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Sarah Schlitz: « Je redoute que les 6 milliards du plan de relance aillent à des secteurs masculins »

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Sarah Schlitz est la première secrétaire d’Etat en charge des questions de genre. Signe des mentalités politiques qui évoluent? L’Ecolo l’assure: la Vivaldi a de réelles volontés de faire avancer le droit des femmes. Du moins, concernant ce qui figure dans l’accord de gouvernement. Certains combats (IVG, individualisation des droits…) devront attendre. Comme un plan de relance qui intègre la dimension genrée?

Le 8 mars 1921, Lénine instaurait pour la première fois une journée des droits des femmes en Russie. Un siècle plus tard, ces droits des femmes…

… ont connu des avancées notables. Au niveau économique, social, des égalités sont objectivement apparues. Aujourd’hui, les inégalités ne sont plus écrites dans des lois, qui sont en apparence égalitaires. Il n’empêche que beaucoup d’inégalités subsistent dans les faits: l’écart salarial à 9% (et 23% si on n’applique pas des corrections liées aux temps partiels), les familles monoparentales sont à 80% des mamans solos, les tâches ménagères ne sont pas équilibrées, le congé parental…

est encore loin d’être égalitaire!

Il y a un allongement de 10 à 20 jours qui se concrétisera d’ici la fin de la législature. Et, depuis le 1er janvier, on est déjà passé à 15 jours. On n’est effectivement encore loin des quinze semaines accordées à la mère. Mais c’est le résultat d’une bataille culturelle: il y a dix ans, ce genre de revendication aurait été inaudible. Ce n’est pas seulement une réclamation féministe, beaucoup d’hommes veulent prendre davantage de place auprès de leurs enfants.

A part le congé parental, comment faire en sorte que les hommes s’impliquent davantage dans les tâches familiales?

Il faut par exemple réfléchir au temps partiel pour les hommes. Dans certains métiers, lorsqu’on exerce de hautes responsabilités, demander à travailler à mi-temps ou en 4/5e reste mal vu de la hiérarchie. C’est quelque chose que l’on peut tenter de corriger.

Le temps partiel est aussi un facteur qui permet à l’écart salarial de se perpétuer. Sa résorption est très lente. Comment l’accélérer?

Certaines options existent dans d’autres pays, comme la transparence des rémunérations, soit obliger les entreprises à publier de manière anonyme un tableau des salaires par fonction. Ce qui aiderait déjà dans un but statistique car l’une des difficultés, sur ce sujet comme sur d’autres, est de disposer de chiffres fiables en matière de données genrées. La Belgique est d’ailleurs régulièrement rappelée à l’ordre à ce sujet. Une fois que l’on disposerait de ces chiffres, on pourrait mettre en place des plans d’actions et dire aux entreprises concernées « ok, vous avez deux ans pour rétablir les choses ». C’est dans l’accord de majorité.

L’accord prévoit également de « faire de la lutte contre la violence basée sur le genre une priorité ». Comment?

Souvent, les problèmes de domination commencent par de la violence économique. La lutte contre l’écart salarial est donc un premier moyen. Il faut aussi prévoir une réforme du Secal, le service des créances alimentaires, qui reste sous-financé. Mon objectif, durant les six premiers mois de 2021, est d’établir un plan de lutte contre les violences faites aux femmes. Evidemment, on ne peut pas rentrer dans les foyers pour empêcher quelqu’un de frapper sur sa compagne. Mais on peut par exemple travailler sur le classement sans suite, auquel aboutissent pour l’instant trop de plaintes. Il y a aussi trop de fins de non-recevoir dans les commissariats. Certaines vont porter plainte 15 fois, montrent des messages, relatent des effractions, des dégâts matériels… et le conjoint n’est jamais entendu! Pour les cas de séparations, on peut aussi prévoir des lieux neutres pour « passer » les enfants, car on sait que c’est un contact qui peut entraîner de la violence. J’imagine des mesures très concrètes qui cibleraient la police, au sein de laquelle des équipes spécialisées pourraient être formées sur ces questions – cela me semble plus réaliste que de former chaque agent individuellement ­­­­- et travailleraient au sein de lieux spécifiques vers lesquels les associations pourraient envoyer des femmes. Cela doit aussi faire partie du plan national de sécurité. Je vais associer les ministres Verlinden (Intérieur), Van Quinckenborne (Justice) et Vandenbroucke (Santé).

