Crédit: Hatim Kaghat

Philippe Devos : « Peu importe les décisions, des patients vont rester sur le bord de la route »

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

Des nouvelles mesures viennent d’être annoncées par le gouvernement pour lutter contre l’épidémie de Covid-19. Seront-elles suffisantes pour éviter la saturation des hôpitaux ? « Je n’ai plus aucune certitude », nous répond Philippe Devos, président de l’ABSYM, résigné. Entretien.

Les nouvelles mesures vont-elles suffire ?

Je l’ignore. D’autres mesures ciblées par province vont peut-être encore être annoncées. Ce que j’espère c’est que la population a compris. Quelles que soient les mesures prises par les politiques, le message est qu’il faut arrêter tout contact non essentiel.

Est-ce que vous pensez que ce message va passer auprès de la population alors que les mesures semblent assez faibles, les zoos restent par exemple ouverts, comparé à la situation actuelle des hôpitaux ?

Ce sont aux politiques de décider. S’ils décident qu’économiquement il n’y a pas d’autre solution que de saturer les hôpitaux, on fera notre travail du mieux qu’on peut dans un hôpital saturé.

Je suis là pour soigner les gens. On le fera jusqu’à la dernière seringue, jusqu’au dernier médecin, jusqu’à la dernière infirmière et jusqu’au dernier lit. Nous ferons notre possible jusqu’à la limite des moyens que l’État met à la disposition de la Belgique.

À voir ce qui se passe en Europe, je n’ai même plus de certitude que quelque mesure que ce soit puisse endiguer cette pandémie.

À voir ce qui se passe en Europe, je n’ai même plus de certitude que quelque mesure que ce soit puisse endiguer cette pandémie.

Vous êtes fataliste aujourd’hui ?

Je suis résigné.

Quel est l’état d’esprit des soignants aujourd’hui ?

L’état d’esprit est volontariste. Hier nous avons transformé la salle de réveil en unité de soins intensifs. Les infirmières ont fait leurs huit heures habituelles de travail auprès des malades. Ensuite, elles ont encore passé huit heures à aménager l’unité pour que ce soit prêt aujourd’hui pour les collègues. Les gens ont une volonté de se battre contre ce virus.

Au-delà d’un simple job, on va y aller avec toute la volonté d’un être humain. Médecin ou infirmier, ce sont des métiers où il faut une vocation pour y entrer, mais surtout pour y rester.

Aujourd’hui, la population fait appel à cette vocation. Nous allons répondre du mieux qu’on pourra. Est-ce que ce sera suffisant ? Je n’ai plus d’avis là-dessus.

Vous n’avez plus de réponse ?

Non.

Quelle que soit la décision prise, des patients vont être mis sur le bord de la route.

Ce virus, il n’offre pas de bon choix. Il offre un mauvais choix ou un très mauvais choix. Quelle que soit la décision prise, des patients vont être mis sur le bord de la route.

Depuis hier on a reçu l’ordre d’arrêter toutes les opérations. La phase suivante sera d’arrêter les hôpitaux de jour en Belgique, c’est-à-dire toutes les chimiothérapies. C’est écrit dans le document envoyé hier par le gouvernement aux hôpitaux.

Ce sera pour quand ?

Philippe Devos
Philippe Devos© Capture d’écran (RTBF)

D’après les statistiques de l’université d’Hasselt, on y arrive mi-novembre. Si on y arrive. Ce n’est qu’un modèle mathématique. Mais les modèles de l’université d’Hasselt sont ceux qui ont collé le plus à la première vague. Ce sont aussi ceux qui sont utilisés au Celeval et au CNS.

Quelle est votre crainte aujourd’hui ?

Ce serait que cette nouvelle vague dure trop longtemps. On a le choix entre deux incisions. Soit on incise fort, ça fait très mal sur un court laps de temps. Soit on fait une incision lente et au final on souffre plus et plus longtemps.

