Marion Coopmans © ROGER CREMER

Coronavirus aux Pays-Bas : « Il faut faire confiance aux citoyens »

Erik Raspoet Journaliste Knack

Ils n’ont pas de véritable confinement, ni de port de masque imposé à l’école. Pourtant, les chiffres du coronavirus aux Pays-Bas sont considérablement inférieurs aux nôtres. La virologue Marion Koopmans, qui contribue à orienter la politique néerlandaise en matière de coronavirus, explique pourquoi.

Hospitalisations et décès: dans les deux pays, les paramètres affichent une nette diminution depuis deux semaines. En dehors de cette tendance parallèle, la différence en chiffres absolus est particulièrement frappante. À ce jour, on dénombre 55 559 infections confirmées et 9 080 décès en Belgique (sur 11,5 millions d’habitants) contre respectivement 43 995 et 5 680 décès aux Pays-Bas (17,4 millions d’habitants).

Comme en Belgique, les chiffres des Pays-Bas continuent de baisser. Chez vous aussi, le pic est définitivement derrière vous?

Si vous regardez la courbe, il n’y a aucun doute : nous avons dépassé le sommet. Le paramètre le plus important est le taux d’infection, le R0. Nous devons absolument le maintenir en dessous de 1 (ce qui signifie que chaque personne contaminée infecte moins d’une autre personne en moyenne, ndlr), avec les mesures nécessaires en place.

Le R0 néerlandais a fluctué ces dernières semaines, passant d’un chiffre prometteur de 0,7 à un chiffre dangereusement proche de 1. Le risque est-il vraiment passé ?

La fluctuation fait partie de cette phase, nous devons la traverser. Le virus ne disparaît pas, il continue à circuler. Tout ce que nous pouvons faire, c’est essayer de l’empêcher de se propager à nouveau de manière explosive. Comment ? C’est là tout le défi.

C’est toujours comparer pommes et des poires. Les Pays-Bas ne sont pas encore entrés en déconfinement, mais d’un autre côté, vous n’avez jamais décrété de véritable confinement. Contrairement à nous, les magasins ont été autorisés à rester ouverts. Sur les conseils de l’OMT ?

Oui, nous n’avons jamais fait le dernier pas vers un véritable confinement. Nous ne pouvons pas tout obliger ou interdire, cela doit venir des gens: c’était notre raisonnement. Le virus restera longtemps avec nous, nous ne courons pas un sprint, mais un marathon. Ce n’est qu’en faisant appel à la responsabilité civile que vous pourrez continuer à vous battre. Ce n’est pas si différent d’un confinement light. Nous avons formulé un avis combiné, avec un appel aigu à la distanciation physique et à l’auto-isolement dès le moindre symptôme. Les commerces ont été autorisés à ouvrir, mais l’horéca a dû fermer, et tous les événements sont interdits. Les contrevenants se voient infliger de lourdes amendes.

L’approche néerlandaise au début de l’épidémie a suscité beaucoup d’inquiétudes. Le Premier ministre Rutte a annoncé que les Pays-Bas, tout comme le Royaume-Uni, comptaient sur l’immunité collective pour contenir le virus. Était-ce également l’avis de l’OMT ?

(soupir) L’immunité collective est un concept qui a déjà suscité beaucoup de confusion. Bien sûr, les experts parlaient de l’effet possible de l’immunité. Écoutez, dès qu’il est apparu clairement que nous nous dirigions vers une pandémie, nous avons commencé à dessiner des scénarios. Pour le court terme, mais aussi pour le long terme. Du point de vue de la virologie, il était plausible de conclure que le covid-19 allait rester, qu’il allait devenir un client régulier dans le lot des virus d’hiver. Dans un tel scénario, vous pouvez vous attendre à ce que l’agressivité diminue lorsque tout le monde aura eu le virus. Ou a été vacciné, mais ce n’est pas encore le cas. Si vous ne faites rien, vous pouvez atteindre ce point après quelques mois seulement, alors que cela peut prendre des années si vous luttez très fort contre le virus. Il faut donc faire des choix.

Les Pays-Bas n’ont donc pas fait de virage comme le Royaume-Uni, qui a à présent adopté un confinement strict?

Non, l’OMT n’a jamais conseillé de laisser le virus suivre son cours. Cette impression a été créée par la communication du Premier ministre lors de son discours du 16 mars.

A en juger par les résultats, l’approche néerlandaise est supérieure. Comment expliquez-vous que les Pays-Bas, avec ses 17,4 millions d’habitants, encaissent un tiers de morts du coronavirus de moins que la Belgique, avec ses 11,5 millions d’habitants ?

Vous ne pouvez comparer que lorsque vous connaissez les chiffres définitifs. Cela nécessite une analyse approfondie de la mortalité, combinée à la sérologie des populations et à des recherches à grande échelle sur les anticorps qui permettent de cartographier la propagation du virus. Nous avons constaté qu’une grande partie des Pays-Bas, tout le nord et le nord-ouest, souffre relativement peu du virus. Le centre de gravité se trouve dans le Limbourg, le Brabant-Septentrional et la Hollande méridionale. Nous soupçonnons l’impact des vacances au ski et du carnaval. Des variables régionales expliquent peut-être aussi la différence entre les chiffres belges et néerlandais.

La méthode de comptage est un facteur important. La Belgique a une vision très large de la situation. En plus des décès confirmés de covid-19 dans les hôpitaux, les victimes dans les maisons de repos sont également comptées : non seulement les décès confirmés, mais dans la grande majorité des cas, il s’agit de cas suspects de covid-19. Comment compte-t-on aux Pays-Bas?

