Aujourd'hui, les réseaux sociaux sont un vecteur merveilleux pour les féministes. La culture populaire s'empare de ces thématiques. © belga image

Droits des femmes: vers la lutte finale, après 100 ans d’avancées législatives et symboliques

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Le 8 mars 1921, la première Journée du droit des femmes était lancée par Lénine. Un siècle plus tard, rien n’a changé: la moitié de l’humanité reste toujours infériorisée. Pourtant, tout a changé: les victoires législatives se sont succédé, au terme de combats acharnés. Mais tout doit encore changer: certaines lois, mais surtout les mentalités. La lutte finale.

« La moitié du genre humain est doublement opprimée. […] Par le capital ; en outre, mais dans les plus démocratiques des républiques bourgeoises, elles restent devant la loi des êtres inférieurs à l’homme ; elles sont de véritables esclaves domestiques, car c’est à elles qu’incombe le travail mesquin, ingrat, dur et abrutissant de la cuisine et du ménage. » Lénine pourrait ressusciter de son mausolée moscovite et répéter cent ans jour pour jour les mêmes phrases que son discours ne sonnerait pas faux. 8 mars 1921, 8 mars 2021: la moitié du genre humain n’a toujours pas atteint l’égalité.

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Rien n’a changé, et pourtant tout a changé, depuis que le révolutionnaire communiste a prononcé ces mots, à l’occasion de la première Journée du droit des femmes qu’il avait décrétée en hommage aux ouvrières de Saint-Pétersbourg qui, quatre ans plus tôt, étaient descendues dans la rue pour réclamer « la paix et du pain », déclenchant la révolution bolchévique.

Rien n’a changé: les femmes subissent toujours de nombreuses inégalités, devant la loi comme ailleurs, et restent empêtrées dans la charge des tâches ménagères. Et pourtant, tout a changé: droit de vote, éducation, accès à toutes les professions, droit à disposer de son corps, présence politique, reconnaissance de violences à leur égard… Un siècle et au moins cent victoires ; la liste reprise à la fin de cet article n’est pas exhaustive.

Des victoires arrachées de haute lutte, les archives de presse ou de débats parlementaires en témoignent. Et les retours de bâton furent fréquents: réduction de 25% du salaire des fonctionnaires mariées en 1933, introduction du « cumul des époux » en 1962 pour décourager le travail des conjointes, diminution drastique des compléments de chômage pour les travailleurs à temps partiel en 1991… Renvoyer les femmes dans leur cuisine, une tentation qui n’a jamais vraiment disparu.

Plus d’éducation, moins de religion

Peut-être parce que tout a commencé à partir du moment où elles en sont sorties. Pour aller à l’école: le premier véritable établissement pour filles voit le jour à Bruxelles en 1864, à l’initiative de la féministe Isabelle Gatti de Gamond. Seize ans plus tard, l’ULB, en pionnière, ouvrait ses amphis aux étudiantes. « L’éducation a été – et reste – le bras armé de la lutte féministe », retrace Tania Van Hemelryck, professeure à l’UCLouvain et conseillère du recteur pour la politique de genre. Couplée au déclin de la prégnance du catholicisme, « car la religion renforce la hiérarchie instituée au sein de la société en la justifiant. » « A la laïcité de l’Etat s’ajoutent aussi des faits historiques marquants, comme les deux guerres mondiales, qui ont amené les femmes sur le chemin de l’emploi », complète Noémie Van Erps, secrétaire générale des Femmes prévoyantes socialistes (FPS).

Changer les lois et les mentalitu0026#xE9;s vont de pair. Mais ce n’est pas parce que les premiu0026#xE8;res u0026#xE9;voluent que les deuxiu0026#xE8;mes suivent.

Tout a changé mais tout doit encore changer. « Malheureusement, il y a encore beaucoup de batailles à remporter! » lance Sylvie Lausberg, historienne et présidente du Conseil des femmes francophones de Belgique. Qui identifie trois combats majeurs: « Le droit à l’autodétermination pour toutes les questions liées à notre corps (il faut en finir avec les législations qui permettent à d’autres de décider), le droit à une égalité économique réelle (les temps partiels, le statut de cohabitant, etc. amènent de la précarisation pour les femmes et leurs enfants) et la fin des violences faites aux femmes. Les deux premiers points, d’ailleurs, légitiment ces violences et contribuent à cette société qui considère que les femmes valent moins. »

Dépénalisation de l’IVG, réforme du statut de cohabitant, revalorisation salariale des métiers dits féminins, congé de parentalité égal entre le père et la mère… Ces prochaines années, le Parlement ne devrait pas s’ennuyer. Mais après les avancées législatives, les victoires ne doivent-elles pas désormais concerner les changements de mentalités? Quelle loi pourrait imposer à un homme de récurer le sol? De langer bébé durant son congé de paternité? Quel texte empêcherait un type de cogner sa compagne? « Il y a encore beaucoup de chantiers législatifs à mener et les mentalités évolueront lorsque les législations seront appliquées, estime Noémie Van Erps. Par exemple concernant la violence entre partenaires: nombre de textes ne sont pas mis en oeuvre ou ne sont pas connus. Donc les mentalités n’évoluent pas. »

« Les oreilles se débouchent »

Pour Sylvie Laubserg, « le problème n’est pas pris à la racine. On crée ensuite des dispositifs pour tenter de réparer les dégâts ». Cette racine, c’est notamment l’éducation, plaide Tania Van Hemelryck. Qui cite l’enseignement et le contenu des cours, la formation des profs (qui reproduisent parfois des stéréotypes genrés), l’écriture inclusive, l’importance des role models (« et pas seulement pour des choses incroyables comme aller dans l’espace »)… « Puis l’Evras (éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) dans toutes les écoles, évidemment, ajoute Valérie Piette, professeure d’histoire contemporaine à l’ULB. Tout comme il faut prendre en considération l’industrie du jouet, par lequel la première éducation se fait. »

« Changer les lois et les mentalités va de pair, conclut-elle, mais ce n’est pas parce que les premières évoluent que les deuxièmes suivent. Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont un vecteur merveilleux pour les féministes. La culture populaire s’empare de ces thématiques, les « oreilles se débouchent », comme le dit la philosophe Geneviève Fraisse. Nous sommes à un moment où tout bascule. » Vers la lutte finale.

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