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Les citoyens partagés face aux mesures Covid: « Est-ce la bonne stratégie? »

Julie Nicosia
Julie Nicosia Journaliste

La Belgique bouillonne en attendant la levée des restrictions sanitaires. Le Vif a rencontré trois citoyens qui expliquent pourquoi ils continuent de respecter ou non les mesures. Ils se posent des questions sur ces longues restrictions des libertés.

Pauline*, 43 ans, secrétaire : « Je respecte les règles sanitaires, mais… »

Pouvons-vous me citer les règles sanitaires en vigueur à l’heure actuelle?

Je crois mais je ne suis pas certaine : le port du masque l’espace public, le lavage des mains, la distanciation sociale, des rassemblements limités à dix personnes à l’extérieur (bulle comprise), la possibilité d’aller à deux dans les magasins (mais je ne sais pas si mon enfant de moins de 12 ans peut ou pas m’accompagner). Je pense aussi que le couvre-feu est différent à Bruxelles qu’en Flandre et en Wallonie.

Selon vous, suivez-vous les règles sanitaires?

Oui. Je les respecte parce que je vis en zone rurale et que je peux me balader. Par ailleurs, je télétravaille. Je mets un masque pour aller faire les courses ou quand je croise les gens. Je ne vois personne d’autres à part ma bulle (trois enfants et un compagnon). Cela fait quatorze mois que je vois ma mère à deux mètres de distance. Et je n’ai plus vu ma soeur depuis des mois. Comme d’autres personnes d’ailleurs et ils me manquent.

Je n’ai pas décidé de respecter les règles mais j’y suis contrainte dans mon quotidien : quand je me rends au supermarché pour faire mes courses, si je ne porte pas le masque je ne peux pas rentrer faire mes courses ni même avoir accès à un caddie. J’ai besoin de m’alimenter ainsi que ma famille. Je me plie donc aux règles. Mais dès que je suis sortie d’un magasin et que je rentre dans ma voiture, je retire mon masque en prenant l’élastique comme on a été super bien briefé par Yves Van Laethem.

Êtes-vous familier des phénomènes de désobéissance civile? Si oui, est-ce également pour ça que vous ne respectez pas les règles?

Oui, j’ai fait plusieurs fois partie de mouvement de désobéissance civile. Et pour être tout à fait honnête, j’ai été faire une fête de manière clandestine une fois avec une vingtaine de personnes pendant le confinement. Une seule. Il n’y a eu aucun cas après et on faisait partie (avec mon compagnon) des plus âgés.

Comptez-vous vous rendre en terrasse ou dans un lieu culturel le 1er mai?

Nous irons samedi plus que probablement accompagnés avec les enfants – en bulle et avec un masque – au Bois de la Cambre. Si on sent que ce n’est pas possible d’être en sécurité on quittera mais si c’est possible d’avoir un carré d’herbe, en restant en bulle, on restera.

Si on passe devant un café qui est ouvert, c’est avec le plus grand des plaisirs que j’irai chercher une bière.

Êtes-vous porteur d’un message en enfreignant les règles ?

Je ne suis pas spécialement porteuse d’un message. Par contre, je me pose la question de savoir si c’est la bonne stratégie de « vivre plus longtemps » dans ces conditions. L’être humain a besoin de contacts sociaux. La vie ne vaut pas la peine d’être vécue sans projet ni projection. Je trouve que beaucoup de droits humains sont bafoués pour le moment et je ne crois pas que la solution soit de jouer sur la peur comme ça. Ça ne va pas. Des personnes âgées dont on a eu des nouvelles sont plus encore plus fatiguées que les jeunes. Je refuse cette façon de vivre. S’il y avait une guerre, je comprendrais. Mais aujourd’hui, il n’y a plus de place pour la solidarité. Il y a une perte de spontanéité. Et faire la fête, cela permet de prendre les choses de manière plus légère et de rendre la vie un peu plus supportable.

Jean*, 31 ans, demandeur d’emploi : « J’en ai marre de cette politique »

Pouvons-vous me citer les règles sanitaires en vigueur à l’heure actuelle?

Se laver main régulièrement, le port du masque, la distanciation sociale, la bulle de 1 ou 2 … 3 (hésitations). Je ne sais plus. J’ai perdu le fil.

Selon vous, suivez-vous les règles sanitaires?

Quand il le faut. Dans les magasins et en ville, oui. Mais avec mes amis non. Je ne fais pas la bise. Mais il peut m’arriver de faire tourner un pétard. Si j’étais malade, je respecterais la quarantaine imposée. J’ai respecté ma quarantaine quand je suis rentré de mon voyage d’un an au Canada. Mais là, il y a un ras-le-bol qui s’installe.

J’évite toutefois de voir les gens à risque comme je ne fais pas trop attention.

Pourquoi avez-vous décidé ne pas les suivre?

Je suis lassé. Je suis isolé et sans emploi. Quand on se trouve trois, quatre, cinq jours à ne parler à personne, le moral descend très très bas. Donc, si j’ai l’occasion de voir des potes – comme je suis quelqu’un qui me nourrit des relations sociales – je le fais. Avec la lassitude, le ras-le-bol, les règles tous azimut du gouvernement (pour n’en citer qu’une – la règle de la fenêtre du train) qui nous font mélanger tout, c’est difficile.

