Léopold Ier va donner un sens très concret à son pouvoir de " commandant en chef " de l'armée belge. © BELGAIMAGE

Que signifie « le pouvoir militaire du roi » et comment est-il exercé en Belgique ? (décodage)

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Général 4 étoiles et amiral, le roi Philippe « commande les forces armées », dit la Constitution. Comment s’est exercé ce pouvoir militaire depuis le règne Léopold Ier ? Et qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

La nouvelle est passée inaperçue à l’époque : le 14 juillet 2013, une semaine avant son abdication, Albert II a revêtu son fils aîné des grades de général 4 étoiles et d’amiral, les plus hauts rangs dans l’armée belge. Le nouveau roi a pu exercer ainsi, après sa prestation de serment, son rôle de commandant en chef des forces armées. C’est l’un des pouvoirs royaux inscrits encore aujourd’hui dans la Constitution : « Le Roi commande les forces armées, et constate l’état de guerre ainsi que la fin des hostilités » (article 167). Aucun traitement ou indemnité n’est attaché au grade, a tenu à préciser le gouvernement, en réponse à une question posée en juillet 2013 par le député SP.A – et très républicain – Bert Anciaux.

Plus que tout autre roi des Belges, Léopold II s’est occupé des questions militaires, et cela jusque dans les moindres détails.

Il n’empêche, en octobre 2019, des députés flamands, tous du Vlaams Belang, ont déposé une proposition de loi au Parlement fédéral visant à supprimer les grades militaires octroyés au roi et aux autres membres de la famille royale (le prince Laurent est capitaine de vaisseau depuis 2004, Astrid est colonelle dans la composante médicale, et la princesse héritière Elisabeth pourrait devenir lieutenant à ses 21 ans). Raison invoquée par les élus flamands d’extrême droite : ces galons militaires ont été conférés aux intéressés « sans qu’ils aient les qualifications et les mérites requis ». Les députés Vlaams Belang dénoncent un « octroi arbitraire », un héritage du passé, « de l’époque féodale », et une « offense aux militaires qui, pour accéder à ces grades élevés, ont fait des études difficiles et suivi des formations intensives ».

Léopold Ier, ex-général dans l’armée russe

Que signifie réellement ce titre de commandant en chef des forces armées conféré au roi des Belges ? Rien n’indique que le constituant ait voulu accorder au roi un pouvoir militaire personnel. Il y a même un indice en sens inverse, relevé par l’historien Jean Stengers dans son livre L’Action du Roi en Belgique depuis 1830 (éditions Racine) : « Au moment-même où ils adoptaient la Constitution, les membres du Congrès national élisaient comme roi des Belges le duc de Nemours, fils de Louis-Philippe, qui était un jeune homme de 16 ans ; ils n’avaient certainement pas l’intention de confier à ce jouvenceau, face à un ennemi qui pouvait reprendre les armes à tout instant, le commandement personnel de l’armée belge. »

En 1914, Albert Ier est le seul parmi les souverains impliqués dans le conflit à exercer effectivement le rôle de commandant en chef.
En 1914, Albert Ier est le seul parmi les souverains impliqués dans le conflit à exercer effectivement le rôle de commandant en chef.© Belga Image

L’attitude et la volonté de Léopold Ier, choisi comme souverain après le désistement du duc de Nemours, vont donner un sens très concret à ce titre de chef de l’armée. Dès son arrivée sur le sol belge, le 17 juillet 1831, le futur roi, général dans l’armée russe pendant les guerres napoléoniennes, prévient qu’il se mettra « à la tête de l’armée » en cas de guerre. L’écho est positif dans la presse et l’opinion publique, conscientes que le pays est dépourvu de généraux de talent, alors qu’une une invasion hollandaise est à redouter, et se produit le 2 août 1831. Dès le 5 août, le roi prend en personne le commandement en chef de l’armée. Ce commandement ne se limitera pas à la campagne des Dix Jours : Léopold Ier continuera à donner des ordres aussi longtemps que l’armée belge sera impliquée dans les opérations de guerre avec la Hollande.

Sans contreseing ministériel

Cette coutume, fondée en 1831, sera suivie à trois reprises. Lors du conflit franco-prussien de 1870, quand l’armée belge est mise sur pied de guerre, Léopold II prend « la direction de toutes les affaires militaires ». En 1914, Albert Ier est à la tête de l’armée et il y restera pendant toute la durée de la Grande Guerre. Il est le seul parmi les souverains impliqués dans le conflit à exercer effectivement le rôle de commandant en chef. Les autres se contentent d’apporter un soutien moral ou social à leurs troupes. En 1939-1940, Léopold III commande lui aussi l’armée belge, et cela jusqu’à la capitulation du 28 mai 1940. A chaque fois, non seulement le souverain s’approprie le commandement effectif de l’armée, mais il se passe du contreseing ministériel.

En avril 1918, le Premier ministre Charles de Broqueville tente bien de mettre sur le tapis la délicate question du contreseing. La réaction d’Albert Ier est brutale et furieuse. Le chef du cabinet n’insiste pas et présente ses excuses. Mais la confiance est rompue. De Broqueville démissionnera peu après. Conséquence non négligeable du commandement personnel du Roi-Chevalier : les troupes belges, malgré les pressions franco-anglaises, ne participeront pas aux grandes offensives montées par les Alliés, qu’Albert Ier jugeait peu efficaces et coûteuses en vies humaines.

