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« Dès que la pression sur le système de santé disparaît, on rend la liberté aux gens »

Jeroen De Preter Rédacteur Knack

La vaccination des personnes les plus vulnérables mettra-t-elle fin à la pression sur notre système de santé? Et les portes du royaume de la Liberté s’ouvriront-elles? D’ici-là, le gouvernement sera confronté à une série de dilemmes compliqués.

Quel est le bon moment pour lever un confinement ? Pour les adeptes de la stratégie zéro Covid, c’est une question simple. Pour eux, on ne peut assouplir qu’une fois que plus aucun habitant n’est contaminé. Cette stratégie, raisonnent-ils, a fonctionné en Nouvelle-Zélande, en Australie, et en Chine, donc pourquoi ne fonctionnerait-elle pas en Belgique ?

L’épidémiologiste et médecin Luc Bonneux donne une réponse claire. « Nous l’avons peut-être un peu oublié, mais jusqu’à nouvel ordre la Belgique est une démocratie. Une démocratie où en plus il y a beaucoup d’étrangers. Je n’ai qu’un mot pour l’idée qu’on puisse éradiquer ce virus dans un pays comme la Belgique : ridicule. En réalité, nous n’avons qu’une seule option. On prend des mesures pour que le système de santé ne soit pas trop mis sous pression. Et dès que la pression sur ce système disparaît, on rend la liberté aux gens. Il ne fait pas de doute que certaines personnes tomberont gravement malades, se retrouveront en soins intensifs et mourront. C’est très grave, mais il n’y a pas de vie sans risque. »

La semaine dernière, l’Ethikrat allemand a rendu le même avis. Pour ce conseil d’éthique, les infractions poussées de nos droits fondamentaux se justifient uniquement s’il est question d’une surcharge de notre système de santé. Dès qu’il n’y a plus cette surcharge, les restrictions de la liberté doivent aussi disparaître, y compris pour les personnes qui ne sont pas vaccinées. Par ailleurs, le conseil affirme que ce n’est pas le nombre de contaminations, mais la diminution du nombre d’hospitalisations et le nombre de décès doivent être utilisés comme critère principal.

Pression acceptable sur les hôpitaux

Les mois à venir, on risque de se chamailler au sujet de ces critères. Dans notre pays, Sciensano impose le « seuil d’assouplissement » à moins de 75 hospitalisations et moins de 800 nouvelles contaminations par jour, et cela pour une durée de trois semaines. Le nombre de contaminations – aujourd’hui près de trois fois plus élevé que ce seuil – est relatif, et peut fortement fluctuer en fonction du nombre de tests.

C’est pour cette raison que Luc Bonneuex estime que le nombre d’hospitalisations – aujourd’hui autour de 120 – est le seul chiffre vraiment pertinent. « On l’oublie parfois, en partie à cause du grand nombre de virologues dans les conseils d’avis, mais l’objectif de toutes ces mesures a toujours été de maintenir une pression acceptable sur les hôpitaux. Nous avons décidé il y a déjà quelque temps que moins de 75 hospitalisations par jour est un nombre acceptable. Si vous voulez garder une certaine adhésion, il me semble intelligent de ne pas changer cette règle une fois que la fin est en vue. »

Bonneux est assez optimiste au sujet de cette fin. « L’immunité parmi la population a fortement augmenté, de plus en plus de personnes vulnérables sont vaccinées, et le printemps arrive. Je m’attends à ce que cette épidémie soit terminée en mai et que nous puissions reprendre notre vie d’avant. Évidemment, je n’exclus pas que le nouveau variant vienne tout gâcher, mais je ne l’estime pas très probable. Les mutants sont souvent plus contagieux, mais généralement ils sont moins mortels. »

Le virologue Marc Van Ranst (KuLeuven) préfère éviter les prédictions précises. « L’avenir est particulièrement difficile à prédire quand il est encore devant nous. Cependant, on peut s’attendre à ce que l’on soit bientôt sous cette barre de 75 hospitalisations. De plus en plus de personnes vulnérables sont vaccinées, et les meilleures conditions météorologiques joueront en notre faveur, comme lors de la première vague. Si la pression sur les hôpitaux s’en trouve allégée, nous nous retrouverons dans un autre monde. C’est un monde où les mesures telles que nous les connaissons aujourd’hui ne sont plus proportionnelles, et où il faut assouplir pas à pas. »

