Emmanuel André © Belga

Emmanuel André : « Il fallait quelqu’un pour ruer dans les brancards »

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Le virologue Emmanuel André renonce à son poste de coordinateur des opérations de traçage du coronavirus. Il revient pour LeVif.be sur les raisons de sa démission, sur la gestion de la crise et sur ses projets futurs.

Selon vous, le terme « démission  » n’est pas correct.

Non, je parlerais plutôt d’un passage de flambeau. J’ai prêté ma force et mon expertise pendant l’épidémie, de façon tout à fait bénévole, en plus de mes activités à l’université. J’ai rendu service dans un rôle de catalyseur dans la phase de démarrage du « tracing » pour faire avancer les gros dossiers avec les autres acteurs concernés. C’était un boulot intense, qui m’a demandé beaucoup d’énergie, parfois jusqu’à 17h par jour au plus fort de l’épidémie. J’ai discuté avec des médecins, du personnel de labos, des témoins de la crise … cela engendre beaucoup de fatigue et de stress. Je considère que la fin de ma mission est maintenant arrivée. Je suis avant tout un scientifique, pas un fonctionnaire de l’Etat. Ce ne serait d’ailleurs pas normal que cette mission soit gérée entièrement par des experts académiques. Je ne veux pas dénaturer ma fonction, ma place est avant tout à l’hôpital, un rôle que j’ai dû mettre de côté pendant l’épidémie.

Certains vous reprochent de jeter l’éponge trop tôt, que leur répondez-vous ?

Je considère que ma mission est arrivée à sa fin, mais cela ne veut certainement pas dire que je me désintéresse du « tracing » que j’ai mis sur les rails. Sa mise en oeuvre n’est évidemment pas terminée. Elle a bien démarré avec la mise en place des call centers et de la base de données pour la surveillance de l’épidémie. L’application de traçage des personnes contaminées est aussi techniquement mise sur pied. Je n’ai pas une fonction de management, ma mission était d’innover, de créer pas de faire de la gestion de la santé publique. Il faut maintenant que les politiques récupèrent leur place.

Emmanuel André
Emmanuel André© BELGA

Quelles étaient vos relations avec les politiques ?

Il est clair qu’il y a eu énormément de discussions avec les différents cabinets impliqués, que ce soit avec le ministre De Backer en charge du matériel pour lutter contre le coronavirus, de la ministre de la Santé De Block ou encore de l’Institut de Santé publique Sciensano. Je me suis plutôt vu comme un « supermanager » pour déclencher les choses et décrisper les gens qui se regardaient en chiens de faïence. Il fallait quelqu’un pour ruer dans les brancards. Tout cela est dû, aussi, à la structure complexe et absurde de la Belgique. La prévention de la santé est du ressort des entités fédérées. Cela demande déjà énormément d’énergie pour passer au travers de ces difficultés régionales dans une telle situation de crise.

Quand l’app’ de tracing pourrait-elle être prête?

Techniquement, l’architecture de l’application est prête. Elle devra avant tout être respectueuse de la vie privée, un aspect qui me tient particulièrement à coeur. Elle sera couplée aux call-centers déjà mis en place. Elle devra aussi être interopérable avec d’autres systèmes en Europe. Il faut encore que le cadre juridique soit défini. On attend aussi un accord de coopération formel entre les régions. Elle pourrait être opérationnelle dans 2 à 3 semaines.

Je me suis plutôt vu comme un « supermanager » pour déclencher les choses et décrisper les gens qui se regardaient en chiens de faïence.

Votre grande visibilité médiatique, n’est-ce pas trop de pression ?

C’est sûr, il y a pour moi un avant et un après confinement. J’ai été beaucoup exposé dans les médias, ce que je n’avais pas forcément choisi. Ca aurait très bien pu être quelqu’un d’autre. Mais que les choses soient claires, je n’ai aucune envie de me lancer en politique. Je voudrais plutôt profiter de ma visibilité et de ma notoriété actuelle pour faire passer des messages de société importants, être une des voix du débat scientifique.

Vous travaillez sur un vaccin dans votre labo de la KULeuven

Dès le début de l’épidémie, on avait en effet annoncé travailler sur un vaccin contre le coronavirus dans notre laboratoire ici, à la KULeuven. Je ne peux pas encore en dire beaucoup pour le moment, mais on avance bien. C’est aussi la raison pour laquelle je me retire en tant que coordinateur « testing & tracing », je sens que ma place à l’heure actuelle est avec mes collègues, pour travailler sur ce vaccin. Pour moi, la boucle est bouclée.

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