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Nethys: l’opération mains propres a commencé

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Arrestations et inculpations en cascade: les dirigeants de Nethys qu’on pensait hors de portée de la justice vont devoir rendre des comptes pour leur utilisation très personnelle de l’argent public.

La justice a frappé un grand coup en arrêtant François Fornieri (patron de Mithra et ancien administrateur de Nethys), Pierre Meyers (ancien président du CA de Nethys), Stéphane Moreau (ex-CEO de Nethys), Pol Heyse (ex-directeur financier de Nethys). Et en inculpant Jacques Tison (ancien réviseur d’entreprise propulsé au CA de Nethys) et Bénédicte Bayer (ancienne directrice générale de Nethys), ces deux derniers ayant été libérés sous condition. Diego Aquilina (ex-CEO de l’assureur Intégrale, filiale de Nethys) était encore auditionné dans la soirée du mardi 26 janvier et devait logiquement être inculpé. Quant à François Fornieri et Pierre Meyers, le parquet général de Liège n’a pas fait appel de l’ordonnance de libération sous conditions prononcée par la chambre du conseil, qui a confirmé les indices de culpabilité à leur égard. L’âge de Pierre Meyers, 72 ans, a été pris en considération. Une chose est sûre: l’incarcération des deux hommes d’affaires liégeois Stéphane Moreau et François Fornieri, dont les destins se sont liés dès 2014, a frappé les esprits du nord du pays au sud de la France, où Nethys avait investi dans la presse.

La justice ne s’arrêtera plus, car elle sait exactement où chercher.

Les anciens dirigeants de Nethys ont été inculpés pour abus de biens sociaux, détournement par personne exerçant une fonction publique et blanchiment d’argent. S’agissant de Moreau, s’y ajoutent deux chefs d’inculpation pour faux et usage de faux, et pour escroquerie dans le cadre d’une tricherie à la domiciliation et à la cohabitation légale, en vue de majorer son assurance-groupe de quelque 437 000 euros, comme l’avait révélé Le Vif.

Depuis le temps – 2009 – que la justice liégeoise tournicotait au-dessus de ce sulfureux dossier, si intimement lié à la scène politique liégeoise, on avait perdu de vue qu’elle pouvait aussi se montrer incisive et spectaculaire. Restera à le faire atterrir devant les tribunaux et obtenir des condamnations, car les précédents de l’affaire Tecteo/Ogeo ou des affaires de Charleroi, qui ont duré une décennie, peuvent inspirer des craintes. De fait, c’est parti pour des années de procédure. En attendant, les inculpés sont présumés innocents. Les entreprises liégeoises frôlées par le scandale – voire la région tout entière – devront faire preuve de résilience. Enfin l’occasion de tourner la page?

Nethys: l'opération mains propres a commencé

L’angle d’attaque des enquêteurs de l’Office central pour la répression de la corruption (OCRC), placés sous la direction du juge d’instruction liégeois Frédéric Frenay, est le suivant: la cession pour un prix dérisoire d’Elicio (éolien) et de Win (informatique) à François Fornieri-entrepreneur, allié pour la circonstance à Stéphane Moreau-investisseur, cette cession, donc, aurait-elle pu être la contrepartie des indemnités pharaoniques que ce dernier et ses bras droits (Pol Heyse, Bénédicte Bayer, Diego Aquilina) se sont fait attribuer en 2018 et 2019 (voir infographie)? Entré en vigueur le 24 mai 2018, le décret Gouvernance était censé limiter les émoluments des patrons du secteur public à 245.000 euros brut indexé par an (soit environ 260.000 euros aujourd’hui).

Grevée de lourds soupçons de conflit et de prise d’intérêts, la vente de Voo, Elicio et Win a été annulée le 6 octobre 2019 par le gouvernement d’Elio Di Rupo, un geste d’autorité radical qui a renversé le cours des choses. François Fornieri a consenti à « rendre » Elicio et Win à la société Nethys, dorénavant dirigée par le binôme Renaud Witmeur (CEO) et Laurent Levaux (président du CA). Ces derniers se sont également lancés dans une opération mani pulite de grande ampleur, avec le soutien de Julie Fernandez Fernandez, présidente d’Enodia, la maison mère de Nethys. La remise en vente de Voo est programmée pour avril prochain et devrait se clôturer en décembre. « Si on n’avait pas récupéré Win et Elicio, il n’y aurait pas 47 millions de résultat net en 2020 mais 12, a déclaré Laurent Levaux. Le reste serait dans la poche de quelqu’un d’autre. »

Le rôle du Comité de rémunération

Pour rappel, le 22 mai 2018, soit deux jours avant l’entrée en vigueur du nouveau décret Gouvernance, le comité de nomination et de rémunération (CNR) de Nethys, sous la présidence de François Fornieri, a décidé de distribuer plus de 18,6 millions d’euros à quatre personnes aujourd’hui inculpées ou auditionnée: Stéphane Moreau, Pol Heyse, Bénédicte Bayer et Diego Aquilina. Ce montant global était constitué de bonus à court terme, bonus à long terme et d’indemnités versées pour « retenir » les quatre dirigeants chez Nethys et Integrale pendant deux années supplémentaires, et ce pour compenser un salaire substantiellement réduit par le décret.

