Rarement dans l’histoire récente les tensions personnelles entre présidents de partis francophones ont été si vives. Assez pour compromettre des discussions déjà très compliquées pour constituer un gouvernement fédéral ?
Les têtes ont peut-être changé. Les esprits, eux, demeurent crispés. Alors que les élections législatives ont livré, il y a un an, le résultat que l’on sait, et que le bilan sanitaire et humain du coronavirus n’a pas encore été tiré, le paysage politique francophone semble figé dans l’aigreur. Les présidents de partis francophones, dont le plus ancien en place est Jean-Marc Nollet, coprésident d’Ecolo depuis à peine dix-huit mois, tentent de consolider des positions nouvellement acquises. » On doit bien comprendre qu’il n’est pas possible à un prince, et surtout à un prince nouveau, d’observer dans sa conduite tout ce qui fait que les hommes sont réputés gens de bien, et qu’il est souvent obligé, pour maintenir l’Etat, d’agir contre l’humanité, contre la charité, contre la religion même « , disait Machiavel, et les premiers mois présidentiels de Paul Magnette (PS), Georges-Louis Bouchez (MR), Jean-Marc Nollet (Ecolo), Maxime Prévot (CDH) et François De Smet (DéFI), tous élevés récemment à la principauté, feraient honneur au senior consultant florentin.
Ce ne sont pas les relations interprésidentielles qui décident des rapports entre les partis, mais bien ces derniers qui conditionnent ces premières.
Et les relations qu’ils entretiennent les uns aux autres se dégraderaient au point de compliquer encore une situation fédérale déjà presque inextricable. » Car en Belgique « , nous disait récemment un des présidents de la génération précédente, » on n’imagine pas l’importance qu’ont les relations interpersonnelles, en particulier entre présidents de partis « , juste avant de se prévaloir de » la grande confiance » dans laquelle il travaillait avec ses homologues, ce qui n’était bien sûr pas le cas de ceux, parmi ces mêmes homologues, qui lui déplaisaient, » à qui on ne peut pas se fier « . Ces derniers, avec un sens remarquable de la symétrie, déroulaient exactement les mêmes raisonnements.
Cet ancien président d’avant les jeunes princes d’aujourd’hui avait sans doute ses raisons mais, en réalité, il n’est pas loin de se tromper : car contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas les relations interprésidentielles qui décident des rapports entre les partis, mais bien ces derniers qui conditionnent ces premières. Ce n’est que logique : puisque l’intérêt personnel d’un président dépend immédiatement de l’intérêt de son parti, il ne peut prendre des décisions qui nuiraient à la santé de sa formation. On a ainsi beaucoup écrit sur l’excellence de la relation qui unissait Louis Michel à Elio Di Rupo, jusqu’au moment où celui-ci a considéré qu’il valait mieux pour son PS, plutôt que prolonger avec le MR, s’allier avec le CDH de Joëlle Milquet. On a alors beaucoup écrit sur l’irrémissible inimitié qui séparait Elio Di Rupo de Louis Michel, et de la grande amitié qu’entretenaient Elio Di Rupo et Joëlle Milquet, puis Benoît Lutgen. Jusqu’au moment où celui-ci a considéré qu’il valait mieux pour son CDH, plutôt que prolonger avec le PS, s’allier avec le MR d’Olivier Chastel.
La proximité personnelle est également presque toujours proportionnée à l’éloignement idéologique, ce qui est d’autant plus logique que l’on demande d’un président de parti qu’il s’engage corps et âme pour défendre ses valeurs. Le tableau des hostilités qui divisent aujourd’hui les présidents de partis en témoigne, et ce n’est pas pour rien que ceux qui sont les moins haïs sont ceux qui se situent le plus au centre, François De Smet et Maxime Prévot, ni que la période, dans l’histoire récente, d’amitié prétendue la plus forte entre un socialiste et un libéral croisa Elio Di Rupo, qui n’aura pas été le plus à gauche des présidents du PS et Louis Michel, qui restera à jamais le moins à droite des présidents du PRL.
Qui Paul aime…
Mais même si au fond les relations interpersonnelles entre présidents de partis ne sont jamais réellement décisives, toutes petites qu’elles sont derrière le gigantisme des intérêts supérieurs du parti et des visions du monde, les décrire n’est pas inintéressant.
Ainsi Paul Magnette, président du Parti socialiste et homme politique le plus populaire de Wallonie n’aime vraiment pas Georges-Louis Bouchez, président du Mouvement réformateur. Il n’aimait pas non plus son prédécesseur Charles Michel, et tant que Georges-Louis Bouchez n’ennuyait qu’Elio Di Rupo, Paul Magnette s’en amusait plutôt. Mais depuis que Georges-Louis Bouchez est président comme lui, il n’est plus simplement montois, il est tout aussi national et hennuyer que lui désormais. Arrivé à la présidence du MR à la fin de la mission d’information royale de Paul Magnette, Georges-Louis Bouchez a mis quelques heures à peine à la compliquer. Lors de ce week-end de mars où Paul Magnette, avant de se raviser, envisagea de monter un gouvernement d’urgence avec la N-VA, Georges-Louis Bouchez, qui croyait pouvoir ainsi faire monter les enchères, bloqua, et retarda tant les opérations que Paul Magnette fut rattrapé par sa base. Et lorsque Paul Magnette, associé à Conner Rousseau, lance des consultations informelles pour faire sortir la Belgique de la crise du coronavirus avec un plan de relance et un gouvernement fédéral, Georges-Louis Bouchez qualifie l’initiative de » petit coup d’Etat « .
