Carte blanche

La guerre en Ukraine ne peut être le prétexte pour détricoter nos avancées environnementales (carte blanche)

Zakia Khattabi, ministre fédérale du Climat, et Céline Tellier, ministre wallonne de l’Environnement (toutes deux Ecolo), s’inquiètent d’une certaine tendance à « tirer parti de la crise ukrainienne » pour remettre en cause de Green Deal européen et, plus particulièrement, la stratégie « De la ferme à la fourchette ».

La guerre en Ukraine a déjà un impact important sur la sécurité alimentaire et les prix des denrées alimentaires en Belgique, en Europe et au-delà. Dans de nombreuses régions du monde déjà fragilisées par la pandémie de Covid-19 et la crise énergétique, l’inflation de certaines denrées qu’entraine la guerre en Ukraine annonce des difficultés à venir. Cette crise alimentaire risque de durer et tant la Belgique que l’Europe doivent prendre des mesures pour absorber ce choc. Mais, comme à chaque fois que surgissent des crises, les fausses bonnes solutions et les simplismes ne sont jamais bien loin…

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En effet, pour d’aucuns, sensibles aux intérêts et au lobbying de la grande industrie agro-alimentaire, l’occasion est belle de tirer parti de la crise ukrainienne pour atténuer la nature même du Green Deal européen. Se retrouve ici plus particulièrement dans le viseur la stratégie « De la ferme à la fourchette« .

Pour rappel, cette stratégie vise, pour 2030, à rendre l’agriculture européenne plus autonome, réduire de moitié l’usage des pesticides et de 20% l’usage d’engrais, et à consacrer un quart des terres cultivées à l’agriculture biologique (contre à peine 9% en ce moment).

Quels sont les risques d’un tel revirement ?

Le fait de revoir à la baisse nos ambitions en matière de réduction des pesticides et de ne plus protéger des zones naturelles précieuses et riches en biodiversité augmente dangereusement le risque d’effondrement de nos écosystèmes et de nos économies.

Pour les paysans qui font déjà face à de rudes conditions de production en raison du dérèglement climatique, de la perte de biodiversité, de la concurrence de l’agro-industrie, cette guerre risque de les faire basculer dans l’extrême pauvreté. Appauvrir encore nos terres agricoles en réintroduisant des pratiques agricoles non durables, ne fera que réduire la productivité à long terme de l’agriculture européenne. Et c’est précisément la pire menace pour notre stabilité socio-écologique actuelle et notre sécurité alimentaire, et certainement pour celles des générations futures.

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Aujourd’hui, la crise en Ukraine, après celle du covid, démontre le lien essentiel entre santé et environnement. Elles remettent toutes les deux en question la mondialisation à outrance qui fragilise nos économies. Dans le cas présent, les importations agricoles en provenance d’Ukraine et de Russie sont principalement utilisées, au sein de l’Union, pour nourrir le bétail et produire des agrocarburants. L’UE doit donc prendre la mesure de ces chocs d’approvisionnement pour mener la transition de l’élevage et de l’agriculture intensifs vers un système alimentaire durable, relocalisé et résilient, et soutenir la souveraineté alimentaire.

Les systèmes alimentaires mondiaux continueront d’être en proie à des crises et à des incertitudes dans les années et les décennies à venir. C’est pourquoi il est indispensable, à côté des réponses que nous apporterons à court-terme, de défendre et de respecter les ambitions exprimées dans la stratégie de la ferme à la fourchette, mais également de travailler dès à présent à la refonte d’un modèle alimentaire qui doit permettre d’accroitre la résilience de l’Europe et de faire face à d’éventuelles crises sociales, environnementales et économiques futures.

Cette crise doit être, de ce point de vue, précisément le signal dont nous avons besoin pour accélérer la transition vers un système agricole résilient et durable. Même si des mesures d’urgence sont nécessaires, nous attendons donc de la Commission qu’elle soutienne et accélère le Green Deal, indispensable pour renforcer notre souveraineté alimentaire.

Zakia Khattabi

Ministre fédérale du Climat, de l’Environnement, du Développement Durable et du Green Deal

Céline Tellier

Ministre wallonne de l’Environnement, de la Nature, de la Forêt, de la Ruralité et du Bien-être animal

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