Carte blanche
La gestion gouvernementale de la crise sanitaire et le désastre de la santé mentale (carte blanche)
Les choix posés par les différents gouvernements en matière de gestion de la crise sanitaire ont été paternalistes et d’une violence symbolique inouïe, regrettent Jean-Jacques Van der Cruysen (psychologue) et Marie-Chantal Verweyden (pédopsychologue). Qui s’inquiètent des conséquences à court, moyen et long terme de l’absence de prise en considération de l’impact sur la santé mentale.
Alors que les gouvernements fédéraux, régionaux et communautaires adoptent une nouvelle série de mesures pour tenter de limiter au mieux l’impact du Covid sur le taux d’hospitalisation, il nous a semblé urgent de pousser un cri d’alarme qui a été constamment ignoré par les autorités depuis le début de la crise : celui des praticiens de la santé mentale face à une population au bord du gouffre.
On peut débattre longtemps de la gestion de la crise sanitaire par les différents niveaux de pouvoirs, mais il y a une constante : l’absence d’une politique structurelle de prise en compte à part entière des effets des mesures gouvernementale sur la santé de la population belge. Précisons bien que nous parlons ici d’un plan structurel d’urgence d’accompagnement de la population et de soutien aux premières lignes de la santé mentale, et non pas de mesures à la marge.
Il est sidérant de constater qu’après près de deux ans de tentative de gestion de crise, nos autorités ne semblent toujours pas avoir compris deux éléments fondamentaux : premièrement, assurer la santé physique d’un individu sans sa santé mentale n’est qu’une chimère, deuxièmement une politique de santé publique qui ne tient pas compte de la santé mentale ne mène qu’au gouffre.
Nous, praticiens de la santé mentale, sommes confrontés quotidiennement à une dégradation systémique sans précédent de la santé mentale à tous les niveaux de la population. Or, cette dégradation n’est pas que due au contexte général de gestion de la pandémie. Elle est également directement imputable à l’incohérence des choix successifs qui ont été posés en pleine conscience par nos gouvernements et à la façon dont ces choix ont été communiqués avec un paternalisme et une culpabilisation individuelle d’une violence symbolique inouïe, aux effets particulièrement pernicieux sur le plan psychologique.
En tant que personnes accompagnants les personnes en souffrance mentale, nous remarquons trois éléments marquants :
- Premièrement, cette situation existe à tous les niveaux de la population : travailleurs en burn-out, étudiants et élèves en détresse psychologique grave, personnes âgées en dépression et enfants en bas âges perturbés.
- Deuxièmement, la santé mentale est envisagée comme une variable d’ajustement de deuxième ordre dans la prise de décision des gouvernements et la réflexion des experts qui les accompagne. Pire, les effets sur la santé mentale, lorsqu’ils sont évoqués, sont envisagés à l’aune du paradigme du « mal nécessaire », paradigme où le responsable est le virus mais jamais la gestion de la crise en tant que telle et où la phraséologie de la communication gouvernementale renvoie constamment à la notion de « faire encore un effort ».
- Troisièmement, les autorités ne procèdent à aucune évaluation d’ampleur de cette dégradation et les conséquences se manifesteront pendant de très longues années jusqu’à des niveaux insoupçonnés. Pour s’en convaincre, il n’est que d’observer le fait que le développement des enfants en début de vie sous cette pandémie a été complètement perturbés par de multiples facteurs avec des conséquences potentielles inquiétantes sur la formation des synapses, cruciaux pour le développement du cerveau. Il n’est que d’observer le terrible et silencieux phénomène de décrochage des études pour de très nombreux jeunes ayant sombré dans la dépression durant ce qui devait être des années fastes socialement et intellectuellement. Enfin, il n’y a qu’à observer les femmes ayant été privées d’un accouchement dans des conditions normales et les familles ayant été empêchées violemment de faire leur deuil. Tout cela aura un prix psychologique à payer considérable pour la société dans les années qui viennent, même une fois la crise sanitaire terminée.
Pour toutes ces raisons, il est urgent que les autorités changent radicalement de logiciel dans la façon d’appréhender la santé mentale dans leur prise de décision durant cette crise. Sauver des vies ne passera que par cette indispensable prise en compte, faute de quoi notre population payera un lourd tribut psychologique.
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