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Pourquoi avons-nous si peur d’assouplir ?

Jeroen De Preter Rédacteur Knack

Si tout se passe comme prévu, la plupart des personnes de plus de 65 ans et les groupes à risque seront vaccinées d’ici le mois de mai. Pouvons-nous rêver d’un été sans trop de restrictions ?

Commençons par les nouvelles pénibles. D’après les derniers modèles statistiques du groupe d’experts GEMS, nous sommes face à une hausse du nombre de contaminations et d’hospitalisations due principalement aux nouveaux variants. Une éventuelle troisième vague dépendra de la contagiosité de ces variants. S’ils sont 60 à 70% plus contagieux, comme le craignent certains experts, cette troisième vague est inévitable même en maintenant les mesures actuelles. Cela explique pourquoi le seul mot d’ « assouplissement » fait frémir les experts. Selon les modèles, il faut attendre le mois d’avril, au plus tôt, pour un assouplissement des mesures sanitaires.

Cependant, il y a aussi de l’espoir. Le printemps arrive, et la campagne de vaccination devrait apporter un peu de lumière dans l’obscurité. Ainsi, la première vraie opération à grande échelle débutera le mois prochain : la vaccination des personnes de plus de 65 ans, deux millions de Belges au total. Malheureusement, ce ne sera pas un départ foudroyant. Le projet d’avoir vacciné tous les plus de 65 ans au mois de mai semble un rêve lointain. Mais il y a de l’amélioration en vue. Il se peut qu’en avril, Johnson & Johnson distribue son vaccin. Notre pays a commandé cinq millions de doses de ce vaccin à une injection.

Les chiffres montrent très clairement l’importance de protéger les plus de 65 ans. D’après Sciensano, près de 22 000 personnes en Belgique sont décédées du coronavirus. Dans environ 93% des cas, il s’agissait d’une personne de plus de 65 ans. Au niveau des hospitalisations, c’est également la tranche d’âge la plus représentée, même si les chiffres sont moins prononcés. Durant la première semaine de novembre, quand le système de santé était au bord de l’effondrement, 74% des personnes hospitalisées avaient 60 ans ou plus. Inversement, les jeunes, même s’ils ne sont pas moins contaminés, ne souffrent que rarement d’une forme grave de Covid-19. Ainsi, 1,6% des personnes admises à l’hôpital durant la première semaine de novembre étaient âgées de moins de 19 ans. Jusqu’à présent, le risque qu’un enfant ou un jeune décède d’une contamination s’est avéré extrêmement faible. Depuis le début de la pandémie, 8 jeunes de moins de 25 ans sont morts du coronavirus.

Les personnes qui se retrouvent à l’hôpital après une contamination sont généralement âgées. Quand elles sont plus jeunes, elles souffrent souvent d’une ou plusieurs affections sous-jacentes. 41% des patients hospitalisés pour covid-19 présentaient une tension trop élevée. 34% souffraient d’affections cardio-vasculaires. 23,5% du diabète. Plus de 11% étaient étiquetés « obèses ».

Le but est de vacciner ces groupes avant fin mai. Si les vaccins sont livrés à temps, la plupart des Belges vulnérables devraient être armés contre le covid-19 avant le début de l’été.

Jusqu’à présent, les informations sur l’efficacité de cette arme sont positives. Depuis le début de la campagne de vaccination, le nombre d’hospitalisations des résidents de maisons de repos s’est réduit de plus de la moitié. En Israël, où la grande majorité des personnes de plus de 60 ans sont vaccinées, il y a plus de jeunes que de personnes âgées admises à l’hôpital.

Patients à risque

La situation nous amène à deux questions essentielles. Est-il raisonnable de reprendre la vie ordinaire une fois les plus vulnérables vaccinés ? Ou, inversement, est-ce raisonnable de ne pas reprendre cette vie à ce moment-là ?

La semaine dernière, certains experts appelaient à la prudence. « Quand les plus de 65 ans, et les groupes à risque seront vaccinés », expliquait Erika Vlieghe, présidente du groupe d’experts chargé de la stratégie de sortie GEMS au quotidien Het Laatste Nieuws, « la pression sur les hôpitaux diminuera. Ils sont les plus vulnérables. Mais il y aussi des quadragénaires, des quinquagénaires, et des sexagénaires qui ne sont pas enregistrés officiellement comme patients à risque, et qui le sont. »

Eva Van Braeckel, pneumologue à l’UZ Gand, partage cet avis. « Nous avons hospitalisé pas mal de jeunes personnes actives qui ne se considéraient pas comme patients à risque, mais qui l’étaient. Dans de nombreux cas, il s’agissait de personnes qui souffraient d’obésité. C’est le but de vacciner les personnes atteintes d’un surpoids dangereux en priorité, mais il faut partir du principe qu’une partie passera à travers les mailles du filet. Les patients à risque sont retracés grâce au dossier médical global de leur généraliste. Ce dossier mentionne l’IMC (Indice de masse corporelle) des patients obèses. C’est pourquoi il est important que chaque Belge possède un dossier – y compris les jeunes qui ne souffrent que de surpoids. »