Je fais toute de même attention et je dirais que je fais confiance aux gens. Je pense qu’ils me le diront s’ils étaient contaminés et je suis convaincu qu’ils respecteraient leur quarantaine si ils le sont.

Si on respecte tous les règles, ça aide. Je pense que le bien de la communauté doit passer avant le bien individuel mais c’est difficile de rester enfermé, de ne rien faire et de ne pouvoir voir personne. C’est compliqué.

Êtes-vous familier des phénomènes de désobéissance civile? Si oui, est-ce également pour ça que vous ne respectez pas les règles?

Oui. J’en ai marre de ce monde politique où ce ne sont que ceux qui ont le plus de voix qui sont élus. Tous les scandales qu’on entend au quotidien. Ces gens-là (ndlr : les politiques) se font du pognon sur nos dos. Les soins de santé souffrent mais avec moins de ministres, on pourrait les refinancer. J’en ai ras-le-bol de la façon dont ce pays est géré. Après, ce qui me désole, c’est que les gens ont tendance après à tendre vers les extrêmes.

Comptez-vous vous rendre en terrasse ou dans un lieu culturel le 1er mai?

Habitant dans la campagne, je ne pense pas. Mais si je suis en ville, j’irai. Si je n’y suis pas, je n’irai pas.

Êtes-vous porteur d’un message en ne respectant pas les règles/si vous deviez adresser un message au gouvernement quel serait-il?

Il y a une chose que j’aimerais dire : j’en ai marre que 99,4% de la population soit bloquée chez elle alors qu’il n’y a que 0,6% de la population qui meurt du virus. Des personnes qui ne sont pas malades du Covid pourraient avoir des conséquences sur leur vie avec les mesures d’isolement. Peut-être que sans règle, on n’y serait pas. Je suis assez partagé. On dit souvent qu’on est trop sur Terre mais on se plaint que des gens meurent. Je ne voudrais pas que ça fasse comme la fièvre jaune mais c’est difficile.

Julie*, 42 ans, chargée de communication : « Oui, je respecte les règles sanitaires »

Pouvons-vous me citer les règles sanitaires en vigueur à l’heure actuelle?

La bulle extérieure est à dix. Je peux accueillir quatre personnes à la maison. Il y a une quarantaine de dix jours quand on revient de l’étranger ou lorsqu’on a été en contact avec une personne porteuse du Covid (cas-contact). Le port du masque est obligatoire. Il faut aérer sa maison. Le télétravail est obligatoire. J’imagine qu’il y en a d’autres.

Selon vous, suivez-vous les règles sanitaires?

Oui, je les respecte. Pas par angoisse ou instinct grégaire mais je suis une obsédée de l’aération. Comme le télétravail est obligatoire je reste chez moi… Et les gens qu’on voit, on les voit en extérieur. En plus, mon appartement n’est pas fini.

Nous rencontrons rarement des personnes sauf quand il faut aller chercher un gamin chez un parent. Mais nous ne voyons personne pour faire des fêtes.

Êtes-vous familier des phénomènes de désobéissance civile?

Je suis plutôt encline, intellectuellement disposée à ce principe. Mais je manque de temps pour m’engager. Par exemple, pour « La Boum », je n’irai pas, j’ai passé l’âge des rassemblements.

Comptez-vous vous rendre en terrasse ou dans un lieu culturel le 1er mai?

Je voudrais aller investir les lieux culturels et montrer qu’aller voir un spectacle ou me rendre dans le centre culturel en bas de chez moi est plus important que boire des bières sur une pelouse. Je peux aussi me rendre dans un parc mais je m’écarte des rassemblements. J’ai un chien, ça aide les gens à ne pas trop m’approcher généralement.

Par contre, j’irai à toutes les terrasses quand ça pourra rouvrir. L’inconvénient actuel avec le télétravail, c’est qu’on ne peut plus investir les lieux. On ne peut pas aller travailler dans un café. C’est le plus embêtant car on ne voit plus les gens. Même des gens extérieurs à notre cercle, qu’on croise ou qu’on écoute quand on est au bistro.

Avez-vous un message à adresser au gouvernement?

Je poserai la question de savoir quelle est la stratégie : quels sont les effets des mesures qu’ils sont en train de mettre en place maintenant sur le long terme ?

Je demanderai aussi pourquoi des moyens ne sont pas plus insufflés dans les soins de santé.

(*) Noms d’emprunt.

Cette Belgique qui bouillonne

Le Comité de concertation a opté pour la prudence et l’impatience grandit face aux mesures sanitaires. Le Vif donne la parole à plusieurs citoyens qui tantôt respectent les mesures et d’autres qui n’y arrivent plus. Le citoyen même le plus assidu semble tout doucement lâcher prise. Le ras-le-bol s’installe. La désobéissance civile sera-t-elle évitée? Comment cette situation sera-t-elle gérée? Nous vous proposons, tout au long de la semaine, plusieurs regards sur ce moment délicat.

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