Les étudiants doivent s'attendre à une rentrée complexe et inédite. © BELGAIMAGE

Enseignement supérieur et rentrée académique : retour à l’anormal

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Ce 14 septembre, six mois après avoir fermé leurs campus, les universités et les hautes écoles sont prêtes à accueillir leurs étudiants en présentiel. Ce faisant, elles inventent l’enseignement de demain… sans moyens supplémentaires.

« Masque, mains, distance. » La ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Glatigny (MR), a mis à jour son protocole sanitaire, sans exclure des ajustements ultérieurs.

Le document varie peu par rapport à celui daté du 29 juin dernier et communiqué aux établissements. Le port du masque y était recommandé, sans être pour autant imposé si la distanciation physique d’un mètre et demi était assurée. Maintenant, il n’y est plus question de le conseiller. Désormais, partout, dans tous les espaces clos (auditoires, labos, bibliothèques, salles d’étude, couloirs…), le masque est obligatoire pour tous, à l’instar des élèves du secondaire. En milieu extérieur, ce sont les règles du Conseil national de sécurité (CNS) ou celles des communes qui s’appliquent. Les étudiants doivent en tout temps respecter une distance physique d’un mètre minimum.

Au-dessus de 50 personnes, dans un auditoire, par exemple, c’est port du masque et un siège libre sur deux. Il faut aussi organiser les allées dans les couloirs à sens unique, assurer l’aération des bâtiments, garantir le nettoyage et la désinfection des locaux et matériels.

Enfin, les campus doivent limiter les effectifs sur leurs sites à 75%, pour éviter des croisements et des regroupements trop importants. Voilà, en résumé, les consignes sanitaires à respecter à la rentrée. Chaque université peut évidemment mettre en place des modalités supplémentaires. Ainsi, l’ULiège va plus loin, en proposant chaque semaine, à partir du 14 septembre, des tests salivaires réguliers et massifs au sein de la communauté universitaire. Pour son recteur, Pierre Wolper, « l’outil est utile pour adapter les règles de fonctionnement de l’université ».

La période aura au moins amené la communauté enseignante à prendre conscience qu’on peut enseigner et évaluer différemment.

La volonté de la ministre comme celle des directeurs de l’enseignement supérieur est très claire : en auditoire, le plus possible, et idéalement cinq jours par semaine – quand, à l’opposé, en Grande-Bretagne, au Canada et aux Etats-Unis, par exemple, plusieurs grandes universités livreront leurs cours exclusivement en ligne jusqu’à l’été 2021.

Du coup, l’annonce du port du masque obligatoire et des règles sanitaires n’a pas surpris grand monde.

« Heureusement, nous avons oeuvré avant de recevoir cette circulaire », commente Vincent Blondel, recteur de l’UCLouvain, qui s’estime prêt à parer toute éventualité. Son académie, comme les cinq autres, a conçu quatre scénarios » prêts à l’emploi « en fonction de l’épidémie, schématisés selon des couleurs allant du vert (présentiel intégral) au rouge (distanciel intégral). « Nous ne vivons plus une crise à gérer dans une urgence permanente comme celle de l’année scolaire précédente. Nous sommes, cette fois, dans des dispositifs préparés et durables« , poursuit le recteur louvaniste.

« Nous avons fait ce qu’il faut. Mais nous sommes bien conscients que le virus va être, de toute façon, présent sur les campus. Nous ne devons pas imaginer que nous n’aurons pas de cas« , avance de son côté Yvon Englert, recteur sortant de l’ULB.

La distanciation physique sera de rigueur, avec des incidences sur les capacités d'accueil.
La distanciation physique sera de rigueur, avec des incidences sur les capacités d’accueil.© BELGAIMAGE

Tous les établissements ont adapté leur protocole sanitaire en fonction. Mais la mise en musique promet un casse-tête dans des institutions habituées à accueillir des centaines d’étudiants en amphithéâtres. Chez les directeurs, on parle déjà d’une rentrée « atypique », « complexe », « inédite ». « La plus normale possible », espère- t-on aussi.

En pratique, la plupart d’entre eux ont préparé une rentrée « hybride », selon les locaux, les enseignants, les disciplines. C’est-à-dire, pour la grande majorité des facultés, 60% à 80% des cours en présentiel et 20% à 40% à distance – qui peuvent être suivis en direct (classe virtuelle) ou enregistrés par un enseignant pour être consultés en différé. Les travaux dirigés et les laboratoires, logiquement en effectifs réduits, auront lieu sur place, avec un masque en permanence.

« Evidemment, nous souhaitons faire revenir les étudiants le plus largement possible en présentiel. Mais il s’agira principalement d’un présentiel modulé, avec une partie à distance. Notre capacité d’accueil reste limitée par nos effectifs et par nos locaux. On ne peut pas pousser les murs », reconnaît Pierre Wolper.

Pour rendre le traçage efficace, en cas de sujets positifs ou de microfoyer épidémique sur les campus, les établissements ont segmenté les auditoires. Ainsi, chaque semaine, l’étudiant doit occuper la même allée qui lui aura été attribuée selon un code couleur. Dans les petites structures, il doit s’installer au même banc.

Mais une règle promet, assurément, une rentrée aux multiples visages selon les institutions : celle de la distanciation physique dans les salles d’enseignement. Son application est cruciale, puisqu’elle a pour incidence la possibilité d’accueillir ou non l’ensemble des étudiants en chair et en os, sur site.

