Georges Dallemagne (Les Engagés) © Belga

Georges Dallemagne (CDH) sur le voile: « Je m’inquiète d’une dérive dangereuse pour nos démocraties »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le député fédéral, Georges Dallemagne, remet en cause la nomination d’Ihsane Haouach et, plus fondamentalement, met en garde contre le danger d’une société communautarisée, où l’on s’attaque à la démocratie en s’en prenant certains démocrates. « J’appelle à ouvrir les yeux sur ce qui est en train de se passer. » Des propos forts.

Séance plénière sous tension, ce jeudi après-midi à la Chambre. Georges Dallemagne, député CDH, est l’un de ceux qui vont interpeller la secrétaire d’Etat Sarah Schlitz (Ecolo) au sujet de la nomination controversée d’Ihsane Haouach comme commissaire du gouvernement auprès de l’Institut pour l’égalité hommes-femmes. Il élargit le débat et tient des propos forts.

Pourquoi interpeller la secrétaire d’Etat Sarah Schlitz au sujet de cette nomination d’Ihsane Haouach. Vous avez exprimé votre « inquiétude », dans quel sens?

Tout d’abord, j’entends parfois certains dire que l’on a d’autres chats à fouetter, qu’il y a des débats plus importants et que ceci est un débat anecdotique: je ne le crois pas. C’est un débat qui est au coeur de la manière dont nous concevons l’avenir de nos sociétés, la manière dont nous allons pouvoir tous vivre les uns les autres dans un projet commun, avec le respect de chacun, mais aussi bien sûr avec un Etat qui reste neutre par rapport à cette grande diversité de population. Je crois que c’est un sujet qui préoccupe énormément les citoyens. Je l’ai vu, quand j’ai fait l’objet d’une polémique assez vive sur le voile, il y a quelques semaines: j’ai reçu un courrier abondant.

Vous aviez dit que le voile était une revendication politique, c’est bien ça?

J’avais dit que ce pouvait être « aussi » une revendication politique, outre un signe convictionnel qui peut ne poser aucun problème. J’enfonçais une porte ouverte, cela ne me paraissait pas être des propos très impressionnants. J’ai pourtant subi une terrible violence verbale contre moi. Mais surtout, j’ai reçu un soutien absolument massif, très impressionnant, venu de toute la société, au sein de mon parti, mais aussi d’autres partis, émanant de toutes sortes de personnalités. Cela a montré que ce débat était central, au coeur de beaucoup de préoccupations. Il y a une détresse: j’ai l’impression que tout le monde se sent victime de l’autre, aujourd’hui. Et cela m’inquiète terriblement.

On voit déjà à quel point ce débat est tendu, mais aussi à quel point on cherche à l’éviter. Parce qu’il est difficile, peu de gens s’y risquent. Et ceux qui le font sont tout de suite violemment attaqués, traités d’extrémistes, d’islamophobes, de sexistes ou de racistes. C’est très choquant, il faut arrêter avec ce type de vocabulaire. C’est insupportable parce que c’est un débat démocratique important et il faut que les démocrates puissent s’en saisir paisiblement, mais clairement aussi.

C’est le fond de la question?

Oui, il s’agit d’un débat fondamental sur lequel les citoyens attendent des réponses et dont les politiques, souvent, se détournent par lâcheté. Les rares qui s’y risquent, soit ils ne partagent pas du tout les valeurs démocratiques, soit ils se font agresser. En ce qui me concerne, je pense pourtant toujours tenir des propos qui me paraissent très modérés.

Concernant la nomination d’Ihsane Haouach?

Concernant cette dame et la position qu’elle occupe en tant que commissaire du gouvernement auprès de l’Institut pour l’égalité hommes-femmes, je m’interroge effectivement sur ses capacités à remplir la fonction. Le dernier incident en date me conforte dans cette inquiétude puisque l’on apprend qu’elle a tenu, il y a un an, des propos extrêmement communautaristes dans le cadre d’un rapport sur les femmes musulmanes, se plaignant même que les musulmans votaient pour des élus qui ne défendaient pas assez la cause musulmane, et faisant directement le lien entre voile et islam, alors qu’elle prétend le contraire aujourd’hui.

