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Coronavirus: pourquoi la Belgique ne communique pas les sources d’infection ?

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Dans quel endroit avons-nous le plus de risque d’être contaminés par le coronavirus ? Si nos pays voisins détaillent les lieux où des foyers ont été repérés, ce n’est pas le cas chez nous.

« On ne peut plus aller boire un verre, mais on peut toujours aller s’entasser dans le métro ». Ce constat a fait mouche sur les réseaux sociaux après l’annonce de fermeture des bars et des cafés bruxellois. C’est pourtant l’un des points importants dans la propagation de l’épidémie de coronavirus : les foyers de contamination, ou « clusters ». Bars, métro, lieu de travail, cellule familiale, école… où a-t-on le plus de risque d’être infecté, et surtout de participer malgré nous à sa propagation ?

La Belgique (encore) en ordre dispersé

Selon De Morgen, le gouvernement réclame depuis longtemps un tableau général, à l’échelle nationale, des sources d’infection. Ces données existent, elles sont collectées, mais de manière non centralisée, par les équipes régionales chargées du Covid-19. Mais ces informations ne sont toujours pas analysées, malgré la promesse de résultats rendus publics cette semaine.

Le Comité interfédéral Testing et Tracing, qui rassemble les résultats des recherches sur les sources et les clusters des différentes régions, n’est pas en mesure de fournir des chiffres concrets. Et encore moins pour tout le pays. « Des travaux sont actuellement en cours pour rassembler les chiffres de manière structurée. Mais nous ne pouvons malheureusement pas fixer de calendrier », déclare Carmen De Rudder, porte-parole au quotidien flamand. « La recherche sur les clusters bat son plein en ce moment. C’est pourquoi il y a moins de capacité à s’occuper d’analyse et de rapports. Nous y travaillons en attendant, mais des priorités doivent être fixées. »

« Il y a des données », a confirmé le porte-parole interfédéral flamand Steven Van Gucht. Cependant, « elles ne sont pas toujours complètes, ni centralisées. » Car le traçage des contacts d’une personne infectée est une compétence régionale.

Coronavirus: pourquoi la Belgique ne communique pas les sources d'infection ?
© Belga

Pas la priorité

De plus, la priorité du « contact tracing » a d’abord été mise sur la nécessité d’alerter les contacts rapprochés d’une personne porteuse du virus, plutôt que la recherche de la source d’une infection. La réaction immédiate plutôt qu’une vision à long terme pour éviter de futures propagations. « Nous progressons dans ce domaine, mais cela reste compliqué, notamment en raison de la législation relative à la vie privée. » Les experts se heurtent également au règlement général européen sur la protection des données (GDPR), qui limite l’accès à certaines informations.

Autoriser cet accès pour permettre aux épidémiologistes de travailler sur les données concernées « demanderait donc probablement une construction juridique », indique le porte-parole interfédéral francophone Yves Van Laethem.

Néanmoins, les autorités ne sont pas entièrement aveugles face aux lieux de propagation du coronavirus. « Dans les situations particulières où un foyer est identifié, la source de ce foyer est recherchée. Cela fait notamment partie du travail des médecins-inspecteurs d’hygiène » régionaux, ont exposé les porte-parole interfédéraux. Les données recueillies par ces professionnels sont disponibles, mais ne semblent à ce jour pas rendu publiques. « Elles ne représentent toutefois qu’une petite partie des contaminations« , a souligné Steven Van Gucht.

Des indices chez nos voisins

À l’instar du taux de positivité, disponible dans d’autres pays des mois avant que Sciensano ne se décide à le communiquer, les sources de foyers sont étudiées, et publiées, en Allemagne, aux Pays-Bas, ou encore en France.

Les Pays-Bas communiquent ainsi chaque semaine les situations les plus à risque. Pour les derniers chiffres, 59% dont la source a été identifiée ont été associés au domicile. Le travail représentait 13% et les contacts avec les autres membres de la famille 10,3%. Voir des amis ou connaissances (3,8%), aller au sport (3,7%) ou dans l’horeca (1,8%) représentait des risques plus faibles. En Allemagne, on apprend que les infections provenant du secteur privé sont en augmentation. On repère également des foyers plus précis, comme dans un abattoir, un centre de distribution ou mariage.

C’est un peu différent en France, mais les chiffres divulgués sont des clusters « en cours d’investigation ». Rien de précis, mais des indications importantes. On apprend notamment que ce sont le milieu scolaire et universitaire, surtout depuis la rentrée, les entreprises et les établissements de santé qui sont les plus visés. Suivent les évènements, publics ou privés, et le milieu familial élargi. Des statistiques qui étonnent les Français, chez qui la fermeture des bars a fait grand bruit, alors que cette donnée apparait comme était une source faible. Cependant, il faut nuancer : il est plus difficile de tracer des contacts dans un bar, un restaurant ou dans les transports en commun.

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.© Getty

Une indication imparfaite, mais essentielle

Dans la plupart des cas, l’enquête ne permet pas de dire précisément la source d’infection. Aux Pays-Bas, seuls 20% des infections peuvent être retracées entièrement. Mais cela ne veut pas dire que l’information n’est pas essentielle. C’est en tout cas l’avis du biostatisticien Geert Molenberghs (KU Leuven) : « Quand vous savez exactement où les gens sont infectés – dans les bars, les transports publics, les clubs de sport ? – vous pouvez intervenir beaucoup plus spécifiquement, avec des mesures. Aujourd’hui, nous naviguons à l’aveugle. En outre, des données détaillées sur les sources d’infection peuvent également sensibiliser la population : les gens savent alors mieux dans quelles situations ils doivent être particulièrement prudents. »

D’où l’intérêt de lorgner chez le voisin. Les Belges ne se comportent pas si différemment des Néerlandais, ou des Français. D’autant que ces pays connaissent une deuxième vague similaire à la situation en Belgique. « Tout comme la nôtre, elle a commencé à reprendre avec le retour des voyageurs en août et l’ouverture des écoles », note Molenberghs. Le point commun de ces chiffres est le grand nombre d’infections dans le cercle familial. « Nous soupçonnons que de nombreuses personnes dans notre pays sont également infectées par des membres de leur famille. Il est donc impératif que nous réduisions considérablement nos contacts étroits. »

Et dans les écoles ?

En Belgique, toutes les universités font le constat que les contaminations n’ont pas lieu sur leurs sites, et évoquent des transmissions majoritairement liées à des rassemblements privés. « Ce ne sont pas des clusters par promotion, mais par groupes d’amis », note Nicolas Dassonville, chef de cabinet de la rectrice de l’ULB Annemie Schaus. Le constat est partagé par Julie Chantry (Ecolo), bourgmestre de Louvain-la-Neuve : « On recense, en moyenne, de 10 à 15 interventions par soirée pour tapage, en grande partie dans des kots. » Dans les rangs étudiants, on se défend face à un climat « stigmatisant ». « On est conscient des risques, on n’est pas plus irresponsables que la moyenne », assure Daria, en deuxième année en sciences politiques à l’ULB.

« L’école n’a pas l’air d’être un milieu dangereux », pointe Yves Van Laethem. Les données semblent lui donner raison. Ainsi, selon l’ONE, seuls 16 % des cas peuvent être liés à une transmission au sein de l’établissement. D’après la cellule de crise provinciale bruxelloise, « 40 % des contaminations interviennent dans le milieu familial et en contact avec les proches, chez soi à la maison ou en dehors ». S.G.

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