La vraie crainte que j’ai, c’est qu’on aplatisse pas suffisamment la courbe et qu’au lieu de ralentir la vie et l’économie pendant un mois, on se retrouve à subir cela pendant trois ou quatre mois. Je peux imaginer que pour l’Horeca arrêter un mois ou quatre mois, ce n’est pas du tout la même chose.

Chaque décision peut potentiellement sauver des vies.

Mais je pense d’abord aux patients et aux familles. Chaque décision peut potentiellement sauver des vies.

Pour nous aussi, si les mesures ne fonctionnent qu’à moitié, on va passer quatre mois très difficiles.

C’est très difficile de savoir quelle est la mesure qui va entrainer le moins de morts. Quoiqu’on décide, il y aura des décès, des drames, des faillites et des suicides.

C’est pour ça que je ne veux pas critiquer positivement ou négativement le gouvernement. Il fait face à une situation qui est de toute façon horrible ou horrible.

On voit d’ailleurs que dans toute l’Europe, l’épidémie continue de croitre. La soi-disant recette parfaite qu’il faut suivre, elle n’existe plus. Ceux qui croient encore à ça feraient bien de se réveiller.

Est-ce que vous avez commencé à faire un tri chez les patients ?

Non. Pour l’instant on traite tout le monde et on déborde pour pouvoir traiter tout le monde dans la limite de l’acharnement thérapeutique. Si on n’admet pas un patient, c’est soit parce qu’il est déjà trop malade et que ce serait de l’acharnement, soit parce qu’il n’est pas assez malade et que son état ne nécessite pas une prise en charge.

Est-ce que vous comptez sur la solidarité des autres hôpitaux ?

Oui. Certains hôpitaux ont déjà dû transférer des patients, comme le CHU de Liège.

Mais on sait aussi que certains autres hôpitaux, comme Érasme à Bruxelles, n’ont pas assez de personnel soignant pour monter en phase 2B. Lorsque cette phase va arriver, les lits théoriques qui sont dans un registre chez Pedro Facon ne vont pas s’ouvrir tous.

Les lits théoriques qui sont dans un registre chez Pedro Facon ne vont pas s’ouvrir tous.

Les infirmiers et les médecins sont en train de tomber malades. Cela entraine un problème d’absentéisme qui fait qu’on ne pourra pas ouvrir tous les lits. Ou alors ce sera comme en Lombardie, où toutes les infirmières sont montées aux soins intensifs et ont essayé de sauver tout le monde, mais n’ont plus su de prodiguer des soins de qualité.

Je crains que ce soit cela le scénario de la phase 2B. Je n’ai donc aucune envie d’y arriver parce que je sais que ce sera mission impossible dans certains hôpitaux.

Selon vous on va vers un scénario similaire à la Lombardie lors de la première vague ?

J’espère l’éviter. Mais pour le moment, les courbes ne m’annoncent pas autre chose. La seule chance qu’on a, c’est que j’espère qu’on va pouvoir se serrer les coudes au niveau national sans avoir à passer par ces phases de tri atroces. Personne n’a fait la médecine pour faire du tri.

Aujourd’hui, pour quatre malades Covid en province de Liège, il y a un malade Covid en province du Limbourg. Cela me laisse une lueur d’espoir.

Mais les cas sont également en train d’augmenter dans cette province, comme l’a rappelé ce matin Alexander De Croo.

Oui c’est évident. Quand on parle des chiffres, les gens regardent la baignoire, mais nous on regarde le robinet qui coule. Et le robinet nous inquiète énormément.

Quand on parle des chiffres, les gens regardent la baignoire, mais nous on regarde le robinet qui coule. Et le robinet nous inquiète énormément.

De plus, entre le moment où une mesure est prise et le moment où le robinet arrête de couler, il y a quinze jours. Le message du gouvernement aujourd’hui est que ce qui a été décidé la semaine dernière était déjà suffisant pour arrêter l’épidémie. Nous aurons la réponse dans une semaine.

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