Elle aurait parlé de la nécessité d’un « lobby musulman ».

Oui, c’est ça, pour défendre les intérêts des musulmans, c’est-à-dire l’abattage rituel, le voile et la religion. Plus grave que ça, cette interview, qui fait tache aujourd’hui, a été maquillée, transformée: il y a un faux qui a été établi. Cela m’inquiète. J’entends encore les paroles du Premier ministre affirmant qu’elle a un CV en béton. Il n’est pas si « en béton » que ça, visiblement.

Alexander De Croo avait affirmé cela lors de la première mise en doute de sa nomination.

A la Chambre, oui. Dans une interview le week-end dernier, madame Haouach affirmait aussi que la neutralité était une notion qui doit évoluer avec la démographie. Il faut que la ministre s’explique à ce sujet, parce que la neutralité est précisément là pour défendre les minorités et pour défendre toutes les composantes de la population, pas une composante qui pourrait, à un moment donné, revendiquer plus de droits que d’autres parce qu’elle serait plus importante que d’autres.

Ce serait une remise en cause de valeurs fondamentales à la démocratie?

Exactement. Je trouve que tout cela fait beaucoup. Et je n’admets pas que l’on dise que l’on s’attaque à une personne: non, on s’interroge sur des principes fondamentaux qui soutiennent des valeurs essentielles dans nos démocraties et qui font que chacun se sent respecté dans nos sociétés.

Lire aussi: Interdiction du voile: sauver la neutralité, c’est arrêter de faire croire qu’elle n’est pas à négocier

Ihsane Haouach a affirmé dans un post Facebook, publié mercredi en fin de journée, son attachement à la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Cela change votre point de vue?

Non, cela ne change pas fondamentalement mes inquiétudes. Quand elle prône, par exemple, une neutralité inclusive et affirme que ce principe engendre des discriminations, elle contredit la Cour constitutionnelle qui a notamment rappelé l’été dernier que les hautes écoles avaient parfaitement le droit d’interdire le voile. Quand on vient à avoir des discours qui contredisent la plus haute cour de l’Etat, cela pose problème.

Je n’aime d’ailleurs pas ces mots de neutralité ‘exclusive’ et ‘inclusive’, ce sont des notions tout à fait étranges qui viennent troubler la pensée et qui permettent de stigmatiser ceux qui sont pour une neutralité complète, y compris d’apparence. Moi, je ne comprends pas comment on peut avoir une apparence qui d’emblée traduit les opinions, les croyances, tout en prétendant que l’on reste neutre.

Je trouve donc que les questions doivent pour être poser à la ministre.

Vous attendez qu’elle pose un geste? Retirer sa nomination?

J’attendrai sa réponse, mais je ne peux pas imaginer que l’on en reste là. Je ne peux pas imaginer un discours affirmant que l’on s’attaque à quelqu’un: non, on a maintenant une série d’éléments montrant qu’il y a un vrai problème dans la fonction qu’occupe cette dame. Elle est là comme commissaire de gouvernement, c’est une fonction politique où elle représente le gouvernement et où elle veille à ce que cet institut mette en oeuvre ses missions conformément à la loi. J’ai un peu de mal à imaginer comment elle pourra le faire avec tout ce passif.

Pensez-vous qu’il y a des liens avec les Frères musulmans, comme le prétendent certains? Est-ce l’expression d’un islam militant?

C’est ma crainte, je ne le vous cache pas. Je sais en tout cas qu’elle a participé à des réunions d’une association féminine considérée effectivement par les services allemands comme faisant partie de la mouvance des Frères musulmans. Je ne sais pas ce qu’en pensent nos propres services de renseignement. Mais en tout cas, je retrouve des éléments de langage que l’on retrouve chez les Frères musulmans, une espèce d’inversion systématique du sens.

