Justice : deux nouvelles avancées pour la protection de la nature (info Le Vif)

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Dans un récent arrêt que Le Vif s’est procuré en primeur, la cour de cassation reconnaît à son tour la notion de dommage écologique, et la légitimité d’une autorité comme la Région wallonne à demander réparation. Un principe crucial pour mettre fin à l’impunité des délits commis contre la nature.

Pas à pas, la réparation des dommages causés à la nature fait son chemin en Belgique. Le 10 novembre dernier, la cour de cassation a rendu un arrêt attendu dans une affaire opposant la Région wallonne, La Ligue royale belge de protection des oiseaux et l’ASBL Natagora à quatre tendeurs (des personnes capturant illégalement des oiseaux). Il y a six mois, la cour d’appel de Liège avait déjà confirmé les sanctions pénales de première instance, parmi lesquelles des peines d’emprisonnement fermes, pour certains des huit prévenus encore concernés. Au civil, elle s’était surtout démarquée en s’appropriant pour la première fois le principe du dommage écologique, qu’elle définissait comme un « dommage causé directement au milieu pris en tant que tel indépendamment de ses répercussions sur les personnes et sur les biens. » Par cette voie, elle reconnaissait ainsi pour la première fois la valeur intrinsèque de la nature, tout en confortant la légitimité d’une autorité publique comme la Région wallonne à se constituer partie civile pour exiger une réparation.

Contrairement à ceux des tendeurs, la cour de cassation a estimé que les deux moyens de pourvoi introduits par la Région wallonne étaient fondés. Cet arrêt va donc permettre à la Région de réclamer potentiellement plus que ce qu’elle avait déjà obtenu en première instance et en appel, cette fois devant la cour d’appel de Mons. « Notre objectif ultime n’est pas de recevoir de l’argent, mais de faire valoir le principe du pollueur payeur qui a été consacré par le décret de l’environnement », précisent les conseils de la Région, Me Alfred Tasseroul et Charles Devillers.

  • 1. Un préjudice économique et matériel

Le 26 mai dernier, la cour d’appel de Liège avait débouté la Région wallonne concernant le préjudice économique causé par les tendeurs concernés. Pendant au moins dix ans, ceux-ci avaient capturé des centaines d’oiseaux sauvages, dont des espèces menacées. La Région avait évalué ce préjudice à un peu plus de 107 000 euros (en invoquant principalement la perte sur investissement de ses dépenses agro-environnementales). De son côté, la cour d’appel avait considéré que ces dépenses relevaient des « missions habituelles » de service public de la Région. Et que rien ne permettait de prouver que les agissements des tendeurs avaient contribué à les augmenter.

A présent, la Région se voit confortée, sur la forme, par l’arrêt de la cour de cassation. Cette dernière estime que les motivations de la cour d’appel étaient insuffisantes pour rejeter la demande d’indemnisation. « Pour écarter cette demande, la cour d’appel aurait pu désigner un expert afin d’évaluer s’il y a ou non une perte d’investissement, ce qu’elle n’a pas fait, commente Charles-Hubert Born, avocat et professeur à l’UCLouvain. Il est aussi remarquable que la cour de cassation évoque la perte sur investissement dans le cadre d’un budget lié à la conservation de la nature. Cela veut dire qu’à chaque fois que quelqu’un porte atteinte à la nature, la Région wallonne peut se constituer partie civile si elle parvient à démontrer qu’elle a subi une perte sur investissement à cet égard. »

  • 2. Un préjudice écologique

Le jugement de la cour d’appel avait confirmé celui de première instance pour le volet lié au versement par les prévenus à la Région, au titre de préjudice écologique, de sommes forfaitaires (de 100 à 5 000 euros selon le cas) en fonction du nombre d’oiseaux saisis et de leur rareté. La cour de cassation fait valoir que le montant de l’une des indemnités pourrait s’avérer plus élevé, comme l’avait relevé la Région.

Mais ce n’est pas en cela que l’arrêt se distingue. « Implicitement, la cour de cassation reconnaît à son tour que le préjudice écologique est réparable dans le chef de la Région wallonne, poursuit Charles-Hubert Born. Elle semble considérer qu’il n’y a aucun problème à l’indemniser ». A l’heure actuelle, les dommages causés à la nature en tant que telle – distincts de ceux causés à une association de pêcheurs ou au propriétaire d’un étang, par exemple – ne donnent lieu qu’à des réparations dérisoires en Belgique, puisque la justice considère qu’elle n’appartient à personne. En ne contestant pas la légitimité de la Région à invoquer le préjudice écologique comme dommage personnel, l’arrêt de la cour de cassation la conforte indirectement à insister sur ce point dans des dossiers ultérieurs.

En revanche, l’affaire des tendeurs ne débouchera pas sur une réparation en nature, comme l’avait réclamée la Région en première instance et en appel. Une telle réparation servirait en l’occurrence à financer des projets de restauration des populations impactées. Elle n’a cependant pas fait l’objet du pourvoi en cassation. « La réparation en nature est le principe de base de la réparation en droit civil, souligne Charles-Hubert Born. Mais les juridictions ne comprennent pas encore bien ce qu’elle représente dans le cadre du préjudice écologique, ni comment la calculer. L’exemple de la France, où le code civil prévoit un mécanisme de réparation à cet égard, devrait toutefois permettre à nos juristes belges de s’inspirer de cette jurisprudence. Il faudra sans doute attendre plusieurs affaires avant que cela n’arrive. » La protection de la nature semble en bonne voie.

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