Depuis trois semaines, Egbert Lachaert, Joachim Coens et Georges-Louis Bouchez sont censés avoir avancé. Mais ça ne se voit pas fort... © belga

Négociations fédérales: non, Lachaert, Coens et Bouchez n’ont pas pu faire exprès de si mal négocier

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Les trois présidents de l’Open VLD, du CD&V et du MR continuent de mener des consultations chaotiques en vue de former un gouvernement fédéral, de préférence majoritaire, de préférence sans le PS. Qu’y a-t-il derrière cette apparence de désorganisation ? Peut-être bien quelques idées… et même une méthode.

Est-ce qu’ils ne l’ont pas fait exprès ?

Comment pourraient-ils ne pas l’avoir fait exprès ?

Est-ce possible d’avoir négocié aussi mal ?

Est-ce possible, avec tout ce talent, Pierre Bourdieu dirait avec tout ce capital social ?

Ce sont trois machines fabriquées pour faire de la politique.

Egbert Lachaert a 43 ans, il est président de son parti, il a un diplôme de droit, il est parlementaire depuis sept ans, conseiller communal depuis 2006, son père a été échevin pendant douze ans et parlementaire pendant quinze ans.

Joachim Coens a 53 ans, il est président de son parti, il a un diplôme d’ingénieur civil, il a été parlementaire six ans, il est bourgmestre depuis 2014, son père a été parlementaire pendant dix ans et ministre pendant douze ans.

Georges-Louis Bouchez a 34 ans, il est président de son parti, il a un diplôme de droit, il a été candidat à ses premières élections à 20 ans, il a été désigné tête de liste à 24, il a été coopté comme sénateur, il a été renvoyé comme échevin, il a suppléé une députée, il a été sauvé par son parti, et en a ensuite raflé la présidence. Il dépense trois mille euros par semaine pour faire sa publicité personnelle sur Facebook.

Comment pourraient-ils ne pas l’avoir fait exprès ?

Ils savent faire de la politique. C’est leur formation, c’est leur vocation, c’est leur métier et ils ne vivent que pour ça. Ce sont des bêtes qui sont tout sauf ça.

Comment pourraient-ils ne pas l’avoir fait exprès ?

Est-ce possible, autrement, d’avoir négocié aussi mal ?

Est-ce possible d’avoir vraiment, depuis trois semaines, décidé que la seule et unique piste à explorer était celle de la coalition dite  » Arizona  » ?

Celle qui rassemblerait l’Open VLD (12 sièges à la Chambre), le CD&V (12 sièges), le MR (14), la N-VA (25), le SP.A (9) et le CDH (5), soit 77 sièges sur 150, soit deux sièges de majorité, dont celui d’un indépendant élu sur la liste N-VA, avec la N-VA qui lors de la précédente législature avait vu deux députés encore plus séparatistes qu’elle la quitter, puis qui avait elle-même quitté la coalition ?

Est-ce vraiment possible d’y avoir cru et d’y croire encore alors que début février, alors que les confrères de La Libre lui demandaient si  » un scénario sans le PS (MR, CDH, Open VLD, N-VA, CD&V, SP.A) aurait une courte majorité (77 députés sur 150)  » ne serait pas  » La solution de dernier recours, si tout échoue ? « , Georges-Louis Bouchez répondait  » Au MR, on n’a pas de coalition privilégiée. Ce que nous voulons, c’est un gouvernement stable, une majorité confortable et une représentation des deux communautés qui soit confortable. Toutefois, plus la crise dure, plus les solutions les plus créatives pourraient devenir des possibilités. Mais ce n’est pas ma vocation que d’arriver à de tels schémas. Avec 77 sièges, le gouvernement aurait un problème de stabilité. Je ne trouve pas très sérieux de parler de ce type de coalition. « 

Est-ce vraiment possible que trois bêtes politiques de cette complexion passent trois semaines à déclarer vouloir associer les partis de la défaite coalition suédoise à deux partis, le SP.A et le CDH, qui a priori n’auraient rien à gagner à s’associer à une semblable aventure, et qui ne sont pas dirigés par des machines moins politiques que les leurs, et que ces trois bêtes méprisent ces deux partis de si manifeste manière ?

Les prédateurs et les proies

Est-ce ainsi que trois prédateurs se sachant prédateurs pour deux proies attirent deux proies se sachant proies pour trois prédateurs ?

Le CDH en n’en recevant qu’une seule fois le président sans lui donner de retour, sans lui demander d’approfondissement, sans l’avertir des avancées ou des reculs, sans vraiment réagir à ses propositions ? En l’ignorant au point de n’avoir pas même, lundi 6 juillet au matin, au bureau du MR, pris acte des critiques formulées par Maxime Prévot sur les antennes de la RTBF, comme le fit Georges-Louis Bouchez ? En ne mentionnant que le refus du SP.A, et pas celui du CDH, lundi 6 juillet à midi, dans leur tweet , comme le firent Georges-Louis Bouchez et Egbert Lachaert ?

https://twitter.com/GLBouchez/status/1280090805164703744Georges-L BOUCHEZhttps://twitter.com/GLBouchez

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Le SP.A en en recevant le président plusieurs fois tout en disant à la presse lui avoir envoyé une note qu’on ne lui avait en fait pas envoyée, et tout en se disputant publiquement avec lui parce qu’il y en avait un qui avait accusé l’autre de ressembler à un écolier et que l’autre avait dit que sa mère repassait ses chemises et que c’était même pas vrai que c’était sexiste et que non, et que si, et que si, et que non, et que nananère, et que prout ?