Certaines configurations se révèlent défavorables et, selon les mètres carrés, la distanciation peut avoir des conséquences radicales. A la haute école provinciale Condorcet, à Marcinelle, l’option a été de diviser en quatre groupes les 1.200 étudiants. Ceux-ci viendront seulement une semaine sur deux et chaque noyau n’aura que trois heures de cours par jour. L’école n’a pas d’autre choix, étant une petite infrastructure dont les classes ressemblent davantage à celles d’un lycée. Les règles sanitaires imposent d’ailleurs la désinfection des locaux toutes les trois heures. A Condorcet, comme dans d’autres établissements, aucun renforcement de l’équipe de nettoyage n’est prévu. Ce qui limite, de fait, l’exploitation des salles de cours.

A la haute école Robert Schuman, à Libramont, où une place sur deux est condamnée et où le nombre de classes n’est pas suffisant pour respecter les contraintes sanitaires, on a choisi de donner la priorité en présentiel aux cours pratiques, tandis que les cours magistraux seront à suivre totalement depuis son ordinateur.

Travaux dirigés: en effectifs réduits et avec le masque en permanence.
Travaux dirigés: en effectifs réduits et avec le masque en permanence.© BELGAIMAGE

Evaluation continue

« Cette expérience va enrichir notre pédagogie », affirme Pierre Wolper. Pour se préparer à cette rentrée particulière, nombre d’établissements s’inspirent du pre-read. En amont de chaque cours, l’étudiant reçoit un pre-read qui lui permet d’appréhender les notions fondamentales de la leçon : il s’agit de concevoir des cursus en mode « classe inversée ». La salle de cours, réelle ou virtuelle, sert aux discussions, aux travaux pratiques, en petits groupes. Il s’agit aussi de réaliser des capsules vidéos, des podcasts, des serious games… « Chaque professeur décide parmi les outils et les logiciels que nous mettons à leur disposition ceux qu’il utilise », explique Vincent Blondel.

A terme, on érode la qualité de l’encadrement et de l’enseignement.

Loin de mettre fin aux cours en présentiel, cette irruption massive du numérique dans l’enseignement supérieur est en passe d’affaiblir le cours magistral, vertical et à heure fixe tel qu’il existe à l’université depuis des décennies. Si certains professeurs sont plus convaincus que d’autres, « la période aura au moins amené la communauté enseignante à prendre conscience qu’on peut enseigner et évaluer différemment » , résume Vincent Blondel.

A l’UCLouvain et à l’ULB, le mode d’évaluation sera également revu, avec une place accrue pour le contrôle continu, par le biais de travaux pratiques, de labos, les expériences sur le terrain. « C’est une technique parmi d’autres pour accrocher les étudiants aux programmes et éviter qu’ils décrochent », souligne Yvon Englert.

L'extension du numérique est en passe d'affaiblir le cours magistral et à heure fixe.
L’extension du numérique est en passe d’affaiblir le cours magistral et à heure fixe.© BELGAIMAGE

Un coût élevé

La secousse pédagogique n’est pas le seul effet à long terme de la crise. Le Covid-19 nécessite des dépenses inattendues et des investissements massifs. Durant le confinement, les universités et les hautes écoles ont dû ainsi déployer des aides sociales pour leurs étudiants. « Des jeunes bricolent pour vivre, entre une bourse, un petit job, un stage… Quand on retire un seul élément de cet équilibre, tout s’écroule », pointe Yvon Englert.

Problème de logement, de wifi, manque de matériel… Le confinement est venu renforcer les inégalités de conditions d’études d’habitude gommées en partie par l’accès à un lieu d’enseignement commun.

« Nous avons pris énormément de dispositions pour soutenir nos étudiants : salles d’étude, aides sociales en matière de logement, pour ceux qui ont perdu leur job étudiant ou encore pour l’achat ou le prêt d’ordinateurs… Tout cela se chiffre à 2 millions d’euros« , avance Vincent Blondel. Pour répondre à ces situations, 2.285.000 euros ont été débloqués, en avril, par Valérie Glatigny. « L’UCLouvain a reçu 300.000 euros. Bien sûr, ils sont les bienvenus, mais ils ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. »

La crise a aussi contraint les universités et les hautes écoles à mettre en place de nouveaux outils numériques, à équiper, à former leurs personnels et à en recruter des nouveaux. Un surcoût qu’elles n’avaient pas budgété en 2019 et qui creuse un trou de 500.000 euros à cinq millions, selon la taille de l’établissement. « C’est très compliqué. Cela fait plusieurs rentrées que le système doit absorber une hausse des étudiants à moyens constants », signale Pierre Wolper. Depuis deux décennies, les universités, surtout, engrangent moins de revenus par étudiant : une baisse de la dotation moyenne estimée, en 2018, à 20% dans un volume budgétaire inchangé. C’était, donc, il y a deux ans et, depuis, les effectifs ont encore crûw.

Un défi de taille alors qu’un afflux des effectifs apparaît, pour l’instant, historique : dans toutes les universités francophones, on note une hausse soudaine des inscriptions en Bac. Ce que nul n’a anticipé et ne peut décrypter. Il y a sans doute des taux de réussite exceptionnels en rhéto, des jeunes qui renoncent à une année sabbatique ou à un séjour à l’étranger, d’autres encore qui se détournent d’un cursus en haute école et se dirigent vers l’université. D’autant plus avec la crise économique qui s’annonce, rendant difficile une entrée immédiate sur le marché du travail.

La question n’est pas nouvelle pour les facs. Les universitaires, qui n’ont cessé de tirer la sonnette d’alarme, répètent être « au bout » de leurs capacités. La cinquantaine de millions d’euros prévue, à l’horizon 2024, par le gouvernement pour refinancer l’enseignement supérieur est « absolument indispensable », mais très, très en dessous des 150 millions réclamés par les universitaires. « A terme, on érode la qualité de l’encadrement et de l’enseignement », conclut Vincent Blondel. Même ressenti d’Yvon Englert : « Mais, pour le moment, c’est le temps de l’action, ce n’est pas encore le temps des comptes. »

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