Et Paul Magnette aimait assez parfaitement Jean-Marc Nollet, carolo comme lui. Ils ont ensemble négocié l’après- communales dans leur région, fin 2018, et également l’après-régionales, à l’été 2019. Les deux voulaient à tout prix éviter de faire entrer le MR au gouvernement wallon, n’y parvinrent pas mais Paul Magnette convainquit ceux qui, au PS, étaient tentés de s’allier avec le seul MR pour laisser Ecolo dans l’opposition régionale. Paul Magnette, toutefois, est aujourd’hui embarrassé par le confort dans lequel Jean-Marc Nollet, dès l’été 2019, a mis Ecolo vis-à-vis de la N-VA. Puisque Jean-Marc Nollet a refusé de s’asseoir à la même table, fût-ce pour discuter, avec Bart De Wever, c’est Paul Magnette qui, pour le compte du PS, concentre toutes les pressions. Et on aime moins, sous pression.
Paul Magnette aimait Maxime Prévot quand il ne tenait pas celui-ci pour responsable de la chute, provoquée par Benoît Lutgen, de son gouvernement wallon à l’été 2017. Il l’aime moins depuis qu’en choisissant l’opposition pour le CDH, Maxime Prévot a contraint le PS à s’allier au MR en Région wallonne et en Fédération Wallonie-Bruxelles. Mais il continue à l’aimer dès lors que les cinq sièges humanistes à la Chambre pourraient lui servir à éviter de s’allier à la N-VA au fédéral.
Paul Magnette aime François De Smet tant que celui-ci s’oppose à la N-VA parce qu’elle est l’ennemie de DéFI, et au MR parce qu’il en est un concurrent.
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Georges-Louis n’aime pas Jean-Marc
Georges-Louis Bouchez n’aime pas Paul Magnette parce que Georges-Louis Bouchez et son parti se nourrissent de l’adversité. Le Montois reproche au Carolo ce que le Carolo reproche au Montois : empêcher les négociations fédérales d’avancer, être imprévisible, ne pas porter le même projet. Georges-Louis Bouchez n’aime pas Jean-Marc Nollet non plus, et sans doute encore moins qu’il n’aime Paul Magnette, car Ecolo n’est pas seulement un adversaire, mais aussi un concurrent, à Bruxelles en particulier. Georges-Louis Bouchez reproche notamment à Jean-Marc Nollet de n’avoir pas cédé la présidence de la RTBF à Richard Miller, qu’il a donc fallu envoyer au cabinet de Pierre-Yves Jeholet. En revanche Georges-Louis Bouchez aime François De Smet et Maxime Prévot, parce que leurs partis sont des concurrents pour le moment mais que le Montois espère en faire des associés à l’avenir, et qu’il croit que François De Smet et Maxime Prévot n’y sont pas réticents.
Jean-Marc Nollet n’aime pas Georges-Louis Bouchez, parce qu’il incarne l’adversaire dans le nouveau monde, qui verra, selon les écologistes, s’affronter une droite conservatrice et des forces progressistes dont l’écologie politique serait le vecteur. Il lui reproche notamment d’avoir changé d’avis quant à la désignation manquée de Zakia Khattabi à la Cour constitutionnelle, et il l’appelle depuis longtemps » Bouchaise « . Il se méfie de Paul Magnette depuis que celui-ci a tenté sans lui dire de composer un gouvernement avec la N-VA, et que l’Ecolo a menacé le socialiste des pires malédictions, ce qui contribua à la volte-face dominicale, le week-end du 15 mars dernier, du socialiste carolo. En revanche Jean-Marc Nollet ne déteste pas François De Smet ni Maxime Prévot, dont il pense pouvoir faire des alliés à l’avenir contre la droite conservatrice.
Maxime et François s’aiment
Maxime Prévot ne déteste personne. C’est un centriste. Il reproche néanmoins à Georges-Louis Bouchez de vouloir absorber son parti et d’avoir notamment annoncé seul à la presse le retrait des arrêtés de pouvoirs spéciaux que Maxime Prévot avait demandé à faire retirer, et dont il était prévu qu’un communiqué commun aux dix partis qui participent aux kerns élargis l’annonce à la presse. Il aime bien François De Smet, qui est centriste comme lui. Et petit.
François De Smet ne déteste personne. C’est un centriste. Il reproche néanmoins à Georges-Louis Bouchez de vouloir absorber son parti et d’avoir notamment annoncé seul à la presse le retrait des arrêtés de pouvoirs spéciaux que François De Smet avait demandé à faire retirer, et dont il était prévu qu’un communiqué commun aux dix partis qui participent aux kerns élargis l’annonce à la presse. Depuis 2011 le président de DéFI, quel qu’il soit, réclame 700 000 euros au président du MR, quel qu’il soit, c’est un vestige du divorce de ces deux partis jadis fédérés. François De Smet aime bien Maxime Prévot, qui est centriste comme lui. Et petit. Ils se ressemblent assez. Et ils s’assemblent parfois.