De Wever

La N-VA a besoin du PS, et non l’inverse

Muriel Lefevre

Le blocage de la formation flamande et l’appel au PS pour discuter montrent que la stratégie de la N-VA semble connaitre quelques gros accros. De quoi faire surgir le spectre de 2010 qui a vu la N-VA, pourtant victorieuse, repartir avec rien.

En 2010, Bart De Wever sonne à la porte d’une villa isolée de Wezembeek-Oppem. C’est là qu’ont lieu les négociations avec le président du PS, Elio Di Rupo. Celui qui est depuis peu à la tête du plus grand parti du pays s’aperçoit rapidement qu’il s’est fait piéger. « J’ai demandé des changements, lui ne demandait rien. Impossible d’obtenir quoi que ce soit dans ces conditions », dira De Wever. La N-VA se retrouve dans l’opposition. En 2014, elle décide de changer son fusil d’épaule dit encore De Standaard. Pour elle, la seule ligne à suivre sera désormais de mettre les francophones dans la position du demandeur. Elle va utiliser le pouvoir au niveau fédéral pour y parvenir. Le parti était en effet convaincu que les socialistes francophones s’affaibliraient et se replieraient dans leur région que s’ils restaient structurellement privés du pouvoir fédéral pendant plus de cinq ans. Ainsi acculés, ils finiraient par demander d’eux-mêmes le confédéralisme.

Une stratégie sur le long terme qui semblait être de prime abord promis au succès. Ils ont éloigné les socialistes du pouvoir fédéral et ont mené une politique fort peu goutée du côté du PS. Pendant la campagne, Di Rupo avait même donné l’impression de mordre à l’hameçon avec sa demande de financement supplémentaire des régions. Une faiblesse qui restera cependant passagère, car depuis les élections, le message du PS est clair : la porte institutionnelle reste fermée.

La N-VA a besoin du PS, et non l'inverse
© belga

Cinq ans d’ostracisme fédéral n’auront pas suffi. Le PS est toujours demandeur de rien dit De Standaard. Et pour cause, le PS entraperçoit aujourd’hui la perspective d’une participation au fédéral sans devoir faire des concessions communautaires. La N-VA, qui a perdu quelques plumes pour se retrouver au niveau de 2010, se retrouve en effet bien seule, si on excepte le Vlaams Belang, avec ses revendications communautaires.

C’est dans cette optique que l’on doit voir la décision de la N-VA de bloquer la formation du gouvernement flamand dit encore De Standaard. Pour la N-VA, faire pression sur le CD&V et l’Open VLD pour qu’ils n’aient pas l’idée saugrenue de former un gouvernement fédéral minoritaire du côté flamand est la seule façon de maintenir le PS loin du pouvoir fédéral. Et c’est vrai que sans eux, il est presque impossible pour le PS de faire une coalition. En bloquant le CD&V et l’Open VLD au niveau flamand, la N-VA tente en réalité d’amener le PS à la table des négociations autour d’un confédéralisme  » jusqu’au-boutiste », seule chose dont les nationalistes flamands souhaitent discuter avec le parti de Di Rupo et qui est au centre de leur programme.

Là aussi la stratégie choisie ne semble pas porter ses fruits. Alors que De Wever ne peut bloquer la formation flamande indéfiniment – on ne voudrait pas donner l’impression que la Flandre souffre du syndrome d’ingouvernabilité belge-, le PS a lui tout intérêt à attendre. Du coup, la N-VA se retrouve à nouveau et depuis deux semaines en position de demandeur malgré lui. La N-VA a besoin du PS et non le contraire.

Bart De Wever en Colombie

Bart De Wever participe du 6 au 14 juillet, en tant que bourgmestre d’Anvers, à une visite de travail prévue de longue date en Colombie. Celui qui annonçait depuis la mi-juin que le 11 juillet, date de la fête de la Communauté flamande, était « un bel objectif » pour l’annonce d’une coalition gouvernementale aurait de toute façon été aux abonnés absents puisqu’il sera en Amérique du Sud à cette date. Le bourgmestre d’Anvers participera en effet au « World Cities Summit », le forum mondial des maires, qui se tient cette année du 10 au 12 juillet à Medellin, deuxième ville de Colombie. La visite de travail est programmée de longue date. « C’est un congrès auquel nous participons chaque année, comme ce fut le cas l’an dernier à Singapour », a commenté le porte-parole de M. De Wever, Johan Vermant. Des déplacements à Bogota et Carthagène sont également au programme, pour des visites muséales, portuaires et des rencontres politiques.

