Le Grand Curtius. © Capture d'écran googlemap

Liège : l’inégal succès des piliers culturels

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Ces dernières années, Liège a clairement investi dans ses infrastructures culturelles. Avec quel résultat ? Les trois piliers de l’offre actuelle – le Théâtre, l’Opéra et le Grand Curtius – n’en retirent pas le même bénéfice. Si les deux premiers surfent sur la vague, le troisième tire la langue…

A eux trois, ils cumulent près de 114 millions d’euros d’argent public. La Ville a misé gros sur eux. Avec leurs habits neufs, ces trois infrastructures culturelles sont censées être des maillons du redéveloppement liégeois. Le Grand Curtius (46,4 millions) a ouvert le bal en 2009, après quatorze ans de tergiversations et de travaux. L’Opéra Royal de Wallonie (40 millions) l’a suivi, avec une rénovation achevée en 2012. Un an plus tard, c’était au tour du Théâtre de Liège (27,5 millions) de prendre ses quartiers dans ses nouveaux locaux, place du 20 Août. Les trois piliers culturels de la Cité ardente. Ces sommes faramineuses en valaient-elles la chandelle ? Quel est le retour sur investissement ?

Le grand gagnant : le Théâtre

Toutes ces institutions n’en tirent pas profit de la même manière. Celui qui a connu l’avant/après le plus contrastant est sans conteste le Théâtre. « Un boom incroyable ! », s’enthousiasme son directeur général Serge Rangoni. En 2012-2013, alors qu’elle était toujours installée sur l’excentrée place de l’Yser, de l’autre côté de la Meuse, la salle de spectacles avait attiré 27 000 spectateurs. Après 40 000 personnes les deux saisons précédentes, elle devrait égaler les 50 000 en 2015-2016, ce qui était son ambition. « On vient à peine de débuter l’année et on a vendu 30 000 places ! Ce qui signifie qu’on a déjà atteint nos objectifs en termes de recettes « public ». »

L’année dernière, l’institution a compilé 16 000 nouvelles fiches clients. Sans oublier les 35 000 visiteurs qui ont arpenté ses infrastructures dans le cadre de manifestations parallèles (conférences et autres locations). « Cette année sera celle de la fidélisation. On voit que les gens qui sont venus au départ par curiosité commencent à revenir. On a aussi réussi à attirer un public qui d’habitude ne vient pas particulièrement au théâtre. » Résultat d’une programmation à la fois plus riche et plus diversifiée, de spectacles tantôt grand public, tantôt ciblés.

Les productions propres mobilisent par an l’équivalent de 14,5 temps plein, contre 8,5 précédemment. Le personnel technique et administratif a lui aussi progressé pour atteindre une quarantaine de postes (4,5 de plus qu’auparavant). « Le bâtiment nous offre une crédibilité incroyable au niveau international, ajoute Serge Rangoni. Il nous aide à nous affirmer comme structure de production, on nous fait plus facilement confiance. ».

La confirmation : l’Opéra

L’Opéra Royal de Wallonie partage le même constat. « Il est désormais plus facile d’attirer les artistes, relate Stefano Mazzonis di Pralafera, directeur général. Avoir un cadre performant et beau donne envie aux grands chanteurs de passer par Liège. Le bouche à oreille fonctionne : en voyant qu’untel s’est produit chez nous une fois, deux fois, trois fois, les autres veulent venir aussi ! »

L’ORW n’a pour sa part pas bénéficié de nouveaux locaux, mais bien d’un lifting complet de ses infrastructures et de la construction d’un étage supplémentaire, qui abrite notamment une deuxième scène, servant tantôt pour les répétitions grandeur nature, tantôt pour des spectacles au public plus restreint. L’utilisation des lieux a donc pu être accrue, grâce à une programmation simultanée.

L’emploi est resté stable et la progression de la fréquentation est ici moins spectaculaire. Mais l’Opéra partait déjà de fort haut. Avant travaux, il accueillait 80 000 spectateurs, contre 100 000 aujourd’hui. Voire 150 000, si l’on inclut toutes les activités collatérales. Le taux d’occupation de la salle est passé de 90-92 % à 97-98 %. « Je n’aime pas utiliser les superlatifs « hyper » ou « super », mais c’est tout de même super bien, se réjouit le directeur. Les plus grandes maisons du monde tournent autour des 93-94%. »

L’ORW est aussi devenu un pôle touristique. Des groupes viennent expressément visiter les lieux. Par ailleurs, 13 % de ses spectateurs proviennent des pays limitrophes (France, Allemagne, Pays-Bas et Luxembourg).

Les améliorations technologiques apportées à la scène facilitent non seulement la tenue des représentations, mais permettent également de retransmettre certains spectacles en streaming en collaboration avec la RTBF et France 2, mais aussi au cinéma. « Ce qui était auparavant réservé aux plus grands opéras, comme celui de Paris ou de Covent Garden ! »

La déception : le Grand Curtius

De renommée internationale, il n’en est par contre point question au Grand Curtius. Ce musée devait pourtant être le vaisseau amiral, la figure de proue de l’offre liégeoise. D’ailleurs, de tous les chantiers culturels entamés ces dernières années, ce fut le plus onéreux. Et sans doute le plus décevant. Lui qui rêvait d’attirer annuellement 150 000 visiteurs est encore loin du compte, six ans après son inauguration.

Cela avait bien débuté : 100 000 curieux avaient poussé les portes de ce majestueux édifice situé en bord de Meuse lors de sa première année de fonctionnement. Ce fut ensuite la débandade : 60 000 en 2010, 55 000 en 2012. Puis une légère remontée : 64 000 en 2013, 66 000 en 2014. « Il est clair que cela n’est pas encore suffisant, mais la fréquentation a augmenté de ces trois dernières années, ce qui n’est pas si mal », avait affirmé Jean-Pierre Hupkens (PS), échevin en charge de la Culture, lors d’un conseil communal au cours duquel le point avait été évoqué. Jean-Marc Gay, directeur des musées liégeois, n’a pas répondu à nos questions, pas plus que le collaborateur vers lequel il nous avait renvoyé.

L’opposition communale, elle, ne manque pas de commentaires pour expliquer cette déconvenue : absence de grandes expositions fédératrices, incohérence des collections exposées, budgets de promotion trop limités (150 000 euros pour l’ensemble des musées de la Ville), parcours muséographique mal proportionné… Il y a un an, la réputation du Grand Curtius était égratignée suite à une exposition sur l’art primitif des Bululs qui, selon plusieurs spécialistes, présentait de fausses collections.

Le musée a pourtant réussi à être renouvelé en catégorie 1, ce qui lui confère davantage de subsides de la part de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Un pass touristique donnant droit à des réductions sur le prix d’entrée a été créé. Des événements parallèles, comme des conférences ou des apéros littéraires, devraient être davantage développés.

Les chiffres de fréquentation 2015 montreront si le lent redressement continue. Ensuite, le Grand Curtius pourrait souffrir de l’apparition du musée Boverie, qui devrait être inauguré courant 2016. La Ville y a aussi mis les moyens : 27 millions d’euros pour la rénovation du bâtiment et un partenariat artistique avec le musée du Louvre.

Concurrence en vue ? L’échevin Jean-Pierre Hupkens préfère parler de complémentarité…

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