Mise en scène de la rupture

Les deux, CDH et SP.A en affirmant que leur note de départ était  » équilibrée « , comme le firent Egbert Lachaert, Georges-Louis Bouchez et Joachim Coens, alors que personne d’autre qu’eux n’avait pu la voir, ni même savoir ce qui se trouve dedans, ni non plus savoir ce que les trois prédateurs se sachant prédateurs avaient pensé des propositions des deux proies se sachant proies ?

Tous, prédateurs se sachant prédateurs et proies se sachant proies, pensaient-ils vraiment pouvoir s’attirer en mettant ainsi en scène leurs ruptures et leurs réconciliations mutuelles et respectives sur les réseaux sociaux, dans les journaux et sur les chaînes de télévision, en faisant croire que ces mises en scène étaient de la négociation, et que ces négociations mises en scène étaient de la transparence ?

Non, ce n’est pas possible.

Ce n’est pas possible qu’ils aient volontairement commis tant d’erreurs si grossières. Ce n’est pas ainsi que négocient les machines politiques.

Alors soit les trois rois mages ne sont pas les machines politiques qu’elles sont censées être, et elles ne savent pas ce qu’elles font, soit Egbert Lachaert, Joachim Coens et Georges-Louis Bouchez sont bien des machines politiques, comme tout l’indique, et ils l’ont fait exprès de négocier aussi mal.

Et si Egbert Lachaert, Joachim Coens et Georges-Louis Bouchez l’ont fait exprès, de négocier aussi mal, c’est que leur objectif n’était pas d’arriver maintenant à un accord visant à la constitution d’une coalition de type  » Arizona « .

Autre chose en tête

Et c’est qu’ils ont quelque chose d’autre en tête. Peut-être une coalition de type  » Arizona « , mais pas maintenant, plus tard. Peut-être une autre coalition majoritaire, que seul l’échec de la coalition de type  » Arizona  » pourrait rendre possible ou souhaitable. Peut-être une coalition minoritaire, que seul l’échec de toutes les coalitions minoritaires pourrait rendre possible ou souhaitable. Peut-être des élections anticipées que l’échec de toutes les coalitions pourraient rendre possibles ou souhaitables. Peut-être encore autre chose.

On ne sait pas encore quoi, nous qui ne sommes pas des machines politiques.

Mais on sait déjà que le premier objectif de ces trois semaines de négociations volontairement ratées est atteint.

On le sait parce qu’on reconnaît une machine politique à la réussite de ses machinations, et que comme c’est très réussi comme machination, c’est que ce sont bien des machines politiques.

C’est la faute à Rousseau

Il s’agissait de démolir la fraîche réputation de Conner Rousseau, qui a 27 ans, qui est président de son parti, qui a un diplôme de droit, et dont la mère a été échevine pendant dix ans, parlementaire pendant trois ans et bourgmestre pendant deux ans. Il dépense sept mille euros par semaine pour faire sa publicité personnelle sur Facebook, et en effet la machination l’a très bien démoli.

Parce qu’il a refusé de participer à une réunion alors que ça fait des mois qu’il se rend populaire en disant que le problème de ce pays, ce sont les présidents de parti qui refusent de participer à des réunions.

Et que donc il ne peut pas continuer à refuser de participer à ces réunions parce qu’il a été très bien démoli. Il ne pourra pas dire non pendant longtemps. C’est pourquoi il va bien devoir rencontrer les trois machines politiques dont la machination l’a très bien démoli.

En tête-à-tête tout d’abord, et c’est prévu de ces jours-ci, mercredi 8 ou jeudi 9 juillet.

Parce que déjà l’autre machine politique, celle qui est à la tête du CDH, a déjà rencontré les trois autres présidents en tête-à-tête le mardi 7 juillet, et que Maxime Prévot aura du mal à être le seul à dire non pendant longtemps si Conner Rousseau ne dit pas non pendant longtemps.

Et puis, après les tête-à-tête, peut-être même en réunion plénière, à six, avec les autres présidents de parti de cette coalition Arizona, peut-être déjà pendant le week-end du 11 juillet.

Et puis après ça, il sera difficile pour les deux proies se sachant proies de se sortir des griffes des trois prédateurs se sachant prédateurs.

Casser la famille PS

On pourra alors se redemander si le PS par le plus grand des hasards ne veut tout de même toujours pas finalement se rasseoir à une table avec la N-VA dès lors que le parti frère a pu négocier et obtenir quelques avancées sociales.

Et puis alors on verra ce que le PS dira de l’idée de s’associer à un gouvernement auquel participerait aussi la N-VA, et le PS mettra la barre encore plus haut sur les avancées sociales à négocier et obtenir, et l’on sera revenu aux hypothèses sur lesquelles tout le monde travaille et tout le monde bloque depuis le 26 mai 2019 au soir.

Mais entre-temps, au moins, on aura cassé la famille socialiste et on aura très bien réussi à démolir la fraîche réputation de Conner Rousseau.

Et puis Sophie Wilmès, de son côté, aura pu continuer à se montrer lassée de ce piteux spectacle politique en faisant comme si elle était au-dessus alors qu’elle est en plein dedans. Et les trois présidents et elle pourront continuer à modeler un plan de relance servant leurs intérêts, eux dont le gouvernement ne rassemble aujourd’hui que les 38 sièges de leurs trois partis.

Sans que les présidents des autres partis, coincés comme ils l’auront été pendant ces semaines où les discussions furent apparemment si mal menées par les trois machines fabriquées pour faire de la politique qui dirigent l’Open VLD, le CD&V et le MR.

Et c’est pourquoi ces discussions des ces trois dernières semaines et cette réunion plénière du lundi 6 juillet ont été organisées si mal.

Parce qu’il n’ont pas pu ne pas le faire exprès.

Non, ce n’est pas possible.

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