Forza Flandria sera rance ou ne sera pas

Maintenant que Bart De Wever est en Colombie pendant une semaine, il devrait réfléchir attentivement en tant que formateur flamand à ses options lors des négociations et son flirt dangereux avec le Vlaams Belang dit par ailleurs De Morgen. Choisir c’est renoncer. Et cela vaut aussi pour les autres partis. Or des tweet de membre du Vlaams Belang ont remis crument en lumière à quel point le parti avait des relents nauséabonds. Le Vlaams Belanger Sam van Rooy – élu par le peuple au conseil municipal d’Anvers et au Parlement flamand- a tweeté en réponse aux problèmes causés par les bandes de jeunes sans scrupules dans les piscines publiques « qu’il avait toujours une piscine où ces jeunes pouvaient aller nager: « la mer Méditerranée ». Les remous plus ou moins provoqués par ce tweet au sein de la N-VA montrent que le parti est face à un énorme paradoxe. Pourtant il est plus que temps de choisir son camp. En premier lieu pour Bart De Wever. Est-il prêt à prendre enfin au sérieux sa propre histoire inclusive ou va-t-il continuer à prendre en otage la formation d’un gouvernement en parlant davantage avec un parti qui ne sait même pas écrire  » inclusivité  » ? Néanmoins les autres partis doivent aussi prendre position. Il est complètement fou que CD&V, Open Vld, sp.a et Groen soient retenus en otage au niveau fédéral parce qu’ils n’osent pas bouger sans la permission du président de la N-VA. Le fait que De Wever menace de ne pas les inclure dans le gouvernement flamand dans ce cas n’est pas leur propre problème, mais le sien. La N-VA et le Vlaams Belang ne disposent pas ensemble d’une majorité au Parlement flamand, et il n’y a pas d’autre solution. « Pour être raccord avec l’image que De Wever utilisait dans les débats avec le Vlaams Belang : la porte est fermée, mais de l’intérieur. C’est donc à Bart De Wever de l’ouvrir, pas aux autres, » dit encore De Morgen.

Des négociations qui risquent de durer des mois

Ce n’est que si l’Open VLD et le CD&V ne cèdent rien et que le blocage est total que les choses pourront peut-être changer sur le long terme. Et encore. Car même si le PS finit par parler avec la N-VA, les négociations vont durer des mois, ce que la N-VA refuse d’envisager.

La N-VA pourrait être tentée par une cure d’opposition fédérale qui lui permettrait de se profiler à nouveau plein pot comme parti communautaire et en récolter les fruits en 2024. Mais c’est offrir un boulevard au PS et signifierait de reprendre à zéro toute la stratégie de mise à l’écart mise en place depuis 5 ans. Cela veut aussi dire que le parti, s’il y arrive en 2024, aura mis 15 ans à mettre en place le si essentiel pour lui confédéralisme. Pas terrible pour l’image de marque.

Record de durée en vue pour la formation du gouvernement flamand

Bart De Wever ayant décidé de mettre sur pause les discussions en vue de la formation d’un gouvernement flamand, la Flandre pourrait connaître sa plus longue période de formation gouvernementale depuis les premières élections régionales directes en 1995. Jusqu’à présent, le record, au nord du pays, est de 48 jours. Les élections du 26 mai dernier étaient les 6e élections directes au niveau régional. Depuis 1995, la formation du gouvernement flamand a toujours été rapide, les prestations de serment ayant régulièrement lieu avant le 11 juillet ou, au pire, aux alentours de la Fête nationale. Les négociations les plus courtes n’ont duré que 30 jours, avec la formation du gouvernement Van den Brande IV en 1995 et du gouvernement Dewael en 1999. Les plus longues, elles, sont à mettre au compte du gouvernement sortant: 48 jours ont en effet été nécessaires pour que le gouvernement Bourgeois soit formé. La décision de Bart De Wever de temporiser afin de voir ce qu’il se passe au Fédéral devrait mettre à mal ce record, une prestation de serment avant le 13 juillet – soit 48 jours après les élections – semblant exclue

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