Les chimpanzés

Les mesures restrictives pour les jeunes et les enfants, tweetait Luc Bonneux la semaine dernière, « ne servent pas à les protéger, mais à protéger les personnes âgées vulnérables. Si ces dernières ne sont plus vulnérables, le nombre d’hospitalisations baisse, et nous devons leur rendre leur liberté. Immédiatement. »

Bonneux partage toujours cet avis. « Les gens, et surtout les plus jeunes, sont des chimpanzés sociaux. Sans amis, ils ne sont personne. On dirait que certains responsables oublient que ce que c’est d’être jeune. On ne leur retire pas ce contact humain impunément. »

La proposition de Bonneux de rendre leur liberté aux jeunes dès que les personnes vulnérables sont vaccinées, ne semble pas sans risque. Les jeunes gens infectés ne tombent généralement pas gravement malade, mais ils propagent la maladie. Cela signifie que le nombre d’infections est susceptible d’augmenter à nouveau. Il est plus que probable qu’une telle mesure créerait principalement des victimes dans la tranche d’âge qui, au moins jusqu’en juin, se situera entre les deux: trop âgée pour ne pas tomber malade, trop jeune pour avoir déjà reçu une piqûre. C’est vrai », dit Bonneux. Mais le risque n’est pas très grand. Oui, à l’âge moyen – dans la cinquantaine et le début de la soixantaine – ce risque commence à augmenter quelque peu. Un certain nombre de ces patients se retrouveront en soins intensifs, mais les chiffres ne seront pas dramatiques. On peut s’attendre à des effets comparables à d’autres maladies, pour lesquelles nous n’avons jamais pris de telles mesures. »

La proposition de Bonneux de rendre leur liberté aux jeunes est liée à un autre problème. Comme Marc Van Ranst l’a déjà fait remarquer : jusqu’à quand quelqu’un est-il jeune ? Et peut-on vraiment diviser une société en personnes libres et en personnes non libres ? Ce n’est pas possible », dit Bonneux. « Mais en tant que gouvernement, vous pouvez faire appel au bon sens de la majorité. Il ne semble pas si difficile d’expliquer à la génération plus âgée qu’elle doit faire profil bas. Pour les personnes un peu plus âgées comme moi, c’est beaucoup plus facile que pour les jeunes. »

C’est l’une des raisons pour lesquelles le groupe d’experts Psychologie et corona a suggéré que la vaccination ne devrait pas être basée sur l’âge. « Nous pensons qu’il est préférable de ne pas imposer un ordre d’âge pour la vaccination de la population générale », estime le professeur en psychologie Maarten Vansteenkiste (Université de Gand). « Ainsi, les personnes les plus motivées seront les premières à se faire vacciner et vous pourrez renforcer l’immunité dans différentes couches de la population. En même temps, l’enthousiasme de ce groupe motivé peut rendre la vaccination plus normative, ce qui, en fin de compte, convaincra les moins motivés. »

Pour l’instant, Marc Van Ranst ne se préoccupe guère de l’ordre de la vaccination générale. « Le contexte sera complètement différent », dit-il. « Si les entreprises pharmaceutiques tiennent leurs promesses, nous aurons un excédent de vaccins en juin. À ce moment-là, on pourra vraiment accélérer les choses et vacciner à grande échelle, jour et nuit. Cela ne fera pas beaucoup de différence de savoir qui vient quand, et nous éviterons les discussions complexes et conflictuelles sur les professions essentielles et moins essentielles. »

Vacciner la nuit ?

Pour l’instant vacciner la nuit, n’est pas à l’ordre jour, déclare Stéphanie Wilmet, la porte-parole de la ministre de la Santé wallonne Christie Morraele. « Lors de la phase de la vaccination de la population générale prévue en juin, mais sous réserve de la livraison des vaccins, les centres de vaccination seront ouverts entre 8 et 15 heures par jour, six jours sur sept. »

Si cela s’avère nécessaire, la stratégie sera réévaluée et les centres de vaccination seront ouverts le dimanche, mais il est très peu probable qu’ils le soient après 22 heures. « Il n’y aura probablement pas beaucoup de personnes qui souhaiteront se faire vacciner la nuit, et nous ne voulons pas mettre le personnel soignant inutilement à contribution », explique la porte-parole de la ministre.

CB

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