La question des violences intrafamiliales est d’autant plus importante que ces violences, souvent, se perpétuent… Ceux qui frappent leurs compagnes sont souvent ceux qui ont vu leur père frapper leur mère.

Oui, on estime souvent que, parmi les enfants exposés à des violences, un tiers devient résilient, un tiers victime et un tiers auteur à son tour. On dit parfois que les hommes violents peuvent être de bons pères. J’avoue avoir du mal à y croire… C’est pour ça que je pense qu’il faut aussi intervenir au niveau de la justice et des droits de garde. L’alternance 50-50 est généralement prônée en cas de séparation, mais dans un foyer où il y a des violences, je ne pense pas que ce soit adéquat. Comme la médiation, qui dans cette situation ne doit pas être recommandée. Pour mon plan de lutte contre les violences faites aux femmes, que je compte finaliser pour mai, je vais associer les ministres Verlinden (Intérieur), Van Quinckenborne (Justice) et Vandenbroucke (Santé). Je sens qu’il y a désormais une vraie ouverture sur ce sujet.

Ça n’était auparavant pas le cas?

Non, je constate un gros changement culturel. Avant de devenir secrétaire d’Etat, j’ai siégé deux ans comme parlementaire et je suivais les questions liées aux droits des femmes. J’ai interpellé tous les ministres sur ces questions. C’était très compliqué d’obtenir des réponses! Chez Koen Geens, l’ancien ministre de la Justice, j’obtenais toujours une fin de non-recevoir. Je crois que ce n’était pas intégré dans leur carte mentale.

Qu’est-ce qui change, sous la Vivaldi?

C’est sans doute une question de génération. Annelies Verlinden, Vincent Van Quickenborne, je sens que ce sont des gens vraiment conscients de ces enjeux. Le Premier ministre aussi, il a d’ailleurs écrit un livre sur le féminisme et il a de vraies convictions.

Ce qui ne changera pas, par contre, sous la Vivaldi, c’est le dossier de l’individualisation des droits et la réforme du statut de cohabitants.

Ce n’est effectivement pas dans l’accord de gouvernement. C’est vrai qu’il s’agit d’un énorme enjeu pour le droit des femmes. Un non-sens, source de plein d’injustices. Une mesure temporaire d’économie qui dure depuis 40 ans.

Ce qui ne figure pas non plus dans l’accord de gouvernement, c’est la dépénalisation de l’IVG et le prolongement du délai pour y recourir.

L’accord de majorité prévoit qu’il doit être discuté au Parlement. Je préfère cette option à un gel complet du dossier. Les femmes devraient pouvoir décider ce qu’elles veulent. C’est aussi une question de santé publique : celle qui veut avorter le fera toujours, mais alors parfois dans de mauvaises conditions. La société civile a un rôle essentiel à jouer dans les luttes féministes. Les dirigeants ne vont pas se révolter d’eux-mêmes. Il faut poursuivre un travail de lobbying, de plaidoyer. C’est cela qui a souvent été à l’origine des mouvements sociaux.

Le terme féminicide doit-il entrer dans le code pénal?

Le débat doit encore avoir lieu. Il faut s’assurer que c’est la meilleure chose à faire. La symbolique est importante : pouvoir nommer les faits, c’est essentiel. Mais il faut être certain que ce ne sera pas un désavantage pour les femmes, je ne voudrais pas que cela entraîne indirectement des problèmes au niveau des poursuites, qu’un auteur ne puisse pas être poursuivi parce que la définition serait trop stricte.

La crise sanitaire a accentué les inégalités.

Tout à fait. C’est pour cela que la dimension de genre doit être présente dans le plan de relance. Il y a six milliards à affecter. Quelle opportunité! Mais je redoute que cet argent aille à des secteurs majoritairement masculins. La dimension de genre passe malheureusement au second plan, mais c’est aussi mon rôle de veiller à ce que ça ne se produise pas.

La prochaine victoire majeure pour les femmes, ce sera le changement des mentalités?

C’est clair. Les choses évoluent. On a un gouvernement paritaire et une secrétaire d’Etat chargée des questions de genre pour la première fois! L’accord de gouvernement reconnaît explicitement que les inégalités existent, c’est un pied de nez aux conservateurs, à ceux qui pensent que les inégalités seraient naturelles ou qu’elles ne sont pas réelles. Si je suis ici, à ce poste, c’est parce que des femmes se sont battues avant moi. Mon objectif est de permettre à un maximum de femmes de réaliser leurs rêves.

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