Carte blanche

Politique : quand oserons-nous parler d’institutionnel? (carte blanche)

Le déni ne peut conduire qu’à la déconvenue. Encore plus en politique où la déconvenue se transforme rapidement en mécontentement, sinon en dégoût pouvant être de nature à tout emporter sur son passage, en l’occurrence notre démocratie.

La lucidité est donc de rigueur, ce qui implique un constat : notre système institutionnel est inadapté, en témoigne l’oxymore de la crise politique devenue permanente (ou quasi) depuis plus d’une décennie.

Depuis 2010 (voir 2007), aucun gouvernement majoritaire n’a pu tenir pendant la durée totale d’une législature.

En 2010, le Premier ministre de l’époque, Monsieur Yves Leterme, était contraint de présenter sa démission au Roi, à la suite d’une crise politique qui s’était cristallisée sur le dossier relatif à l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde.

Cette démission a entrainé l’organisation d’élections législatives anticipées à la suite desquelles la crise politique s’est poursuivie pendant plus de cinq cents jours durant lesquels il a été impossible de former un gouvernement majoritaire.

Pour débloquer la situation, il a fallu passer par une sixième réforme de l’Etat, laquelle, plutôt que de soigner le système institutionnel en le rendant plus efficace et plus viable l’a rendu encore plus complexe et inopérant.

S’il s’agissait-là du prix à payer pour répondre démocratiquement à la crise politique belge (à l’instar de l’ensemble des réformes institutionnelles), cette dernière réforme a contribué à rendre la gestion de la « res publica » encore plus compliquée.

En 2014, à la suite de nouvelles élections législatives, un gouvernement déséquilibré car minoritaire du côté francophone a vu le jour : le Gouvernement Michel Ier. Or, crise oblige, ce gouvernement tombait avant la fin de la législature, soit le 19 décembre 2018, après que la NVA (alors alliée au MR) ait décidé de quitter la coalition gouvernementale après avoir mené une campagne xénophobe contre la signature du pacte mondial sur les migrations, dit « pacte de Marrakech ».

Depuis lors, la Belgique n’a plus de gouvernement majoritaire.

Depuis lors se sont tenues les élections législatives du 30 mai 2019 sans que leur résultat n’ait pu modifier cet état de fait.

Depuis lors, il a été principalement question de mariage forcé (et ridicule) entre la NVA et le PS, soit entre deux partis que manifestement tout oppose.

Depuis lors, il a été principalement question de former un gouvernement sans le PS mais avec la NVA ou avec le PS mais sans la NVA, sans que la moindre avancée ne puisse être actée dans une des nombreuses notes rédigées par les chargés de mission royale.

Depuis lors, il est question de former un gouvernement minoritaire qui trouverait un soutien depuis les bancs de l’opposition en fonction des affinités pouvant être suscitées sur l’un ou l’autre sujet abordé.

Cette dernière proposition de formation d’un gouvernement minoritaire ne constitue en rien une solution, ni même un pis-aller.

Lors des élections, une partie de la population (celle qui est en âge de et qui se voit reconnaitre le droit de) exprime par un vote son opinion quant à la politique qu’elle voudrait voir mettre en oeuvre durant la nouvelle législature.

Cette politique ne peut se concrétiser que moyennant l’adoption de textes législatifs qui doivent être adoptés principalement, voire exclusivement, par la Chambre des Représentants.

Telle est la raison pour laquelle un gouvernement doit pouvoir reposer sur une majorité de députés, soit septante-six sur cent cinquante.

Arriver jusqu’à proposer d’instituer un gouvernement minoritaire qui, par essence, serait incapable de mener un programme politique cohérent ne peut que nous faire prendre conscience de l’épuisement total de notre démocratie.

Soyons lucides. Déjà, en 2018, Charles Michel proposait la formation d’un gouvernement minoritaire avec « majorité à la carte » à la suite du départ de la NVA.