Selon le docteur Van Braeckel, il n’est pas possible de déterminer aujourd’hui si des assouplissements poussés seront possibles une fois que les personnes les plus fragiles seront vaccinées. « Il y a encore trop d’incertitudes. J’ai de l’espoir, mais nous ne savons pas encore avec certitude en quelle mesure les personnes vaccinées transmettent le virus. En outre, il y a les nouveaux variants. On ignore encore dans quelle mesure ils sont plus contagieux et s’ils sont plus dangereux ou non. »

D’après Vlieghe, à ce niveau-là, les nouvelles d’Israël sont inquiétantes. « La plupart des personnes de plus de 60 ans y sont déjà vaccinées. Il y a moins de cas graves et moins d’hospitalisations. Mais en même temps, on voit que la troisième vague se poursuit parmi les moins de 60 ans. » Plusieurs sources israéliennes signalent un nombre croissant d’hospitalisations de jeunes. En cause, le variant britannique qui d’après certains experts serait non seulement plus contagieux, mais aussi plus dangereux. En outre, les jeunes seraient moins enclins à se faire vacciner. Les autorités font tout ce qu’elles peuvent pour les convaincre. A Tel-Aviv, par exemple, un centre de vaccination a été aménagé à côté d’un bar populaire. Les personnes qui se font vacciner se voient offrir une boisson.

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Peur d’assouplir

Retournons à la question principale. Les grands assouplissements sont-ils justifiés si une large majorité des Belges vulnérables sont vaccinés ? Il est certain que les débats seront vifs.

Van Braeckel évoque un débat pénible, mais nécessaire. « On ne peut verrouiller la société jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucun risque. À moment donné, il faudra faire des choix. Combien de décès estimons-nous acceptables, et dans quels groupes ? Nous devons également tenir compte de l’impact du nombre d’hospitalisations pour covid-19 sur la qualité des soins non covid. Pour faire un choix intelligent, il nous faudra, outre les biostatisticiens, aussi des économistes de la santé et des éthiciens. »

Reste à voir si ces économistes de la santé et éthiciens pourront vraiment peser sur le débat. Ignaas Devisch (Université de Gand), professeur en philosophie médicale et en éthique, craint qu’une « peur de l’assouplissement » se soit infiltrée dans les esprits. « J’ai l’impression que les assouplissements prématurés ont provoqué un traumatisme en septembre », déclare Devisch. « On l’aperçoit notamment quand on observe la communication actuelle. Quand il y a de bonnes nouvelles sur les chiffres, elles sont présentées de manière négative. Comme si on avait peur que ces bonnes nouvelles conduisent à une demande d’assouplissements auprès de la population, et que les politiciens céderaient à cette pression. »

« Je lis maintenant qu’un taux de vaccination de 70% ne suffirait plus », poursuit Devisch, « et qu’il faut 90% pour être vraiment en sécurité. Je me demande pourquoi on ne l’a pas dit depuis le début. En outre, le risque zéro n’existe pas. Après, je comprends quelque peu cette réticence. Aucun expert ou responsable politique ne se veut voir reprocher la responsabilité d’une nouvelle vague. Mais n’oublions pas que seule une situation disproportionnée justifie des mesures disproportionnées. Une fois que cette épidémie sera sous contrôle, il faudra oser relâcher. J’observe qu’il y a une certaine peur d’en discuter. On vous taxe rapidement de faire partie de ladite brigade d’assouplissement. Alors que nous devons oser parler de ce qu’il sera possible cet été. Le fait que d’ici là, la plupart des personnes fragiles seront vaccinées constitue un argument important dans ce débat. »

Le professeur Devisch cite également l’exemple d’Israël, où le nombre de contaminations diminue drastiquement et la pression sur les hôpitaux diminue. « Je sais que c’est une comparaison sensible, mais avant l’été il y aura un moment où la mortalité sera comparable à celle d’une épidémie de grippe telle que nous l’avons connue en 2015 (NLDR : quand environ 3000 personnes de plus que la moyenne sont décédées). Cette surmortalité n’a pas conduit à des mesures restrictives pour la liberté de tous. La demande d’une normalisation des contacts sociaux au moment où nous aurons vacciné les plus fragiles me semble justifiée. Qu’il y ait des restrictions, on peut en discuter. Mais punir la jeune génération encore tout un été ? Il me semble, pour autant que je puisse en juger maintenant, que ce n’est pas en rapport avec le risque ».

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