Le coup d’arrêt de 1949

La Belgique attendra 1949 pour mettre fin au commandement personnel, effectif, de l’armée par le roi, sur pied de paix comme en temps de guerre. Depuis lors, le roi des Belges n’a plus, comme aux Pays-Bas, que le commandement « éminent » des forces armées. Officiellement, cette réinterprétation de la Constitution découle des alliances militaires scellées par la Belgique – traité de Bruxelles de mars 1948 et traité de l’Atlantique Nord d’avril 1949 – et de la nécessité d’un commandement unique interallié. Mais cette préoccupation en cache une autre : éviter la répétition du drame de mai 1940, la confusion entre les pouvoirs politiques et militaires du roi. La double qualité, chez Léopold III, de chef de l’Etat et de commandant de l’armée a conduit à un conflit de devoirs, même si le souverain ne l’a pas du tout ressenti ainsi. Selon lui, le commandant de l’armée, acculé à la capitulation, est en parfait accord avec le chef de l’Etat, qui considère la guerre terminée pour la Belgique.

Le roi Philippe, informé régulièrement par le chef de sa maison militaire, suit les dossiers Défense avec intérêt.

L’exercice du pouvoir militaire royal a beaucoup évolué depuis 1831. Léopold Ier désigne en général lui-même le ministre de la Guerre, qu’il considère comme son subordonné direct. Le premier roi des Belges a personnellement dirigé le travail de fortification d’Anvers, la grande affaire de son règne. Son fils Léopold II, lui, impose plus rarement sa volonté. Il traite avec ses ministres, les asticote, les supplie de renforcer la défense du pays. « Il est aussi très désireux de faire instaurer le service militaire obligatoire », signale Vincent Dujardin, historien à l’UCLouvain et spécialiste de la monarchie. Plus que tout autre roi des Belges, Léopold II s’est occupé des questions militaires, et cela jusque dans les moindres détails. Albert Ier, en revanche, limitera ses interventions, hors période de guerre, aux grandes circonstances et sujets majeurs.

Fin juin, le roi Philippe s'est rendu sur la base de Kleine-Brogel, dans le Limbourg, pour s'informer du fonctionnement du 10e Wing tactique en période de Covid-19.
Fin juin, le roi Philippe s’est rendu sur la base de Kleine-Brogel, dans le Limbourg, pour s’informer du fonctionnement du 10e Wing tactique en période de Covid-19.© Belga Image

Une responsabilité particulière

Sous Baudouin, Albert II et Philippe, le roi n’a plus le commandement personnel de l’armée en temps de guerre, mais la tradition d’une responsabilité particulière du souverain pour tout ce qui touche à la Défense persiste. « Le roi Philippe, informé régulièrement par le chef de sa maison militaire, suit les dossiers Défense avec intérêt », nous assure le Palais. Le site monarchie.be détaille : « Le chef de la maison militaire suit la situation de sécurité internationale et les prises de position des organisations internationales […] et en informe le Roi. Il le tient informé de la situation, des moyens, du fonctionnement et des missions des forces armées dans le contexte de la politique étrangère belge. »

Le souverain marque son intérêt pour l’armée par les audiences qu’il accorde au ministre de la Défense, au chef de la Défense ou à d’autres militaires. « Mais aussi par ses déplacements sur le terrain, constate Vincent Dujardin : Philippe a rendu de nombreuses visites aux soldats belges en mission à l’étranger. » Fin juin, sur la base de Kleine-Brogel, en Limbourg, le roi s’est informé du fonctionnement du 10e Wing tactique en période de Covid-19. Dans son discours du 21 juillet, il a salué le rôle de l’armée dans la gestion de la crise sanitaire.

« Maintenir l’intégrité du territoire »

Le roi Philippe a-t-il pour autant une influence, même limitée, sur la politique de Défense de la Belgique ? « Il veille à ce qu’elle garde une juste place dans les préoccupations du monde politique », selon son entourage. Par ailleurs, le souci de la défense du pays est inscrit implicitement dans le serment constitutionnel que prête le roi en début de règne : « Je jure de maintenir l’indépendance nationale et l’intégrité du territoire ». « Ces termes ont incontestablement trait à la défense, j’ai le devoir de veiller à ce qu’on ne l’oublie pas », indiquait, en 1932, Albert Ier, dans une lettre au ministre de la Défense nationale Albert Devèze. Aujourd’hui, avec les poussées séparatistes au nord du pays, le serment royal de « maintenir l’intégrité du territoire » prend une autre dimension.

L’ERM, fondée par Léopold Ier

En août 1831, l’armée hollandaise envahit la Belgique et défait facilement les milices et troupes régulières belges. Seule une contre-attaque française empêche la reconquête néerlandaise du pays. Cette désastreuse campagne des Dix Jours conduit Léopold Ier à fonder, le 7 février 1834, l’Ecole royale militaire, appelée à améliorer la formation des officiers belges. Le roi, qui a une grande admiration pour l’Ecole polytechnique française, place à la tête de la nouvelle école belge un ancien élève de cette institution, le lieutenant-colonel Chapelié.

En 1872, l’ERM quitte le site du Coudenberg, qui jouxte le Palais royal, pour regrouper ses activités dans l’ancienne abbaye de la Cambre. Nouveau déménagement en 1909 : l’école s’implante le long de l’avenue de la Renaissance, face au parc du Cinquantenaire. Plus d’un siècle plus tard, elle y est toujours. De 1994 à 2010, le campus est complètement rénové. Il permet d’accueillir jusqu’à 850 élèves, au lieu des 450 initialement prévus. La promotion qu’intègre Elisabeth pour un an compte, en moyenne, 21 % de femmes, précise Lutgardis Claes, rectrice de l’ERM, et seule générale de l’armée belge.

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