Or, cette ultime tentative a été rejetée presque unanimement par les partis qui se trouvaient alors dans l’opposition.

En outre, comment pourrions-nous croire qu’un tel gouvernement puisse être viable le temps d’une législature pour adopter les mesures fortes et certainement impopulaires qui s’avèreront vitales pour faire face à la crise économique (et donc sociale) « post ? » – COVID-19 et à la crise environnementale que nous connaissons ?

Si, un gouvernement minoritaire est de nature à replacer la Chambre des Représentants au centre de la vie démocratique belge, il témoigne néanmoins de l’essoufflement du système.

Soyons lucides. Persister dans cette voie conduirait inévitablement à rajouter à ces crises une crise démocratique caractérisée par la montée de l’extrémisme, lequel ira en s’amplifiant si nous ne remédions pas à la crise institutionnelle permanente que connait la Belgique.

Face à ce constat, il importe de repenser le système institutionnel afin que celui-ci soit réajusté à la vie démocratique belge.

Il ne sert strictement à rien de rester attachés à une forme étatique (ou, en d’autres mots, à un type d’organisation), si celle-ci ne permet plus le vivre ensemble.

Il faut donc oser remettre l’institutionnel sur la table. Le dernier sondage montrant une NVA et un VLAAMS BELANG caracoler au sommet des intentions de vote en Flandre devrait conduire les partis francophones à agir.

L’article 33 de la Constitution dispose que « Tous les pouvoirs émanent de la Nation » et qu' »Ils sont exercés de la manière établie par la Constitution« .

Le système institutionnel belge, consacré par la Constitution et les lois spéciales qui en découlent, ne permet plus à la Nation (si tant est qu’elle existe ou a existé) de gérer de façon normalement prudente et diligente son existence et son devenir.

Face à cette situation, il convient d’avoir le courage de reconvoquer les électeurs et de leur exposer correctement la situation afin que ceux-ci se prononcent sur l’avenir institutionnel du pays et, le cas échéant, sur l’existence de la Belgique elle-même.

D’aucuns pourraient estimer que de nouvelles élections n’auront pas pour effet de conduire, par elles-mêmes, à une sortie de crise.

Pour cette raison, il pourrait être intéressant que celles-ci soient organisées en aval du travail de réforme institutionnelle et non en amont.

Dans cette perspective, l’auteur de la présente se laisse à imaginer la mise sur pied d’une commission (au sein du Sénat ?) constituée des différentes forces politiques en présence, de représentants des entités fédérées, du monde patronal et syndical et emprunt, pourquoi pas, de démocratie participative (qui a déjà fait ses preuves dans différents pays pour des problèmes aussi complexes) qui serait chargée de mener cette réforme de tous les possibles.

Cette commission pourrait avoir le mérite de mettre fin au tabou, de désacraliser les questions qui touchent à notre système institutionnel et de placer le débat dans un cadre où les passions seraient maitrisées.

A l’issue de ce travail, de nouvelles élections pourraient alors être organisées afin de permettre aux électeurs de voter en connaissance de cause pour un parti qui soutiendrait ou non la réforme définie en commission.

Bien entendu, ces dernières élections ne pourront avoir lieu que moyennant une mise à la révision préalable de l’ensemble de la Constitution, à l’exception des dispositions qui consacrent et assurent la sauvegarde de nos droits et libertés, principalement contenues en son Titre II.

En parallèle et jusqu’à l’achèvement de cet ultime exercice démocratique, il importerait de former un gouvernement transitoire dont la formation pourrait, peut-être, être rendue plus aisée une fois la Commission de réforme institutionnelle mise sur pied.

Au vu de la gravité de la situation, des derniers sondages qui montrent le Vlaams Belang en tête des intentions de vote en Flandre, nous ne pouvons qu’être conscients que l’immobilisme, le déni et le sentimentalisme unitariste désuet ne sont d’aucun secours pour qui tient à notre démocratie.

Gautier Melchior – Avocat au barreau de Bruxelles

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