© DR

Musée vert au Domaine de Chevetogne: un épineux combat

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Mettre en réserve naturelle 400 hectares du Domaine de Chevetogne: c’est l’ambition d’un projet porté par son directeur et un professeur de Gembloux Agro-Bio Tech, qui se heurte pourtant à des querelles politiques. Et à des appétits financiers?

« La forêt , le silence et la solitude […] se négocieront demain plus cher que l’or. Sur une Terre surpeuplée, surchauffée, bruyante, une cabane forestière est l’Eldorado. » Cette citation, extraite du livre Dans les forêts de Sibérie, de Sylvain Tesson, figure opportunément sur le fascicule de présentation du Musée vert, censé engager le Domaine de Chevetogne pour les décennies à venir. Cette proposition de schéma directeur vise à mettre en réserve naturelle intégrale environ 400 hectares de ce site touristique du sud-namurois, soit deux tiers de sa superficie. Bien sûr, le grand public pourra toujours s’y promener, s’y détendre et y loger. A vrai dire, le dépaysement n’en sera que meilleur, selon le directeur du domaine, Bruno Belvaux, et le professeur Marc Dufrêne, de la faculté Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège). En côtoyant une nature plus sauvage et préservée, les bouffées de vert seraient d’autant plus immersives. Et particulièrement en phase avec les attentes du touriste du XXIe siècle, en quête d’authenticité à proximité de chez soi.

Est-ce que l’on veut s’engager dans une vision où l’on conçoit une Terre habitable pour la biodiversité, ou sacrifier la dernière baleine en invoquant des raisons financières?

Présenté en octobre dernier au collège provincial, puis ce 3 avril à l’ensemble des élus, ce projet reviendrait aussi à ériger un temple pour la biodiversité, particulièrement menacée . Car la nature n’est jamais aussi prolifique que lorsque l’intervention humaine se limite au strict nécessaire. Ce Musée vert, c’est en quelque sorte le baroud d’honneur de Bruno Belvaux, qui partira à la retraite dans deux ans. « Notre modèle, ce sont les grands parcs américains, raconte-t-il. Quand on a fait pousser des arbres pendant vingt-cinq ans et quand on est entouré d’une équipe hypercompétente, on a envie que ce travail continue. Le 4 juin prochain, nous inaugurerons une zone humide de cinq hectares, restaurée dans l’état dans lequel elle se trouvait au XVIIIe siècle. Les ruisseaux en canalisation souterraine ont été remis à ciel ouvert. Nous prouvons ainsi qu’il n’y a pas de déterminisme aux erreurs commises dans le passé. Et le déclin de la biodiversité n’est pas irréversible non plus. »

Récession provinciale

Qui donc pour s’opposer à un projet au carrefour des enjeux de l’écologie, du bien-être et de l’accès à des espaces naturels pour tous? En apparence, personne. Mais l’avenir de Chevetogne, à l’instar de celui des institutions provinciales, est loin d’être un long fleuve tranquille. Comme ailleurs, la reprise partielle du financement des zones de secours pèse lourdement dans le budget de la Province de Namur. Celle-ci prévoit d’ailleurs de réduire ses effectifs de 20% d’ici à 2024. « Tous les services doivent faire des efforts », rappelle la députée namuroise Geneviève Lazaron (CDH), dans la majorité avec le MR et DéFi. Le Domaine de Chevetogne n’échappe pas à la règle. Celui-ci se voit ainsi contraint d’économiser quelque 300 000 euros par an en frais de fonctionnement jusqu’en 2024, sur un budget global de 6 millions, alors que la fréquentation n’a jamais été aussi élevée.

« Le déclin de la biodiversité n’est pas irréversible. »© DR

Bien sûr, le Musée vert nécessite d’importants moyens financiers, dont ne dispose pas la Province. Le dossier s’inscrit toutefois dans la lignée des projets durables que l’Europe serait prête à subsidier dans le cadre de ses fonds Feder 2021-2027. Il est tout aussi cohérent par rapport à la politique menée par le gouvernement wallon, visant à accroître la superficie de zones naturelles protégées. La ministre de l’Environnement, Céline Tellier (Ecolo), a notamment annoncé la création de deux parcs nationaux en Wallonie, pour lesquels un appel à projets est prévu.

Le problème se situe ailleurs: opter pour une mise en réserve intégrale implique de renoncer à de potentiels projets d’infrastructures de loisirs. De même, elle empêcherait une future privatisation de l’ensemble du site, là où cette hypothèse n’est visiblement pas exclue. « Je ne vais pas dire que je n’ai jamais entendu parler de ces considérations-là, mais très honnêtement, elles n’ont jamais été liées au Musée vert », assure Geneviève Lazaron. En d’autres mots: la majorité ne compterait – ou n’oserait – pas le bloquer pour des raisons purement lucratives.

C’est pourtant précisément ce que craint Bruno Belvaux. « Au conseil provincial, il y a clairement des forces de résistance au changement de la part de quelques élus que je qualifierais d’extractivistes. Est-ce que l’on veut s’engager dans une vision à long terme, où l’on conçoit une Terre habitable pour la biodiversité, ou sacrifier la dernière baleine en invoquant des raisons financières? C’est la question qui se pose aujourd’hui pour Chevetogne. » Le nom de Jean-Marie Cheffert, chef de groupe MR à la Province et ex-bourgmestre de Ciney, est fréquemment cité par les élus namurois quand il s’agit de pointer les membres « réticents » et influents de la majorité. Contacté par Le Vif, ce dernier a indiqué ne pas vouloir faire de commentaires, dans l’attente d’une réunion sur le sujet avec les chefs de groupe de tous les partis, le 3 mai prochain.

« Une opportunité historique »

De son côté, l’opposition PS et Ecolo s’impatiente, accusant la majorité de temporiser alors que toutes les incertitudes auraient été levées par Bruno Belvaux et le professeur Marc Dufrêne lors de leur présentation. « Il n’y a aucune raison de ne pas vouloir avancer, commente Georges Balon-Perin, chef de groupe Ecolo. Si ce qui bloque, c’est la possibilité de développer un projet d’optique libérale sur Chevetogne, que la majorité le dise. » Pour Antoine Piret, chef de groupe du PS, « le Musée vert est une opportunité historique pour redéfinir ce qu’est un service public innovant au XXIe siècle, qui garantit à la fois le droit à l’épanouissement pour tous, tout en jouant un rôle essentiel pour préserver la biodiversité et lutter contre la crise climatique. La majorité commettrait une erreur monumentale en ne s’en saisissant pas. »

« Lors de la présentation du 3 avril, aucun conseiller présent n’a dit que le Musée vert était un mauvais projet, tempère Geneviève Lazaron. Ce que l’on veut, c’est lister les questions pratiques qui, contrairement à ce qu’en disent certains, n’ont pas encore de réponses à ce stade. Puis, il faudra un masterplan. L’emballement suscité, à juste titre, par ce projet a mené à des débats un peu passionnels. Or, il est aussi de la responsabilité du politique de ne pas se lancer tête baissée, surtout quand de l’argent public est en jeu. » Prochain épisode de la saga ce 3 mai.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire