenne. Cependant l’actuel président français devra encore cravacher pour égaler le bilan de son prédécesseur décédé.

Le décès de Valéry Giscard d’Estaing, le mercredi 2 décembre à l’âge de 94 ans, a ranimé la tentation de la comparaison entre l’ancien président français et l’actuel, en particulier à propos d’une ambition européenne affichée conjointement.

Sur la scène politique intérieure déjà, Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981, soit un septennat) et Emmanuel Macron (2017-2022, un quinquennat et éventuellement un second) cultivent les convergences. Ils accèdent au pouvoir suprême en pleine force de l’âge, équivalent de la jeunesse en politique, 48 ans pour le premier, dix de moins pour le second. Ils inscrivent leur action dans une forme de rupture avec le passé, le gaullisme pour Giscard, le traditionnel clivage gauche-droite pour Macron. Ils apparaissent comme des figures du centre, au moins au début. Ils professent tous les deux une volonté de « moderniser la France », ce que réalisera, sur les sujets de société et pour l’histoire, Valéry Giscard d’Estaing avec la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse. Mais ils sont pareillement rattrapés par des crises, les conséquences économiques du choc pétrolier de 1973 pour le premier, la révolte des gilets jaunes et l’épidémie de coronavirus pour le second.

Leur credo européen les distingue de la classe politique de leur époque.

C’est toutefois la volonté de faire de l’Europe un axe majeur de leur mandat qui rassemble le plus Valéry Giscard d’Estaing et Emmanuel Macron, et les distingue de la classe politique de leur époque. Le premier rallie à sa campagne pour la présidentielle de 1974 le pro-européen Jean Lecanuet, ce qui l’aidera à éliminer le gaulliste Jacques Chaban-Delmas à l’issue du premier tour, et puis de battre François Mitterrand. Lors de la course à l’Elysée de 2017, le candidat de En marche fait le pari de l’adhésion d’une partie substantielle des Français au projet européen et à l’euro. Il s’inscrit alors à contre-courant d’un populisme antieuropéen qui sévit à l’extrême droite comme à l’extrême gauche. La réussite va au-delà de toutes les espérances de ses partisans. Elle s’incarne dans la première allocution du président élu, le soir du 7 mai, au son de l’Ode à la joie, l’hymne européen.

Des actes précurseurs

Le bilan de Valéry Giscard d’Estaing dans la construction de ce qui n’est encore que la Communauté économique européenne est impressionnant. C’est sous son mandat qu’est institué, en 1978, le Système monétaire européen, prélude à l’adoption de la monnaie unique et à la création d’une Banque centrale européenne. Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’époque – ils sont alors douze autour de la table – décident aussi de se réunir en sommet deux fois par an, amorce du Conseil européen actuel. Enfin, l’élection au suffrage universel des députés du Parlement européen rapproche les citoyens de la techno-structure communautaire. Le premier scrutin se déroule en 1979. Depuis, l’assemblée a accru ses prérogatives.

Cependant, l’Union européenne ne dispose toujours pas de véritable Constitution. Le grand rêve de VGE s’est fracassé sur le refus de ses compatriotes, le 29 mai 2005, et des citoyens néerlandais, le 1er juin, de ratifier le traité l’établissant. Un échec douloureux. Car au-delà de son mandat présidentiel, l’homme né à Coblence, en Allemagne, a poursuivi le combat de sa vie, marquée par l’occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale, en devenant eurodéputé de 1989 à 1993 et en présidant, ensuite, la Convention sur l’avenir de l’Europe. Ce cénacle, qui a comme vice-présidents l’Italien Giuliano Amato et le Belge Jean-Luc Dehaene, rassemble des représentants des gouvernements, des parlements nationaux, du Parlement européen et de la Commission. Ses travaux débouchent en juin 2003 sur un projet de Constitution européenne à laquelle la population n’était sans doute pas prête et ne le sera plus avant longtemps après la progression, depuis, des formations populistes et d’extrême droite.

Cette déconvenue n’a pas atteint la conviction de l’ancien président que l’avenir de la France passe par le projet européen comme il en a acquis la certitude au début de sa carrière au contact de Jean Monnet, un des pères de l’Europe, qui l’a inspiré. Le 23 avril de cette année, il cosignait encore une tribune pour appeler ses successeurs à réagir plus collectivement à la crise du coronavirus. Il y prônait une prise en charge de la santé publique par l’Union en cas d’épidémie, la création d’un centre de coordination de la réaction d’urgence, la promotion d’une organisation économique et sociale plus juste, plus durable et résistante pour l’après-Covid-19, et une mutualisation de la dette inhérente aux efforts nécessaires au sauvetage de l’économie…

Des Européens moins unis

Le message a été bien reçu par Emmanuel Macron. Le 18 mai, lui et la chancelière allemande Angela Merkel présentent un plan de relance de l’économie basé sur le principe d’un emprunt commun. Le 21 juillet, au terme d’intenses négociations, ils convainquent leurs partenaires, et singulièrement les pays économes du nord de l’Europe, de s’y rallier: 750 milliards d’euros sont dégagés pour ce projet, dont 390 en subventions financées par de la dette européenne. Le changement d’attitude de l’Allemagne, très attachée à la rigueur budgétaire, marque les esprits. « Les Français, avec naïveté et vantardise, pensent que le changement d’attitude d’Angela Merkel est dû à l’influence d’Emmanuel Macron, ironise François Lenglet, journaliste et auteur de Quoi qu’il en coûte! (Albin Michel). Cela a peut-être joué. Mais cela n’a pas été déterminant. Le point de bascule est que l’Allemagne se voit désormais comme le patron de l’Europe. »

A vrai dire, Emmanuel Macron n’a pas réussi à réveiller l’Europe comme il en avait nourri l’ambition en accédant à l’Elysée. Ses problèmes internes, les négociations du Brexit et les dissensions entre progressistes et souverainistes au sein des Vingt-Sept ne l’y ont pas aidé. L’environnement continental a, a contrario, servi les desseins de Giscard d’Estaing, lui qui reconnaissait dans Le Pouvoir et la vie. Choisir (Compagnie 12, 2006), troisième tome de ses mémoires, que « c’est une chance exceptionnelle qui fait que Helmut Schmidt, Giulio Andreotti, Pierre Werner et Gaston Thorn au Luxembourg, Leo Tindemans en Belgique et moi-même, partagions les mêmes convictions européennes ». Mais Macron a encore quelques mois, ou années, pour égaler son prédécesseur.

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