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Soins à domicile: « pagaille » et « oublis » dans la distribution des masques

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

Des millions de masques sont arrivés en Belgique il y a quelques jours. Une partie d’entre eux ont été distribués au personnel soignant des hôpitaux. Une autre partie est réservée au personnel soignant à domicile. Mais la distribution de ces masques est désorganisée et la cacophonie semble généralisée.

Cela fait des jours que le personnel soignant qui travaille à domicile bricole des solutions en attendant de recevoir des masques pour se protéger du coronavirus et surtout protéger leurs patients qui sont, dans de nombreux cas, un public à risque.

« Au début de l’épidémie, j’ai cousu des masques en tissu pour aller travailler », nous explique Mathieu Billenne, infirmier à domicile indépendant dans la région de Liège. « Ça me permet de protéger un minimum mes patients, mais je dois quand même faire attention à tout ce que je fais, tout ce que je touche, pour éviter d’être infecté et risquer d’ensuite infecter mes patients fragiles ».

Une gymnastique quotidienne mise en place pour pallier le manque criant de matériel. Le personnel soignant à domicile est le parent pauvre dans cette crise. Il est pourtant également en première ligne et peut être un potentiel contaminateur auprès d’un public parfois fragile.

La « pagaille »

Depuis ce mercredi, la distribution de masques pour le personnel soignant à domicile se fait par les communes. Officiellement, chaque infirmier à domicile doit recevoir 50 masques chirurgicaux. Rappelons que ceux-ci protègent uniquement les patients afin qu’ils ne soient pas contaminés par le soignant. Si le patient est lui-même infecté, le soignant peut être contaminé, même s’il porte ce type de masque.

Les masques sont donc distribués aux travailleurs de la santé, sur base d’une liste officielle envoyée par le fédéral. Mais « c’est la pagaille », s’insurge, Edgard Peters, vice-président de l’Association belge des praticiens de l’art infirmier.

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Les listes des prestataires se sont révélées inexactes. « Dans de nombreuses régions, les listings sont obsolètes, des prestataires retraités ou décédés sont encore inscrits, des infirmiers actifs ne s’y trouvent pas, et le nombre de masques ne correspond pas au nombre de prestataires », nous explique-t-il. « Cela fait dix ans que nous réclamons un cadastre qui nous a été refusé, car cela coûterait trop cher et serait difficile à mettre en place », déplore Edgard Peters.

Plus de masques

Lorsqu’il a appris qu’un stock de masques était disponible pour les soignants à domicile indépendants, Mathieu Billenne s’est réjoui. « C’est déjà une bonne chose que le gouvernement fasse quelque chose pour nous, confie-t-il. C’est une question de santé publique, mais en tant qu’indépendants, nous n’avons jamais d’aide, donc on apprécie de recevoir des masques gratuitement ».

Pourtant, dans sa commune, Mathieu Billenne n’est pas inscrit dans la liste officielle. Il n’y a plus de masque pour lui. Il espère cependant bénéficier d’un stock de masques venant d’une commune qui en aurait reçu trop. A l’heure d’écrire ces lignes, il continue ses recherches.

Les sages-femmes abandonnées

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Le cas des sages-femmes est encore plus alarmant. « On nous a totalement oubliées dans cette distribution, s’insurge Vanessa Wittvrouw, Présidente de l’Union professionnelle des sages-femmes belges, comme d’habitude lorsqu’on évoque les soins à domicile », déplore-t-elle.

Pourtant, les sages-femmes font bien partie du personnel prodiguant des soins à domicile indispensables, surtout durant cette période de crise.

En effet, « en ce moment, les femmes qui viennent d’accoucher sont renvoyées chez elles avec leur bébé rapidement. Les hôpitaux étant les principaux lieux de contamination, il n’y aucun intérêt à garder des patients en bonne santé au sein des murs », explique-t-elle. Le rôle des sages-femmes indépendantes, qui se rendent au domicile des patientes pour le suivi post-accouchement, mais également le suivi de l’allaitement et de la croissance du bébé, est d’autant plus crucial qu’il s’agit de la seule consultation « physique » dont elles peuvent encore bénéficier.

L’allaitement comme barrière au virus

« L’allaitement maternel permet au bébé de développer des anticorps, rappelle Vanessa Wittvrouw, c’est pourquoi dans ce contexte de pandémie, il est si important de continuer à soutenir les mamans allaitantes. On sait que le premier mois est crucial dans le lancement d’un allaitement et c’est aussi le moment plus compliqué. L’appui des sages-femmes est donc primordial dans cette démarche ».

En effet, depuis la mise en vigueur des mesures de confinement, les pédiatres ne reçoivent plus que les urgences, les médecins généralistes ne sont joignables que par téléphone et l’ONE ne fait plus de visite à domicile.

L’ONE intervient à partir du quinzième jour de l’enfant. Les vaccinations sont toujours assurées en consultation, mais le travail psychosocial se poursuit essentiellement par téléphone.

« Nous répondons aux questions des parents et prenons l’initiative aussi de contacter les parents des enfants de 0 à 2 mois pour prendre des nouvelles et répondre à leurs questions », affirme l’ONE.

« Le message que l’on veut adresser aux familles, c’est : ‘Nous sommes là pour vous, malgré les circonstances, nous restons à votre écoute et pour répondre à vos questions‘ ».

Le suivi normal n’est donc plus assuré que par les sages-femmes et à l’heure actuelle, elles ne disposent toujours pas de matériel pour protéger les patientes et pour se protéger.

Devenir un vecteur du virus

« Il y deux semaines, j’ai fouillé mes fonds de tiroir pour trouver du tissu 100 % polyester et coudre une dizaine de masques que je pourrais utiliser lors de mes consultations », nous explique Sandrine Bous, sage-femme indépendante dans la région de Liège.

« J’ai surtout peur d’être contaminée et de devenir un vecteur de la maladie, nous confie-t-elle. Du coup, j’ai mis en place une routine drastique : je me lave les mains en arrivant et en partant de chez les gens. Une fois dans ma voiture, j’utilise un gel hydroalcoolique. Quand je rentre chez moi le soir, je laisse mes vêtements et mes chaussures dans mon garage et je file sous la douche. Ma voiture ne me sert plus que pour mon travail et mon matériel ne sort pas de ma voiture », explique-t-elle.

« Pour travailler dans de bonnes conditions, tout le monde devrait avoir des masques, nous explique Sandrine Bous. Il y a quelques jours, j’ai réussi à récupérer quelques masques auprès d’une esthéticienne qui arrêtait son activité, mais je n’en ai pas assez pour en donner aux patients. Pourtant, cela me permettrait de travailler en sécurité, nous dit-elle. J’essaie de respecter les limites de distanciation le plus possible, mais quand on fait des soins, on ne peut pas rester à un mètre des gens », déplore la sage-femme.

Vanessae Wittvrouw avait pourtant interpelé les autorités sur cette problématique des sages-femmes à domicile le 16 mars dernier. « Jusqu’il y a deux jours, je n’avais même pas eu de réponse », nous dit-elle.

Aujourd’hui, les autorités prévoiraient de donner dix masques aux sages-femmes indépendantes, mais elles ne savent pas quand elles vont les recevoir. « J’espère avant la fin de la semaine », dit Vanessa Wittvrouw.

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