Lors d'une manifestation à Namur, en septembre 2020. © Belga

Covid: le risque de la fatigue démocratique (analyse)

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

En Belgique, comme dans les pays voisins, la lassitude des mesures restrictives ne cesse de croître et nourrit des courants antidémocratiques. Une « dictature sanitaire »? Non, mais attention à la rupture de confiance.

Cela fait près d’un an que la Belgique, comme tous les pays européens, est sous l’emprise de restrictions sanitaires pour tenter d’endiguer la crise du coronavirus. La lassitude est grande et s’exprime de plus en plus, à travers des cartes blanches, des collectifs, voire des appels à manifester. Aux Pays-Bas, cela a donné lieu à des expressions violentes, bien qu’infiltrées par des casseurs et forcément multicauses. En Belgique, on craint des dérapages similaires.

Politiquement, des signaux d’alerte se font jour. Comme si le risque d’une rupture démocratique était réel. En France, un sondage donne l’extrême droite en tête à la prochaine présidentielle, tandis qu’elle vient de grimper aux élections au Potugal et que le Vlaams Belang, en Flandre, caracole en tête des intentions de votes.

En « une » de son édition du 28 janvier, le quotidien français Le Monde publiait un éditorial intitulé « le risque de la fatigue démocratique ». Cela vaut chez nous aussi, pour au moins cinq raisons.

1 L’absence d’un débat démocratique sur les mesures. Les restrictions des libertés décidées à rythme régulier se justifient par la situation sanitaire. A plusieurs reprises, le Conseil d’Etat a confirmé la proportionnalité des interdictions par rapport à la menace, mais les digues se fracturent: en témoigne cet arrêt d’un tribunal de police jugeant les sanctions contre le port du masque « anticonstitutionnelles ». Tout est en outre décidé via des arrêtes ministériels, alors que les « pouvoirs spéciaux » qui avaient été octroyés au gouvernement Wilmès, ne sont pourtant plus de mise. Une « loi pandémies » doit être élaborée, le gouvernement De Croo s’y engage, mais le processus prendra du temps et, en l’état, le parlement n’a quasiment rien à dire au sujet de ce qui est décidé. Et c’est peu dire que la population assiste, d’une semaine à l’autre, à la gestion de sa vie par les aurorités, dans toutes ses dimensions, y compris les plus intimes: du jamais vu! La nouvelle interdiction de voyager, jusqu’au 1er mars, bouche en outre les horizons, encore.

2 Le manque de perspectives pour tous, les jeunes en tête. C’est la grande préoccupation qui monte, pour le moment: la population souffre dans son ensemble des mesures, mais ce sont les jeunes qui en pâtissent le plus. On ne leur donne quasiment pas la parole, ils commencent à s’exprimer par des textes pour « implorer qu’on les écoute », mais les perspectives ne sont guère réjoussiantes. « C’est un âge où l’on aime fleurter avec les libertés, mais pour eux, c’est ‘visio’ toute la journée et détente dans leur chambre le samedi soir », résumait le député Patrick Prévot (PS), à la Chambre. « Personne ne peut prétendre qu’il y a des réponses faciles à apporter », disait le Premier ministre à cette occasion. C’est vrai, mais de petits aménagements concernant les activités extra-scolaires ne suffisent pas. Le roi Philippe appelait dans son discours aux autorités du pays à « transformer les défis en opportunités »: c’est le grand enjeu des semaines à venir, pour ne pas enfanter une génération perdue!

3 Les querelles avec les experts. La légitimité de la décision politique est fragile en cette ère de pandémie, mais les experts ont, pour leur part, pris une place importante au sein de notre démocratie. Démesurée? Certains sont de plus en plus enclins à l’affirmer, surtout lorsque le ministre fédéral de la Santé, Frank Vandenbroucke (SP.A), opte pour une approche très prudente, en écoutant prioritairement les experts les plus « alarmistes », Marc Van Ranst en tête. Ce jeudi, un « clash » spectaculaire a eu lieu entre ledit Marc Van Ranst et Georges-Louis Bouchez, président du MR, au sujet de la réouverture des coiffeurs, en suspens pour le 13 février, mais que l’expert jugeait déjà morte et enterrée. Entre experts aussi, cela fulmine: l’épidémiologiste Yves Coppieters (ULB) a vertement sermonné son collège microbiologiste Emmanuel André (KUL), qui évoquait une rapport « alarmant » au sujet du variant britannique et menaçait d’un reconfinement si on n’agit pas plus fortement. Ces expressions, aujourd’hui, deviennent de plus en plus difficiles à entendre hors des moments d’évaluation prévus à cet effet, au sein du Comité de concertation.

4 Un moment particulièrement délicat. Le risque de la fatigue démocratique s’explique aussi, évidemment, par le moment: un an de restrictions des libertés, c’est très long, et le « bout du tunnel » donne l’impression de s’éloigner sans cesse. La campagne de vaccination devait être la lumière tant attendue, elle pourrait encore l’être, mais les retards endurés à cause des livraisons des sociétés pharmaceutiques se conjugue avec cette menace diffuse de variants encore partiellement méconnus. S’ajoute à cela le risque de faillites en cascade, prochainement, et un équilibre toujours plus compliqué à préserver entre la santé, l’économie et le bien-être.

5 Les critiques au sujet de la gestion belge. Last but not least, chez nous, une forme d’exaspération latente s’exprime depuis le début de la crise sur la gestion de celle-ci par les autorités. Il y avait eu la saga des masques, dantesques, avec l’absence de moyens de protections, le stock stratégique éliminé et la nécessité de recourir à des productions artisanales. Il y a eu la saga des tests, avec une diffficulté à en augmenter rapidement le nombre, le débat sur les tests rapides ou le traçage chaotique alors qu’il s’agit du moyen le plus sûr de freiner l’épidémie. Il y a désormais cette saga de la vaccination, dont le retard initial a dérangé, avant que l’accélération ne soit à son tour retardée par les livraisons. C’est comme si rien ne nous était épargné et cela accroît la fatigue. Alors que la pandémie s’éternise.

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