Seules les indemnités de « rétention », qui atteignent 14,7 millions d’euros pour le quatuor, semblent actuellement dans le viseur de la justice, les bonus étant apparemment légaux même si payés juste avant l’entrée en vigueur du décret. Les sommes perçues par les trois ex-managers de Nethys sont les suivantes: 8.655.674 euros pour Stéphane Moreau, 1.653.845 euros pour Pol Heyse et 889.246 euros pour Bénédicte Bayer, soit un total de 11,2 millions d’euros. C’est exactement le montant qui a été saisi par la justice sur les comptes du trio fin décembre 2019, à la suite d’une plainte du nouveau management de Nethys. Quant aux 3.542.771 euros versés à Diego Aquilina, présenté comme l’architecte du système des indemnités de rétention avec l’avocat liégeois Jean-Paul Lacomble, on ignore encore quel sort la justice leur a réservé. Le 13 janvier, Me Lacomble a été très longuement entendu par les enquêteurs comme suspect, avec privation de liberté (statut Salduz IV), mais il n’a pas été inculpé à l’issue de son audition.

Les principaux chefs d’inculpation retenus contre les ex-managers de Nethys sont logiquement les mêmes que ceux retenus contre les trois ex-membres du CNR de Nethys, à savoir François Fornieri, Pierre Meyers et Jacques Tison, en poste entre mai 2018 et octobre 2019, et arrêtés deux jours avant les trois bénéficiaires de leurs « largesses ».

Le rapport forensique de Deloitte

Dorénavant, on a quand même l’impression que la justice ne s’arrêtera plus, car elle sait exactement où chercher. Le rapport forensique commandé par Renaud Witmeur au cabinet d’audit Deloitte dès son arrivée à la tête de Nethys, a été transmis à l’automne 2020 au procureur général de Liège, Christian De Valkeneer, et aux enquêteurs de l’OCRC.

Les auditeurs ont épluché pendant un an les comptes de la société sous le règne de Stéphane Moreau. Sur la base de ce rapport, la justice a ouvert douze « notices » pénales, c’est-à-dire douze volets d’enquête. Le volet des rémunérations abusives est largement avancé et a donné lieu aux arrestations et inculpations de la fin de la semaine dernière. Les circonstances de la vente douteuse de Voo, Elicio et Win suivront logiquement. Les investigations à propos des sept avocats ou bureaux d’avocats ayant encaissé sur leurs comptes-tiers des sommes non justifiées en provenance de Nethys sont lancées. Des consultants ou sociétés de consultances devront aussi s’expliquer sur des sommes perçues apparemment sans justification. Deux prêts d’Integrale à Nethys pour payer les indemnités « de rétention » devront être examinés de près, de même que l’utilisation du fameux compte ING confidentiel utilisé notamment pour rémunérer une demi-douzaine d’emplois largement fictifs. Sans compter la revente à Nethys d’un investissement au Congo dans lequel Stéphane Moreau et Pierre Meyers étaient impliqués à titre personnel…

Mithra fait le gros dos

Temporairement privée de son emblématique patron, sous mandat d’arrêt, la biotech pharmaceutique Mithra poursuit sa route. Ses affaires ne semblent pas en cause

par Laurence Van Ruymbeke

Au dehors, il fait tempête, mais le bateau Mithra ne prend pas l’eau. L’incarcération de son patron historique, le Liégeois François Fornieri, ne semble pas menacer directement son entreprise. Il est vrai que le coeur de métier et les choix stratégiques de celle-ci ne sont nullement mis en cause. Dès l’annonce de la mise hors jeu de son administrateur délégué, le conseil d’administration de la société, spécialisée dans les produits de santé et de contraception féminine, a désigné un nouveau capitaine intérimaire en la personne de Christophe Maréchal, qui était jusqu’alors directeur financier.

Fondée en 1999 par François Fornieri et Jean-Michel Froidart, la biotech est cotée en Bourse depuis 2015. L’action a encaissé le choc, perdant quelques pourcents, mais a globalement bien résisté, preuve que les investisseurs ne sont pas inquiets pour la santé de l’entreprise pharmaceutique. Celle-ci affichait, en 2019, un chiffre d’affaires en progression de 45%, autour de 96,5 millions d’euros. Dans les tout prochains mois, Mithra attend par ailleurs l’accord des autorités sanitaires américaines pour commercialiser, de l’autre côté de l’Atlantique, sa pilule contraceptive Estelle. Le marché est présenté comme prometteur.

Nethys: l'opération mains propres a commencé

L’actionnariat de Mithra rassemble des investisseurs privés et publics. Au premier rang figure François Fornieri lui-même. Marc Coucke, autre géant du secteur pharmaceutique via Omega Pharma, y pèse pour environ 15%, aux côtés de Bart Versluys, poids lourd de la construction en Flandre et proche de Marc Coucke, et de l’investisseur public Noshaq, ex-Meusinvest. Gaëtan Servais, le patron de Noshaq, siège d’ailleurs au conseil d’administration de Mithra, qui figure, au même titre que Lampiris, la FN Herstal, et CMI, parmi les actionnaires de l’invest wallon. En vingt ans, Mithra a bénéficié de très nombreuses aides publiques wallonnes, via des investissements directs, des primes à l’investissement, des crédits de recherche ou des prêts.

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