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« Un réchauffement global de 4°C voudrait dire +10°C durant les canicules en Belgique »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Le nouveau rapport du Giec est sans équivoque. Quelles leçons faut-il en tirer? Entretien avec Hugues Goosse, climatologue, et professeur extraordinaire au Earth & Life Institute de l’UCLouvain.

Hugues Goosse, comment peut-on aborder ce nouveau rapport du Giec?

C’est un rapport de synthèse, qui se base sur des milliers d’articles scientifiques. Donc, ce ne sont pas des nouveaux résultats qui viennent de nulle part. On connaît déjà le contenu. L’intérêt, c’est l’évaluation et la manière de présenter pour que le rapport puisse être utile aux décideurs politiques.

Diffère-t-il des précédents rapports?

Oui, car celui-ci est uniquement focalisé sur la physique du système climatique et les cycles biochimiques. Il n’est pas du tout axé sur les impacts ou les mesures pour diminuer les effets des émissions de gaz à effet de serre.

Du point de vue des climatologues, on confirme tout ce qui a été dit par le passé. Ça donne de la consistance, car on a aujourd’hui 40 ans de recul sur les premières prévisions du réchauffement climatique. Maintenant, on le voit. Ce qu’on avait prévu se réalise. C’est en quelque sorte une bonne nouvelle pour la compréhension du système, car ça signifie qu’on comprend ce qu’il se passe. Pour la suite, on sait donc ce qu’on peut et doit faire.

Quelles grandes leçons peut-on tirer du rapport?

Le rapport contient une section très importante sur la montée de la température globale, avec des tendances comme la fonte de la glace de mer arctique ou des glaciers de montagne, la multiplication des canicules… On a donc une synthèse avec les derniers chiffres.

Le deuxième volet détaille l’implication de l’activité humaine dans le réchauffement climatique, l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère, l’élévation du niveau de la mer, etc.

La grosse spécificité du système climatique, c’est qu’on a du mal à revenir en arrière. Ce n’est pas comme la pollution de l’air.

On a également des informations plus précises au niveau des extrêmes. L’augmentation de la probabilité de ces extrêmes est en partie expliquée par les activités humaines. C’est une des nouveautés, caril est compliqué d’attribuer un seul événement au réchauffement climatique. Mais maintenant, il y en a tellement qu’il n’y a plus beaucoup de doutes. On a également fait de gros progrès dans l’attribution d’événements individuels au réchauffement climatique. Maintenant, on peut dire: « la probabilité de tel événement a été multiplié par 20 à cause du réchauffement climatique ». Autrement dit, tel événement n’aurait pas pu arriver sans le réchauffement climatique, sauf dans une situation exceptionnelle.

Il y aura donc des conclusions sur les extrêmes, aussi bien vis-à-vis des canicules, des sécheresses, que sur les précipitations historiques.

Cet été est particulièrement marqué par les inondations, mais aussi les incendies. Y a-t-il un lien concret entre la multiplication des incendies et le réchauffement climatique?

Concernant les incendies de forêt, c’est un peu plus compliqué. Ce que l’on sait, c’est que le climat a déjà favorisé les incendies de forêt. Mais ce n’est pas parce que le climat les favorise, qu’ils ont lieu pour cette unique raison. Car cela dépend de beaucoup d’éléments. A l’instar des inondations. On peut dire que le changement climatique favorise les inondations dans certaines circonstances, mais ce n’est pas l’unique raison. Cela dépend aussi de la gestion des cours d’eau, etc. A partir de quand les incendies sont dus ou non à l’activité humaine ? On a encore besoin d’un peu de recul pour émettre un avis clair sur ce genre d’événements. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut anticiper comme une prévision météo. On n’est pas encore capable de quantifier, aujourd’hui, l’impact précis du changement climatique sur ces événements extrêmes, en direct. Il faut du recul. Dans cinq ans, on sera peut-être en mesure de le faire après quelques jours.

Pourquoi ce rapport est-il vu comme « l’avertissement le plus sévère »?

