Theo Francken: trois ans de provocations et de repères moraux brisés

Depuis qu’il est secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration, Theo Francken a multiplié les polémiques. Nécessitant, presqu’à chaque fois, soit ses excuses soit un recadrage du Premier ministre.

C’est très exactement ce que l’essayiste français Thomas Guenolé décrit comme « la valse à quatre temps » des politiques polémistes : 1. la provocation, par laquelle un repère moral de la société est brisé, 2. la requalification des propos tenus, 3. la victimisation, 4. le triomphe.

12 octobre 2014. A peine secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration, il participe à une fête d’anniversaire en l’honneur de Bob Maes, fondateur de l’organisation d’extrême droite VMO et collaborateur du IIIe Reich durant la Seconde Guerre mondiale. Francken s’excuse.

15 octobre 2014. Des mails datant de 2007 refont surface. Il y évoque l’organisation d’une réunion secrète d’un groupe baptisé VNV (référence au Vlaams Nationaal Verbond, qui avait collaboré avec les nazis) « pour signer les grandes lignes de la gestion (et surtout la fin) de notre pays ». Ceux qui révéleraient la réunion « recevraient une balle ou devraient passer une nuit avec Christian Dutoit », nationaliste de gauche et homosexuel. Francken s’excuse.

15 octobre 2014. Un de ses statuts Facebook datant de 2011 est exhumé, dans lequel il réagit à un article de The Economist sur la valeur ajoutée économique des immigrés pour les économies des pays d’accueil : « Je peux me figurer la valeur ajoutée des diasporas juive, chinoise et indienne, mais moins celle des diasporas marocaine, congolaise ou algérienne. » Francken s’excuse.

8 septembre 2015. Tweete au lendemain de l’ouverture du nouveau centre d’accueil pour réfugiés à Bruxelles (500 places) : « Quatorze personnes en veulent, les autres non. Les tentes sont apparemment trop confortables. On arrête avec les critiques. Des excuses sont les bienvenues, merci. » Ajoute, à la VRT : « Que voulez-vous que je fasse de plus ? Il faut leur offrir l’hôtel, peut-être ? » Didier Reynders estime que « c’est une vraie maladresse ».

21 juin 2016. Réplique au tweet de @Jihad- VP : « Eh regarde, je suis membre du conseil flamand de la jeunesse et je twitte sous (le pseudo) « jihad » ». Sauf qu’il s’agit d’une jeune fille qui s’appelle réellement Jihad (Van Puymbroeck). Francken s’excuse.

29 juin 2016. Visite le Danemark avec quelques journalistes. En profite pour affirmer que « 60 à 70 % des demandeurs d’asile mentent à propos d’un aspect de leur identité, qu’il s’agisse du nom ou de l’âge, du trajet qu’ils ont suivi ou de leur pays d’origine », et pour annoncer une modification législative donnant à l’Office des étrangers la possibilité d’inspecter les smartphones des demandeurs d’asile. Aucune enquête n’a jamais établi un tel ordre de proportion. Seule l’agence européenne Frontex l’estime, pour les Syriens, à 15 %. « Une estimation sommaire », concède Francken dans un premier temps. La disposition a suivi son parcours législatif. Le Haut commissariat des Nations unies aux réfugiés et la Commission de la vie privée ont donné raison à l’opposition. « Intellectuellement, vous marquez un point », avoue, ce 9 novembre, à la Chambre, Francken, face à la démonstration du député Benoît Hellings (Ecolo). Mais la modification législative a bien été votée.

27 septembre 2016. Partage sur Twitter une animation le présentant comme un membre de forces spéciales sautant d’un hélicoptère pour s’emparer d’un homme, noir, en lui plaquant une ventouse sur la tête et l’hélitreuiller, avec l’inscription « Tolérance zéro » et son commentaire : « Regardez une fois ce que j’ai trouvé. Tolérance zéro, c’est marrant : -) » Francken supprime son tweet.

21 mars 2017. Apostrophe sur Twitter les ONG qui tentent de sauver les réfugiés en Méditerranée : « Elles doivent rester loin de tout ça. Elles font de la traite d’êtres humains. Ça n’a plus rien à voir avec les réfugiés. Migration illégale. » Charles Michel l’enjoint à faire preuve de plus de « nuance », « désapprouve le tweet, condamne ce type de communication, recommande de tourner sept fois son pouce avant de tweeter » et « apporte au nom de l’ensemble du gouvernement (son) soutien au travail humanitaire ». Francken s’excuse.

16 avril 2017. Sur Facebook, sonde les internautes sur son choix d’avoir sauvé 600 chrétiens syriens ces deux dernières années. Charles Michel précise qu' »à aucun moment, il ne s’agit (dans le sondage) d’exprimer une discrimination, une stigmatisation », rappelant les résolutions visant la protection des minorités au Moyen-Orient.

11 juillet 2017. Fête la Flandre à la Vlaams Huis en payant, avec d’autres parlementaires N-VA et autant de mandataires du Vlaams Belang, plusieurs fûts de bière à quelques dizaines de fêtards (et deux prêtres catalans) rue de la Presse, à Bruxelles. « Je ne commente pas des informations qui ne m’ont pas été confirmées », dit Charles Michel à BX1. BX1 interroge Francken sur sa proximité du jour avec l’extrême droite. « Et alors ? Ça fait cinq ans, dix ans, que je fais ça avec eux », répond-il. Charles Michel n’a toujours pas commenté cette information confirmée.

13 septembre 2017. Poste sur Facebook « Depuis ce matin, 14 personnes ont été arrêtées au parc Maximilien et 9 à la gare du Nord. 3 qui se déclarent mineurs d’âge. #nettoyer » Charles Michel estime le « vocabulaire inadéquat ». Francken regrette d’avoir utilisé le terme « nettoyer ».

19 septembre 2017. Reçoit une délégation de représentants soudanais, pour identifier des compatriotes en séjour illégal, composée d’agents des services secrets soudanais. Charles Michel doit préciser qu’il n’y a pas d’accord avec le Soudan pour le rapatriement des migrants soudanais interpellés à Bruxelles, sinon « la mise en place d’une collaboration technique ».

29 octobre 2017. Affirme que « les Catalans qui se sentent politiquement menacés peuvent demander l’asile à la Belgique. Cela compte aussi pour le ministre-président Puigdemont. C’est purement légal. » Charles Michel doit préciser qu’une éventuelle demande d’asile de Puigdemont n’est « absolument pas à l’ordre du jour » et « demande à Theo Francken de ne pas jeter de l’huile sur le feu ».

14 novembre 2017 Annonce la création d’une « fast team » au sein de l’Office des étrangers. Mission : intervenir rapidement avec la police en cas d’incidents ou d’émeutes pour débusquer des personnes étrangères à l’origine de troubles, notamment lorsqu’elles sont en situation irrégulière. Son cabinet doit préciser qu’il ne s’agit absolument pas d’une police des étrangers.