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Hassan, ou la dangereuse « jungle life »

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Pour comprendre comment Hassan, un jeune Egyptien de 28 ans, se retrouve inculpé dans le  » procès des hébergeurs « , il faut remonter quatre ans en arrière, quand il prend la décision de quitter son Égypte natale pour rejoindre l’Europe.

Un soleil d’automne inonde l’appartement situé sur un quai de Molenbeek où se tient notre entrevue avec Hassan. Il lui rappelle avec amertume son périmètre de vie restreint. « Même si les conditions sont meilleures qu’en prison, porter un bracelet électronique, c’est dur psychologiquement« , explique-t-il, en regardant avec envie joggeurs et cyclistes passer sous les fenêtres.

Dans un anglais à l’accent haché où se mêlent quelques mots de français, Hassan raconte son parcours. Sa voix au début ténue prend de l’assurance au fur et à mesure qu’il nous relate les épreuves qu’il a traversées depuis le départ de son pays natal.

Aîné d’une famille de 5 enfants, Hassan commence à travailler à 8 ans sur un bateau de pêche du Nil pour subvenir aux besoins de sa famille. Son Égypte à lui est très pauvre, bien loin de la vision idyllique que renvoie celle des cartes postales des hôtels 5 étoiles de Sharm El Sheikh. Quand son emploi du temps le lui permet, il va sporadiquement à l’école. « Quand j’avais 12 ans, ma mère est décédée, ça a brisé ma vie« , nous confie-t-il. À partir de ce moment, son père étant âgé et cardiaque, Hassan est propulsé chef de famille.

Quelques années plus tard, il passe 5 mois en Libye, rêve d’Europe et embarque sur un bateau en direction de l’Italie. « C’était très long et très dangereux, il y avait beaucoup de monde à bord, beaucoup d’enfants « , se rappelle-t-il. Après son arrivée à Palerme, commence une longue errance pour tenter de rejoindre l’Angleterre, fantasme de nombreux migrants. « Parce qu’une meilleure vie y est possible. Il y a du travail, même sans papiers et les communautés sont fort soudées« , justifie-t-il.

Son périple le fait passer par Venise, Vintimille, Paris pour finalement le faire atterrir dans la « Jungle » de Calais. Il y perd toute notion spatio-temporelle, avec comme seul repère le lever et le coucher du soleil. « Dans la ‘jungle’, on ne sait plus quel jour, quel mois ni quelle année, on est. Le temps s’arrête. ». Et malgré la solidarité ambiante, les conditions de vie au quotidien sont « dures, très dures », dépeint-il. En tout, il y passera trois ans.

A Calais, dans la
A Calais, dans la « jungle ».© MB

Hassan, après avoir longuement observé son environnement, devient une personne de référence pour les migrants déboussolés et esseulés de Calais. Il est connu pour trouver une solution à tout. C’est vers lui qu’on se tourne pour dégoter une paire de baskets, quelques habits, l’aide d’un médecin, jusqu’à apprendre à cuisiner un spaghetti bolognaise dans une minuscule boîte de sardines utilisée en guise de réchaud d’appoint… Il regroupe des réfugiés de toutes nationalités confondues, sous sa « khima », une grande tente où il leur prépare à manger. Epris de justice, il en vient parfois aux mains pour défendre des migrants qu’il a pris sous son aile des mauvaises intentions des trafiquants d’êtres humains présents dans le camp. « Les Afghans et les Kurdes étaient les plus violents. Souvent armés, ils étaient réputés comme faisant partie d’une véritable mafia de passeurs », relate Hassan. Des rixes, il en vivra, plus ou moins violentes.

Quand la « Jungle » est démantelée en octobre 2016, Hassan saisit l’opportunité de venir en Belgique grâce à un projet théâtral qui, une fois arrivé à Bruxelles, tombera à l’eau pour des raisons administratives. Il est accueilli par Myriam Berghe qui lui a proposé le job. Cette journaliste belge, également inculpée dans le « procès des hébergeurs » l’avait rencontré à Calais, alors qu’elle était hébergée en tant que bénévole sous la même tente que lui.

Commencent alors 7 mois pendant lesquels Hassan se retape de cette vie en bâton de chaise menée sur la route et dans la « Jungle ». Il est ravagé autant psychologiquement que physiquement. Ses yeux, ses dents, sa musculature ont beaucoup souffert durant ses années d’errance. Chez Myriam Berghe, il se recrée « une jungle life », y rameute ses compagnons d’infortune chassés eux aussi de Calais et qu’il a retrouvés dans la rue, à la Gare du Nord notamment. Ils seront par moment plus de 50 à se réfugier en alternance dans le petit duplex de la journaliste. Certains ont la gale, d’autres sont blessés, ou encore accros à la drogue… La cohabitation n’est pas toujours facile pour Hassan qui désire partager ce « privilège » d’avoir été accueilli en Belgique.

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La « khima » d’Hassan dans la « Jungle » de Calais. © MB

D’ici, il reste en contact permanent avec sa famille, règle des formalités administratives, leur envoie ses maigres économies pour que sa soeur et son père puissent payer leurs frais médicaux. Des transferts d’argent qui lui sont reprochés, à lui et à son hébergeuse, dans le cadre de son inculpation. Père de substitution à des milliers de kilomètres de distance, il parvient à empêcher que sa soeur ne se marie, à seulement 14 ans. « C’est beaucoup trop jeune, si elle se marie, elle est partie pour faire des enfants et devra rester à la maison, elle ne pourra pas faire d’études« , s’indigne Hassan prenant la défense des femmes de son pays, celles qu’il dénomme les « kitchen women » et pour lesquelles il ne veut pas d’un tel destin.

Jusqu’au petit matin du 20 octobre, quand a lieu la perquisition au domicile de Myriam Berghe, Hassan est envoyé menottes aux poings à la prison de Termonde, de peur qu’il ne quitte le pays. Il y passera 9 mois et 10 jours. En prison, il travaille d’arrache-pied, s’active en cuisine et endosse à nouveau son rôle de rassembleur.

Depuis fin juillet, il est assigné à résidence sous bracelet électronique. Il retourne chez Myriam Berghe, où la justice a décidé de le placer en attente du jugement du procès. Quand on lui demande s’il referait le même parcours, Hassan n’émet aucun regret et réitère le fait qu’il ne veut pas rentrer en Égypte. Ce pays qui est pourtant répertorié sur la liste des pays sûrs, mais où les conditions de vie sont « très dures » et où il ne veut plus « vivre en esclave ». « En Égypte, je serais toujours vivant, mais mort« , résume-t-il. Il s’enorgueillit plutôt d’avoir réussi, à sa façon, à extirper des personnes de la misère et de la violence de la rue.

En Belgique, son envie de rejoindre la Grande-Bretagne lui est passée. Il dit se sentir bien en Belgique, même s’il trouve « très injuste la manière dont le gouvernement traite les réfugiés. » Ses yeux verts perçants cernés par les nuits d’insomnies prennent alors une autre teinte, celle de la colère et de la révolte. Son ton se fait plus ferme, presque indigné. Ses mains s’agitent, tapent nerveusement le bois de la table devant lui, on le sent à cran, anxieux de ce que le futur proche lui réserve. Son rêve ultime serait de faire les études d’architecture. Des études qu’il n’a jamais eu l’occasion d’entreprendre en Egypte.

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