Le 5 février, des perquisitions étaient menées chez le président du parlement de Wallonie et de la fédération provinciale liégeoise du PS. © BELGA IMAGE

Nethys: Marcourt, premier soupçonné

Pour l’avocat Jean-Pierre Buyle, le rôle des politiques dans l’affaire Nethys doit être interrogé au plus haut niveau. Trop d’éléments troublants figurent au dossier.

Pol Heyse, l’ancien bras droit de Stéphane Moreau, ex-directeur financier de Nethys, inculpé pour abus de biens sociaux et détournement par personne exerçant une fonction publique, a choisi pour se défendre Jean-Pierre Buyle, spécialisé en droit bancaire et financier, ancien bâtonnier de Bruxelles et ancien président d’Avocats.be (Ordre des barreaux francophones et germanophone). « Né à Ougrée, le pays du fer et du verre », précise-t-il sur son blog. Il a demandé au juge d’instruction Frédéric Frenay d’élargir les investigations aux décideurs politiques liégeois proches du dossier, ces « mains invisibles » qui, selon la formule de Pierre Meyers, ancien président du CA de Nethys, auraient pu donner leur feu vert à diverses décisions, aujourd’hui sous la loupe de la justice, dont les rémunérations extravagantes de l’ancien management.

Il ne s’agit pas de traquer des personnes, mais de comprendre ce qui s’est passé.

D’un montant global de 14,7 millions d’euros, les indemnités de rétention ont été décidées le 22 mai 2018, deux jours avant l’entrée en vigueur du décret Gouvernance qui plafonnait les rémunérations des patrons du secteur public. Elles ont été versées en deux temps à Stéphane Moreau, Pol Heyse, Diego Aquilina (ex-CEO d’Integrale) et Bénédicte Bayer (directrice générale d’Enodia), les 23 mai 2018 et 9 octobre 2019.

L’enquête a pris une nouvelle tournure lorsque les bureaux et le domicile de Jean-Claude Marcourt, président du parlement de Wallonie et de la fédération provinciale liégeoise du PS, ont été perquisitionnés, le 5 février, par les enquêteurs de l’Office central pour la répression de la corruption (OCRC), sous la direction du juge d’instruction Frenay et en présence du procureur général de Liège, Christian De Valkeneer. Le socialiste s’est dit serein.

Avec Daniel Bacquelaine, son homologue libéral, les deux hommes avaient la haute main (et l’ont toujours) sur Enodia/Nethys. La Province de Liège, où les deux partis sont en coalition depuis plus de trente ans, détient 54% des parts de l’intercommunale. La Ville de Liège, dirigée par Willy Demeyer (PS), vient en deuxième position avec 8% des parts, suivie par les grosses communes de la ceinture rouge (Seraing, Herstal, Flémalle et Ans), qui ont aussi leur mot à dire.

« Lorsque j’ai eu accès au dossier pour la première fois, j’ai constaté que la justice avait bien travaillé, mais qu’il restait encore beaucoup de vérifications à faire, commente l’avocat bruxellois. J’ai constaté qu’il y avait une convergence entre les déclarations des membres des comités de rémunération et de direction de Nethys, ainsi que d’autres personnes, pour dire que certains politiques avaient joué un rôle dans la problématique. Lesquels? Je ne le dirai pas, je ne suis pas un imprécateur. Je fais confiance à la justice pour qu’elle investigue calmement, sérieusement, sur ce que certains politiques ont fait ou n’ont pas fait. Des auditions et confrontations devront avoir lieu. »

En dépit de la méfiance des anciens dirigeants de Nethys, qui laissaient le moins possible de traces écrites, « il y a des éléments dans le dossier répressif, avance prudemment l’avocat de Pol Heyse. On n’est pas face à un flou absolu, sans quoi je n’aurais pas fait cette demande d’élargir les recherches à la classe politique ». Ajoutant: « Il ne s’agit pas de traquer des personnes, mais de comprendre ce qui s’est passé, de savoir qui a fait quoi en amont et en aval des comités de rémunération et de direction de Nethys. »

Après les perquisitions chez Marcourt, l’ancien ministre des pensions Daniel Bacquelaine (MR) a ironisé sur la notion de « complot » que charrie l’expression des « mains invisibles », tout en se disant prêt à collaborer avec la justice. « Parler de complot est un peu excessif, relève Jean-Pierre Buyle. Il y a eu des réunions où chacun a eu sa part de responsabilité. Cela n’a rien de mystérieux, mais demande un travail sérieux pour déterminer les moments, les personnes et les actes. »

L’accord secret

Alors que la commission d’enquête parlementaire Publifin avait demandé en 2017 le départ du management de Nethys, il existait, semble-t-il, un certain consensus politique pour ménager une porte de sortie honorable à Stéphane Moreau, lui permettant de continuer à jouer un rôle économique (par exemple, en les recasant, lui et ses proches, dans une filiale privatisée de Nethys), assortie d’une indemnité inférieure – le chiffre de 4,5 millions d’euros a circulé – aux quelque 10 millions qu’il aurait pu réclamer en cas de licenciement sec. Les ventes de Voo, Elicio et Win ont été actées le 22 mai 2019 par le CA de Nethys. La date butoir pour dégager Stéphane Moreau en minimisant son pouvoir de nuisance était celle des élections législatives du 26 mai 2019.

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