Ceux qui se battent pour les droits des femmes deviennent ‘sexistes’, ceux qui se battent contre le communautarisme deviennent ‘racistes’, les démocrates qui se battent pour une vision universaliste sont taxés de ‘racistes’ et d »islamophobes’. Je trouve ça insupportable. Il faut arrêter parce qu’il y a une accélération aujourd’hui de ce type de langage qui cherche à disqualifier, derrière certains démocrates, la démocratie en tant que telle. Cela me paraît très dangereux, je ne peux pas accepter que l’on tolère ça longtemps. Il y a là une violence à l’encontre des démocrates, une diffamation, il faut faire attention, vraiment.

Derrière ça, un parti comme Ecolo est-il laxiste? Il a soutenu cette nomination, il prône une diversité inclusive suite à l’arrêt du tribunal du travail à Bruxelles…

A ce stade-ci, je ne sais pas quelle est la part de naïveté, la part d’inconscience ou de clientélisme dans tout cela. Je veux simplement dire que l’on joue avec le feu. On est train de construire les bases d’une société où chacun se vivra comme une communauté exclusive, où l’on se sentira tous les victimes les uns des autres, où on fera de moins en moins société tous ensemble comme citoyens responsables. J’appelle vraiment tous les démocrates à ouvrir les yeux sur ce qui est en train de se passer. La Belgique est un pays où il faut bon vivre, où chacun se respecte, c’est un pays de grande générosité, de capacité à vivre dans la diversité, cela doit continuer à être fondé sur base de principes où nous sommes tous des citoyens égaux.

Quand madame Haouach s’inquiète que l’on ne défende pas suffisamment des musulmans, elle ne parle pas du travail ou des droits sociaux, elle défend visiblement des marqueurs identitaires et religieux, qui primeraient sur tout le reste. Oui, cela m’inquiète que l’on confie à des personnes comme ça des missions importantes.

Faut-il légiférer pour éviter ou est-ce un problème culturel à résoudre, au sein des partis?

Je ne crois pas que l’on a besoin de loi supplémentaire. J’entends certains qui veulent inscrire le principe de laïcité dans la Constitution: en France, c’est le cas, cela n’empêche pas d’avoir des difficultés aussi. Je pense que c’est une question d’état d’esprit. Parfois, les sociétés dérivent un peu sur le plan moral, il y a une forme d’incapacité à voir le réel. Il faut toujours être capable de défendre nos valeurs démocratiques, de voir qui sont les vrais fascistes, qui sont les vrais extrémistes et, au contraire, ceux qui nous montrent du doigt.

C’est ce que je veux dire à la secrétaire d’Etat: attention! Vous savez, j’ai fait l’objet d’attaques extrêmement violentes du CCIB (Collectif Contre l’Islamophobie en Belgique) qui m’a traité de raciste, d’extrémiste, d’islamophobe et qui a même été jusqu’à dire que je devais être sanctionné et que j’avais dépassé les limites de la liberté d’expression. Voilà une association qui est censée lutter contre les discriminations et qui veut exclure un élu démocrate pour la simple raison qu’il manifeste, de façon mesurée, son inquiétude sur certaines dérives d’un islam radical. C’est très inquiétant, parce que cette association est financée par des fonds publics, par la secrétaire d’Etat Schiltz. Or, elle fait clairement, elle, des incitations à la haine. Elle tient des propos outranciers et elle n’est pas sanctionnée.

Je suis très inquiet de ces dérives. Nous devons nous prémunir contre ces nouveaux ennemis de la démocratie.

Qui avancent cachés?

Oui, qui avancent avec le langage et les oripeaux des démocrates. Et qui avancent sur un terrain qui fragilise et attaque la démocratie. Il ne faut pas se laisser abuser par ces personnes et par ces associations. Nous avons l’habitude d’être très ouverts à toutes les idées et très généreux, mais je pense que là, il y a un danger réel.

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