Seuls les décès confirmés entrent dans les chiffres, mais l’approche belge se défend aussi. Dans tous les cas, cela crée une image réaliste.

Cette transparence a un coût. La Belgique est en tête du classement morbide du coronavirus: nulle part le nombre de décès par million d’habitants n’est plus élevé. C’est mauvais pour notre image et cela décourage des dizaines de milliers de prestataires de soins de santé qui donnent le meilleur d’eux-mêmes. Même Marc Van Ranst, l’un de nos virologues les plus célèbres et membre de GEES, a qualifié cette approche de stupide.

Cela me rappelle l’épidémie qui a éclaté en Chine. À un certain moment, les infections y ont monté en flèche. En cause, les Chinois qui ont changé de méthode de comptage. Au lieu de compter uniquement les cas confirmés, ils ont soudainement compté les cas attribués au covid-19 sur la base des symptômes. C’était une crainte, ils sont rapidement revenus à l’ancienne méthode en raison de la difficulté de comparaison.

Je suis moi-même loin de ce genre de débat. La fixation sur le chiffre quotidien de décès est excessive, la position sur la courbe est bien plus importante. Nous ne pourrons déduire les chiffres définitifs ou différences entre pays qu’à partir des chiffres de surmortalité après l’épidémie.

Nous voyons plus de la moitié des morts belges dans les maisons de repos. Aux Pays-Bas aussi, les maisons de retraite sont très touchées. Pourquoi ? La vulnérabilité de la population très âgée était bien connue.

Cela dépend de la manière dont sont organisés nos soins aux personnes âgées. Dans des pays comme les Pays-Bas et la Belgique, les gens se rendent très tard dans un établissement. La vieillesse, avec tout ce qui l’accompagne, les rend encore plus vulnérables. De plus, nos maisons de retraite sont axées sur le maintien à domicile plutôt que sur la prévention des infections, comme les hôpitaux. Essayez d’expliquer les règles de la distance physique aux personnes atteintes de démence. Ajoutez à cela le manque d’équipement de protection et vous obtenez une tempête parfaite.

Il existe un débat international sur le rôle des enfants. Il ne fait aucun doute qu’ils sont peu touchés par le virus, la controverse porte sur leur rôle dans la propagation. Que pensez-vous de cette question, qui pèse lourdement sur la décision de rouvrir ou non les écoles ?

C’est contre-intuitif : pour la grippe, les enfants sont une source très importante de propagation, mais pour le covid-19, cela ne semble pas le cas. Des études familiales menées à Wuhan (la ville chinoise où le coronavirus s’est déclaré, NDLR) ont déjà montré que les enfants ne se trouvent pratiquement pas sur le trajet de transmission, ce que confirment les premiers sondages de population que nous avons effectués aux Pays-Bas. Dans le syndrome, ils ne comptent guère : 1 %, alors qu’ils représentent 22 % de la population. Mais nous ne voyons pas non plus de foyers à l’école. La transmission va presque toujours de l’adulte à l’enfant, et non l’inverse. Les données sont limitées, mais elles pointent toutes dans la même direction.

Partout, la frustration grandit face aux conséquences socio-économiques des mesures de lutte contre le coronavirus. La colère n’est pas seulement dirigée contre les hommes politiques, mais de plus en plus contre les experts qui les conseillent. Vous sentez-vous interpellée ?

Les discussions sont inévitables, mais nous n’avons absolument pas besoin de polarisation. Il y a de fortes chances qu’il y ait une flambée à l’automne qui nécessitera de nouvelles mesures. Nous ne nous en sortirons que si nous travaillons ensemble, le monde médical avec les acteurs sociaux et économiques. Bien sûr, on se plaint sur les réseaux sociaux que les choses vont trop lentement. Ce n’est pas drôle, mais je réussis à relativiser. En général, les mesures sont largement soutenues.

La controverse sur la manière de faire face à l’épidémie ne disparaîtra pas. On tire sur un moustique avec un canon, reste une opinion populaire. Sommes-nous en train de sacrifier notre liberté et notre économie pour un virus qui n’est pas pire qu’une grosse grippe ? Ce n’est pas seulement l’opinion d’Elon Musk, mais aussi celle du célèbre épidémiologiste de Stanford John Ioannidis, qui pense que les mesures de confinement sont motivées par l’hystérie de masse.

Il s’agit de la même discussion que lors de l’épidémie de H1N1 en 2009. Écoutez, pendant une pandémie, il est très difficile d’en estimer l’impact. On ne le sait qu’après, après des recherches épidémiologiques approfondies. Mais la conclusion est ce qu’elle est : sur la base de ce que nous savons maintenant, avec le covid-19, nous devons calculer un taux de létalité (NDLR : le rapport entre le nombre de décès et le nombre d’infections confirmées) d’environ 1 %. C’est vraiment beaucoup plus qu’avec la grippe saisonnière. Le taux de mortalité est tout simplement plus élevé, même à des âges plus bas. La moitié des hospitalisations aux Pays-Bas concernent des patients de moins de 65 ans, dont beaucoup se retrouvent en soins intensifs. En Italie et en Espagne, les hôpitaux sont passés en code noir.

Par code noir, vous voulez dire que les patients mouraient dans le couloir par manque de capacité de traitement, tandis que les cadavres étaient conservés dans des véhicules réfrigérés par manque de place ?

Exactement. Ce ne sont pas des scènes d’une épidémie de grippe. Je pense que John Ioannidis a tort.

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