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« De la ferme à la table », une stratégie qui divise élus écologistes et partis plus à droite

Les eurodéputés ont démarré une nouvelle plénière du Parlement européen lundi à Strasbourg avec un débat sur la stratégie « De la ferme à la table », qui divise. Critiquée au sujet d’un rapport établi par son Centre commun de recherche (JRC), la Commission européenne s’est défendue de toute volonté de négliger le débat.

La Commission avait présenté en mai 2020 sa stratégie « De la ferme à la table », qui entre dans le cadre de son « Green Deal ». Selon une récente étude répercutée par la FAO, les systèmes alimentaires de par le monde (utilisation de fertilisants, exploitation des terres, transformation, conditionnement, réfrigération des aliments, distribution, etc.) sont responsables de plus d’un tiers des émissions globales de gaz à effet de serre imputables aux activités humaines. La stratégie « De la ferme à la table » vise à réduire l’empreinte environnementale liée à l’alimentation des Européens, tout en garantissant la disponibilité d’aliments sains pour tous.

Un des objectifs proposés par la Commission est de parvenir en 2030 à ce qu’au moins un quart des terres agricoles européennes soient consacrées à l’agriculture biologique, là où on en est actuellement à 8,5% (7,2% en Belgique selon des chiffres Statbel 2020, dont plus de neuf dixièmes en Wallonie). Un autre est de diminuer de moitié au moins l’usage et le risque des pesticides chimiques, ainsi que la vente d’antimicrobiens pour l’élevage.

Le document du JRC qui fait débat a été publié cet été. Il s’agit d’un rapport technique, qui tente de modéliser les potentiels effets économiques et climatiques de différents scénarios, dont celui d’une implémentation complète des objectifs-clés des stratégies « biodiversité » et « de la ferme à la fourchette », en combinaison avec une PAC (Politique agricole commune) réformée et traduite de manière ambitieuse par les Etats membres. Dans ce scénario, le JRC calcule qu’on pourrait aboutir à une baisse de la production et donc des exportations européennes dans certains secteurs, de manière particulièrement marquée pour la viande de porc et la volaille.

Un vent d’inquiétudes…

La Commission est accusée par certains d’avoir sciemment attendu quelques mois avant de publier le document, en période creuse, pour éviter de trop gros remous.

Côté belge, les élus Hilde Vautmans (Open Vld, Renew) et Tom Vandenkendelaere (CD&V, PPE) ont notamment exprimé envers la presse leurs inquiétudes pour les agriculteurs, à la suite du rapport. L’exportation de porc européen, particulièrement importante pour la Flandre, « pourrait baisser de 77% », affirme l’élu CD&V. « Il faut une politique agricole réaliste, faisable et juste pour nos fermiers ». Tous deux indiquent qu’ils soutiendront les objectifs de la stratégie « De la ferme à la table », mais qu’il faut davantage impliquer les agriculteurs.

Comme l’a récemment écrit Le Monde, le sujet fait l’objet d’un lobbying intensif du duo COPA-Cogeca, par exemple, qui regroupe des syndicats agricoles et coopératives agro-alimentaires. Cette alliance souhaiterait diminuer ou faire disparaitre certaines ambitions chiffrées et pistes du texte mis en avant par la Commission, un lobbying que dénonce aussi le co-président belge du groupe des Verts/ALE, Philippe Lamberts. « Nous avons une agriculture européenne qui, au lieu d’être un havre de biodiversité et un puits de carbone, est un destructeur de biodiversité et une source de carbone », constate-t-il lundi. « A un moment, il faudra accepter de produire moins », si l’on sait que continuer sans changement va produire des dégâts irrémédiables, résume-t-il.

L’étude ne doit pas être considérée comme une prévision

Face aux eurodéputés, la commissaire chypriote Stella Kyriakides, en charge de la stratégie « Farm to fork » (ou « F2F » dans le jargon européen), a rappelé que l’étude du centre de recherche a de nombreuses carences et ne peut pas être lue comme une prévision. Elle ne tient par exemple pas compte des changements du côté de la demande, ou d’une baisse de production liée au changement climatique et à la perte de biodiversité. Des études d’impact en bonne et due forme seront réalisées pour chaque proposition législative importante, a-t-elle promis. « Je n’ai jamais dit que cette transition se ferait sans coût ni adaptation », a-t-elle rétorqué. « Un changement systémique demande de l’engagement et du courage. »

L’élue Groen Sara Matthieu a, quant à elle, rappelé que le « modèle actuel » est également une « catastrophe pour les petits agriculteurs ». Elle voit justement dans l’implémentation de la stratégie « De la ferme à la table » « une opportunité de rémunérer de manière juste » les producteurs.

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