On sait que les températures extrêmes augmentent plus vite que la température globale. On parle d’un réchauffement de 1,5°C ou 2°C. Mais avec un réchauffement de 2°C à l’échelle globale, les températures extrêmes en Belgique augmenteront de plus de 2°C. On se retrouvera à 3° ou 4°C supplémentaires lors des canicules. Ce sont des choses qu’on peut affirmer maintenant. On ne pouvait pas le faire il y a quelques années.

Chaque avertissement est plus sévère que le précédent. A partir du moment où les mesures ne sont pas prises, la température monte, et on plus on attend, et plus on voit les conséquences majeures.

La grosse spécificité du système climatique, c’est qu’on a du mal à revenir en arrière. Ce n’est pas comme la pollution de l’air. Si on décide demain de n’avoir plus que des voitures électriques à Bruxelles, l’air sera nettement plus propre en une semaine. Si on décide d’arrêter toutes les émissions de C02 demain, le climat se stabilisera au mieux, il ne se refroidira pas tout de suite.

La température des canicules en Belgique va augmenter nettement plus que la température globale.

Donc, au niveau des avertissements climatiques, forcément les conclusions sont plus sévères que dans le rapport précédent. On espère que ce sera moins le cas dans le rapport suivant.

La grosse différence, par rapport au compte-rendu d’il y a sept ans, c’est que de plus en plus de gens se rendent compte, de leurs yeux, que le climat change. Ce n’est plus quelque chose de théorique ou d’abstrait. Les gens voient les conséquences et les coûts de manière concrète. On a de moins en moins de temps pour arriver aux objectifs, donc l’avertissement est de plus en plus sévère.

Qu’arriverait-il si aucune mesure ne serait prise dans la prochaine décennie?

Si on ne fait « rien » dans la prochaine décennie, on peut arriver à un réchauffement global de 4°C ou 5°C à la fin du siècle. C’est le scénario le plus extrême, si on ne prend pas du tout de mesures. Mais 4°C à l’échelle globale, ça veut dire +10°C durant les canicules en Belgique. L’année dernière, on a déjà eu 40°C pendant l’été. Si on ajoute 5°C ou 10°C, vous imaginez les conséquences. On peut espérer qu’on en arrivera jamais là, et que des mesures seront prises. Vu l’ampleur des catastrophes actuelles, on peut espérer que les actions soient concrètes.

A quel niveau le rapport du Giec est-il plus précis que le précédent?

Le rapport fournit beaucoup plus d’informations à l’échelle régionale. On a des informations sur la probabilité de canicules. La température des canicules dans l’Europe de l’Ouest, c’est-à-dire la Belgique, va augmenter nettement plus que la température globale. Le débit des rivières et les probabilités de précipitations intenses sont aussi évoqués. On sait que les précipitations extrêmes vont augmenter à cause du réchauffement. Il y a donc des informations régionales très précises. Cela fait partie du message : toutes les régions du monde auront des conséquences. On se rend compte, maintenant, que l’Europe de l’Ouest n’est pas épargnée par le changement climatique. On ne peut plus se dire « Nous on aura rien, ce sont les autres qui vont subir. »

La Belgique n’est pas très bonne élève car nos plans climat ne sortent pas assez rapidement.

La Belgique est-elle suffisamment bonne élève?

La Belgique n’est pas très bonne élève. Nos plans climat ne sortent pas assez rapidement. Disons que la Belgique suit l’Europe. Elle est bonne élève dans la volonté, peut-être, mais c’est compliqué de tout concrétiser entre les Régions et les différents niveaux de pouvoir. Comme il faut mettre tout le monde d’accord, nos plans climat mettent beaucoup de temps à se réaliser.

Peut-on tout de même retirer un peu de positif du rapport?

Le point positif, c’est qu’on a encore l’avenir entre nos mains. On peut, dans des scénarii réalistes, on peut encore atteindre 1,5°C. On peut encore modérer les changements climatiques à venir, c’est encore possible. C’est la note d’espoir. On ne peut pas aller en arrière, mais actuellement, on est déjà à 1,2°C de réchauffement. Donc 1,5°C, ça laisse peu de marge.

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